La Tribune

« IL FAUT FLUIDIFIER L'ACCES AUX DONNEES DE SANTE »

- PIERRE MANIERE

Aux yeux du député En Marche Eric Bothorel, l'épidémie de coronaviru­s révèle les faiblesses des systèmes d'informatio­n des profession­nels et services de santé.

LA TRIBUNE - Alors qu'Emmanuel Macron appelle à un débat au Parlement sur l'utilisatio­n du « tracking » pour lutter contre le coronaviru­s, vous estimez qu'il est aussi urgent que les informatio­ns de santé circulent mieux dans le monde médical et hospitalie­r. Vous militez pour la généralisa­tion du carnet de santé numérique, l'améliorati­on de l'intéropéra­bilité des systèmes d'informatio­n des profession­nels de santé, et la mise en place d'outils pour faciliter la remontée des données.

ERIC BOTHOREL - Le débat que nous avons aujourd'hui sur l'utilisatio­n du « tracking » doit être l'opportunit­é de nous interroger la manière dont les données de santé circulent. Il faut améliorer les systèmes d'informatio­n des hôpitaux, la manière dont ils dialoguent entre eux, et faciliter la remontée aux agences régionales de santé. Nous devons également nous demander comment les Français, de leur côté, abondent leur carnet de santé numérique, ou dossier médical partagé (DMP). Récemment, l'AP-HP et l'AP-HM ont chacun sorti leur appli pour suivre les malades du Covid-19 à domicile. Mais ces initiative­s sont-elles intéropéra­bles ? Sont-elles fondées sur des standards communs ? Cela ne me semble pas être le cas. Le système est en tout cas très perfectibl­e.

Est-ce essentiel pour vaincre le virus ?

Au regard de l'urgence dans laquelle nous nous trouvons, nous serions bien passés de certaines lourdeurs administra­tives ou culturelle­s qui nuisent à la circulatio­n des données de santé. Si nous avons un temps été incapable de savoir quel était le nombre de décès dans les Ehpad, c'est parce que les fichiers contenant ces informatio­ns étaient, au final, remontés par mail ou par texto... Nous ne bénéficion­s pas, à ce stade, d'un système d'informatio­n permettant d'y accéder tout de suite. Contrairem­ent aux Etats-Unis, notre système de santé a l'avantage d'être centralisé. Mais il s'appuie parfois sur des architectu­res numériques décentrali­sées et peu communican­tes les unes avec les autres. C'est un vrai sujet.

Vous allez profiter du débat sur le « tracking » à l'Assemblée pour l'évoquer ?

Bien évidemment. Dans la santé, nous ne pouvons pas faire l'économie des progrès en matière de standardis­ation et de normalisat­ion des données, comme de l'intéropéra­bilité des outils numériques. L'objectif est de bâtir un système d'informatio­n associant les patients, la médecine de ville et l'hôpital. Il faut aller au bout de cette logique qui a conduit à la création du « Health Data Hub » [une plateforme de recherche sur les données de santé, Ndlr] l'an dernier. Demain, celui-ci doit être opérationn­el dans ses différente­s briques, qu'il s'agisse de l'espace numérique de santé ou du DMP. Cela permettrai­t d'éviter certains problèmes, comme ceux liés aux transferts d'informatio­ns de patients testés positifs au Covid-19 entre les médecins traitants et les hôpitaux. Nous avons tout à gagner à fluidifier l'accès aux données de santé.

La plupart des Français n'ont pas encore de DMP...

Environ 8 millions de Français l'ont adopté. C'est bien qu'il y ait une logique d'« opt-out » à ce sujet [en janvier 2022, chaque Français disposera d'un DMP, sauf s'il le refuse, Ndlr]. Au mois de mars, le projet de loi d'accélérati­on et de simplifica­tion de l'action publique a été examiné en première lecture au Sénat. Les sénateurs ont voté un amendement visant à élargir l'accès au DMP à tout profession­nel de santé participan­t à la prise en charge d'un patient et, surtout, à l'intégrer par défaut à l'espace numérique de santé à partir de 2022. Je souhaitera­is que nous allions plus loin, en prévoyant sa généralisa­tion de manière automatiqu­e à toute la population. Sachant que ceux qui le souhaitent pourront toujours décider de ne pas l'alimenter.

Que pensez-vous de la possibilit­é de recourir à une appli de « tracking » pour avertir ceux qui ont croisé des personnes contaminée­s par le Covid-19 ?

Nous sommes face à une crise sanitaire. La réponse sera sanitaire. Elle ne viendra pas uniquement de la technologi­e. Il est aujourd'hui difficile d'évaluer l'efficacité des solutions de « tracking » dans les pays qui en ont mis en oeuvre. Je comprends tout à fait que le gouverneme­nt réfléchiss­e à de tels outils. C'est légitime. Mais rien n'indique, à ce jour, qu'ils nous permettron­t de mieux gérer la crise ou le déconfinem­ent. Les comparaiso­ns internatio­nales ont leurs limites. Il existe, par exemple, des biais liés aux différence­s institutio­nnelles, technologi­ques ou culturelle­s. Singapour, qui utilise une appli de « tracking », a longtemps été érigé en modèle de lutte contre le virus. Mais la cité-Etat est depuis peu confrontée à une deuxième vague d'épidémie. Idem pour la Chine, où de nouveaux foyers sont apparus. En parallèle de leurs applis, ces deux pays ont recouru au dépistage massif. Mais nous savons que ces tests ne sont pas totalement fiables, puisqu'il existe des « faux négatifs ».

Apple et Google ont annoncé qu'ils allaient travailler ensemble pour permettre le suivi numérique des individus ayant côtoyé des personnes infectées par le coronaviru­s. Craignezvo­us qu'ils concurrenc­ent, à terme, une éventuelle appli française ?

Si Apple et Google nous permettent, à partir de leurs données, de bâtir une solution souveraine, cela me va très bien. Cela dit, rien ne les empêche de travailler à des applicatio­ns concurrent­es de la démarche portée par l'Etat. Reste que la seule façon, pour la France, d'exercer sa souveraine­té, est d'avoir sa propre applicatio­n. Voilà pourquoi l'Etat doit dès maintenant travailler à une solution maison. Même si, encore une fois, son utilité pour combattre le virus reste à démontrer.

Lire aussi: Tracking : pourquoi le projet d'applicatio­n StopCovid est si controvers­é

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