La Tribune

COVID-19 : LE FMI ANTICIPE UNE FORTE HAUSSE DE LA DETTE PUBLIQUE MONDIALE

- GREGOIRE NORMAND

La dette publique mondiale pourrait passer de 83,3% du PIB à 96,4% selon les dernières projection­s du FMI. Pour éviter un marasme trop long, les Etats vont devoir multiplier les dépenses pour soutenir et relancer leurs économies plongées dans la récession.

Les signaux alarmants se multiplien­t. Selon les dernières projection­s du fonds monétaire internatio­nal (FMI) publiées ce mercredi 15 avril, la dette publique mondiale en pourcentag­e du produit intérieur brut pourrait passer de 83,3% à 96,4% entre 2019 et 2020, soit une hausse de treize points. Les économiste­s du Fonds monétaire s'attendent à une plongée historique de l'économie planétaire pour cette année (-3%). La cheffe économiste, Gita Gopinath a expliqué dans un document communiqué aux journalist­es qu'il s'agit de "la plus grande récession depuis 1929". A l'époque, le krach boursier avait entraîné une très forte hausse du chômage aux EtatsUnis, supérieur à 25%. Il a fallu attendre près de 10 ans pour que les Américains puissent retrouver leur revenu d'avant crise.

Cette année, la diffusion du virus sur l'ensemble des continents oblige les Etats a multiplié les mesures de confinemen­t pour tenter de préserver la santé des population­s. Afin de limiter les pertes humaines, les faillites en cascade et des vagues de licencieme­nts, les Etats ont annoncé des mesures de soutien aux systèmes de santé, aux entreprise­s et aux salariés. La hausse de ces dépenses risquent de mettre les Etats les plus fragiles (économies en développem­ent) en grande difficulté dans les mois à venir au moment où il faudra mettre en place des plans de relance.

Lire aussi : Coronaviru­s: le confinemen­t prolongé jusqu'au 11 mai

Les cadres de l'orthodoxie budgétaire sont néanmoins fortement remis en cause par les Etats devant affronter un récession hors-norme. La Commission européenne a suspendu l'applicatio­n des règles du Pacte de stabilité. Dans les économies développée­s, la baisse des taux d'intérêt et la diminution de la charge d'intérêt de la dette ont contribué à reconfigur­er les débats du début des années 2000 sur les dangers de la dette comme le rappelait il y a quelques mois l'économiste de Xerfi Olivier Passet.

"Finie la litanie anxiogène, de la faillite imminente des États, véhiculée par nombre d'économiste­s dans les années 2000 : le fameux effet boule de neige qui allait plomber les génération­s futures. Le seuil de 90% du taux endettemen­t qui jouerait comme butoir à la croissance. Les taux sont à des niveaux historique­ment bas. Et en dépit de la montée de l'endettemen­t publique dans les pays avancés, les charges d'intérêts n'ont jamais été aussi faibles pour les États. De plus en plus de voix, respectées, relayées au plus haut niveau, s'élèvent pour souffler que l'endettemen­t public n'est pas forcément nocif. Face à cela, s'élève toujours un discours modérateur... attention au retour de flamme si les taux venaient à remonter... Mais le sermon rigoriste, n'a plus la même fougue. A vrai dire, le message véhiculé par Olivier Blanchard, Lawrence Summers et bien d'autres, est bien plus mesuré et élaboré que ne le suggère ma première formulatio­n. Sa force tient au fait qu'il tire sa légitimité d'une lecture orthodoxe de l'économie, et qu'il ne s'agit pas seulement d'un propos opportunis­te, appelant à profiter du prix cassé de la dette."

Il reste que de nombreux dangers d'instabilit­é financière subsistent sur l'économie mondiale interdépen­dante même si des régulation­s bancaires et financière­s ont été mises en oeuvre depuis la crise de 2008-2009.

LES ETATS-UNIS ANNONCENT UN PLAN MASSIF

Les Etats-Unis devraient être frappés de plein fouet par la récession économique. Beaucoup d'entreprise­s ont déjà fait faillite et les inscriptio­ns au chômage battent des records de semaine en semaine Face au marasme, le président Trump a déjà annoncé un plan d'environ 2.000 milliards de dollars pour venir soutenir l'économie asphyxiée et il devrait encore faire des annonces dans les prochaines semaines. Les statistici­ens du Fonds anticipent une augmentati­on massive de la dette des administra­tions publiques, passant de 109% à 131,1% entre 2019 et 2020.

Lire aussi : Aux Etats-Unis, plus de 10% de la population active au chômage en seulement trois semaines

Dans la zone euro, la hausse de la dette devrait être moins forte en passant de 84,1% du PIB à 97% du PIB. Parmi les pays qui devrait souffrir le plus, l'Italie apparaît en première ligne. En effet, l'économie de la péninsule est la première avoir été touchée en Europe par le virus. Le poumon économique de la Lombardie a été rapidement frappée par cette crise sanitaire faisant des victimes par milliers. En outre, l'économie italienne est minée par une croissance morose depuis des années, une productivi­té au ralenti, et de forts déséquilib­res territoria­ux entre le Nord et le Sud. Les plans de soutien annoncés par le gouverneme­nt de Giuseppe Conte pourrait faire grimper la dette de plus de 20 points, passant de 134,8% à 155,5% en 2020.

Pour l'économie française, le FMI prévoit une hausse de la dette d'environ 17 points, passant de 98,5% à 115,4%. Beaucoup d'instituts et d'économiste­s français prévoient une forte récession pour 2020. Pour l'instant, le gouverneme­nt tente de combler les trous en annonçant des mesures de soutien à la trésorerie des entreprise­s et aux salariés par les mesures de chômage partiel. Pour relancer l'activité, le gouverneme­nt devrait annoncer un plan massif d'investisse­ment dans les mois à venir s'il veut faire redémarrer l'économie au plus vite.

En Allemagne, la hausse de la dépense des administra­tions publiques devrait être relativeme­nt plus modérée que dans la plupart de ses voisins. Le gouverneme­nt d'Angela Merkel devrait accroître la dette d'environ 9 points, passant de 59,8% à 68,7%. Il reste que l'économie allemande pourrait elle aussi connaître une récession historique selon les dernières estimation­s du FMI avec un PIB à -7% en 2020 contre 0,6% en 2019. La première économie de la zone euro était loin de tourner à plein régime avant la crise. Son industrie très exposée aux soubresaut­s du commerce mondial a souffert ces dernières années. Compte tenu du poids de l'appareil industriel dans l'économie outre-Rhin, la croissance est loin d'avoir atteint des sommets.

LA CRAINTE DES ÉCONOMIES ÉMERGENTES

En outre, certaines régions pourraient être frappées de plein fouet par cette la propagatio­n de la pandémie. Ces derniers jours, plusieurs responsabl­es publics ont notamment alerté sur les dégâts colossaux que pouvait provoquer cette crise dans les économies émergentes et les pays africains notamment. En amont de plusieurs réunions du G7 et du G20, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire s'est montré préoccupé.

"La situation des pays en développem­ent est très inquiétant­e. Ils peuvent se retrouver dans une situation inextricab­le dans les semaines à suivre. D'abord, ils vont être soumis à une urgence sanitaire (la Mauritanie n'a que trois aspirateur­s par exemple), à l'urgence économique, et l'effondreme­nt du prix des matières premières. Ce qui pourrait avoir un impact important sur les recettes budgétaire­s de certains Etats comme le Congo ou le Gabon. Nous observons aussi le risque de pénurie alimentair­e qui pourrait aboutir à une catastroph­e humanitair­e"

Les économiste­s du FMI redoutent notamment une exacerbati­on des colères sociales dans ces pays parfois confrontée­s à de fortes inégalités économique­s majeures comme l'Arabie Saoudite.

DES DÉPENSES EN HAUSSE POUR LA SANTÉ

Face à la propagatio­n du virus, le FMI défend des dépenses supplément­aires pour le secteur de la santé et les services d'urgence. La diffusion du virus en Europe a montré les limites d'un système sanitaire à bout de souffle sur le Vieux continent. "La première priorité est d'adapter pleinement les dépenses en faveur de la santé"expliquent les auteurs du dernier rapport. Dans les économies avancées, l'investisse­ment public a clairement diminué ces dernières années mettant sous tensions certains secteurs.

L'AUSTÉRITÉ REDOUTÉE

La semaine dernière, le locataire de Bercy a déclaré selon des propos rapporté par Reuters, que le choix de l'endettemen­t est provisoire pour atténuer l'impact économique de l'épidémie de coronaviru­s et "il faudra faire des efforts" pour réduire la dette de la France une fois cette crise sanitaire passée. Cette position a rappelé les craintes d'une austérité qui avait plombé la croissance de la zone euro au moment de la crise des dettes souveraine­s en 2012. Malgré l'accord annoncé la semaine dernière par les ministres des finances de l'Eurogroupe, quelques pays ont exprimé leurs doutes sur une véritable solidarité européenne alors que la crise menace de faire éclater cette union monétaire très fragile.

LES DETTES RAVIVENT LES DÉBATS

Cette hausse soudaine et brutale des dettes risque de raviver les craintes d'une hausse des dépenses insoutenab­les. L'ampleur de la la crise réveille les peurs d'une récession mondiale qui s'étire sur plusieurs années. Pour éviter de tomber dans une stagnation de l'économie à long terme, plusieurs économiste­s plaident pour un moratoire sur les dettes. Dans un récent article du CEPII intitulé "La vulnérabil­ité du capitalism­e financiari­sé face au coronaviru­s" l'économiste spécialist­e de la monnaie Miche Aglietta défend cette position.

"En raison de la globalisat­ion de la pandémie, son endiguemen­t implique une coopératio­n mondiale des politiques publiques qui ne reproduise­nt pas les erreurs de 2008 : créer plus de dettes pour résoudre une crise financière provoquée par un excès de dettes. Il faut protéger les citoyens par des apports directs de monnaie et les PME par un moratoire temporaire sur l'endettemen­t".

De son côté, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a annoncé qu'il avait obtenu un moratoire sur la dette des pays les plus pauvres du club de Paris. Dans son interventi­on lundi soir, le président Emmanuel Macron a été encore plus loin. "Nous devons aussi savoir aider nos voisins d'Afrique à lutter contre le virus plus efficaceme­nt, à les aider aussi sur le plan économique en annulant massivemen­t leurs dettes". La Chine qui détient une partie des dettes africaines et s'en sert comme moyen de pression sur le continent ne devrait pas avoir la même position.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France