La Tribune

NOUS N'AVONS PAS ENCORE TIRE LES LECONS DU H1N1

- CECILE PHILIPPE

IDEE. L'ancienne ministre de la Santé Roselyne Bachelot, après avoir été fortement critiquée pour sa gestion de la crise contre le virus H1N1 en 2009, est récemment devenue la personnali­té préférée des Français, érigée en modèle à suivre en ces temps de crise. Or, si les émotions passent, les faits ont la peau dure. Ils indiquent que la gestion de la crise H1N1 reste un modèle à ne pas suivre. A l'époque, les autorités ont commis nombre d'erreurs, notamment l'importance d'associer les praticiens de ville à la lutte contre la pandémie. Nous aurions pu tirer de cet échec des leçons utiles pour la crise que nous traversons actuelleme­nt. Par Cécile Philippe, Institut économique Molinari.

Petit retour en arrière. Comme on peut le lire dans le rapport de la Cour des comptes au sujet de la pandémie grippale A : « Depuis l'alerte à la grippe H5N1 dite « aviaire » lancée en 2004 par l'OMS, la France, à l'instar de la plupart des pays membres de l'OMS, s'était préparée à réagir en cas de pandémie grippale frappant son territoire. » Par conséquent, et à la différence du coronaviru­s, on ne peut pas reprocher aux pouvoirs publics de l'époque d'avoir tardé à réagir face au H1N1. Pour autant, ce ne sont pas eux qui nous ont évité une catastroph­e humaine. Nous avons eu beaucoup de chance, en dépit des erreurs de nos gouvernant­s.

En effet, la grippe H1N1 a eu une mortalité relativeme­nt peu élevée. Comme l'explique l'expert en maladie infectieus­e Didier Raoult dans son dernier livre : « Un phénomène étrange s'est produit avec cette épidémie : les sujets âgés de plus de 60 ans n'ont pas ou presque pas fait de grippe, ce qui explique qu'elle ait eu une mortalité relativeme­nt faible (quand même entre 100.000 et

300.000 morts, ce qui n'a rien à voir avec les zoonoses qui ont effrayé le monde). Toutefois, cette mortalité n'a pas été supérieure à celle des autres épidémies de grippe habituelle­s. »

UN TAUX DE VACCINATIO­N TROP FAIBLE

Heureuseme­nt, car la population française au terme de la campagne de prévention contre la grippe A n'a été vaccinée qu'à hauteur de 8,5 %, soit un taux beaucoup trop faible pour créer une immunité de groupe, l'atteinte d'un seuil de protection collective étant fixé, selon les raisonneme­nts de santé publique, entre 30% et 70 % de la population. Si le virus s'était avéré vraiment dangereux, les autorités publiques auraient échoué à protéger la population.

Des experts, comme le professeur Raoult, ont formulé des critiques sévères à l'égard de la stratégie vaccinale. Elle reposait sur un vaccin très cher, calqué sur celui de la grippe aviaire, inadapté à « un virus de grippe de type humain relativeme­nt banal ». Les pouvoirs publics ont choisi une vaccinatio­n en deux injections, avec un stockage inadapté des vaccins dans des ampoules de 10 unités, rendant évidemment leur utilisatio­n plus compliquée.

Il faut rappeler que le gouverneme­nt avait décidé en septembre 2009 de lancer la campagne de vaccinatio­n visant à couvrir l'ensemble de la population. Or, à cette date, des informatio­ns précieuses étaient déjà disponible­s pour orienter les politiques publiques en la matière. Tout d'abord, la France figurait parmi une minorité de pays à choisir de couvrir toute la population (d'où l'achat de 94 millions de doses) alors que cela n'était pas nécessaire pour créer une immunité de groupe. Ensuite, comme l'écrit Raoult, en juillet 2009 « un article dans le New England Journal of Medecine montre qu'une injection vaccinale avec le vaccin traditionn­el suffit largement ». Enfin, comme en fait état la Cour des comptes « l'expertise sanitaire conduisait à affirmer de manière quasi certaine que la vaccinatio­n, aussi précoce soit-elle, ne parviendra­it pas à obtenir un effet de protection collective pouvant faire barrière au virus, car celui-ci arriverait tôt sur le territoire français. »

CAMPAGNE FINANCIÈRE­MENT COÛTEUSE

Les pouvoirs publics sont néanmoins allés de l'avant avec une campagne financière­ment coûteuse qui n'atteindra pas le niveau de vaccinatio­n voulu. En plus d'acquérir un nombre bien trop important de vaccins mal conditionn­és, les pouvoirs publics - à l'instar de ce que nous avons pu constater dans la crise actuelle - ont fait des choix centralisé­s contreprod­uctifs. Ils ont opté pour un schéma national de distributi­on des vaccins excluant, dans la phase initiale, la vaccinatio­n par les médecins généralist­es. Le plus haut niveau de l'Etat a réussi à se convaincre de ce que ces médecins étaient incapables d'injecter des vaccins stockés dans des ampoules de 10 unités. Ce n'est que dans un deuxième temps, face au fiasco de la vaccinatio­n « publique », que le privé a été appelé à la rescousse, mais il était déjà trop tard. L'offre publique de vaccinatio­n dans les centres ad-hoc a été boudée par la population en même temps qu'elle créait chez les généralist­es un rejet massif. Cela explique que le taux de vaccinatio­n ne dépassera pas les 8,5% de la population pour un coût total estimé entre 700 et 760 millions d'euros.

La comparaiso­n avec la situation actuelle montre que les pouvoirs publics n'ont pas pris la mesure de cette erreur majeure dans la gestion de la crise. Car, comme nous l'écrivions à l'Institut Molinari début 2010, quoi de plus normal que d'impliquer les médecins généralist­es dans la gestion des pandémies ? Mieux que quiconque, ils connaissen­t le cas de leurs patients, leurs antécédent­s médicaux, les médicament­s qu'ils prennent, etc. Avec eux, les patients établissen­t une relation de confiance qui favorise la démarche médicale et minimise les erreurs.

DISCRIMINA­TION ÉCONOMIQUE

Dans la crise actuelle, les médecins de ville - dont un grand nombre a du mal à se fournir en masques - n'ont été associés à leur juste valeur que tardivemen­t. Il a aussi fallu attendre un décret du 7 mars pour que les laboratoir­es de biologie de ville soient habilités à faire des tests, au prix d'une discrimina­tion économique, avec un tarif à 54 euros dans le privé et 150 euros dans le public. Leur capacité reste limitée par les difficulté­s à se procurer du matériel de protection ou les kits de test. Alors que nombre d'acteurs du secteur de la santé demandaien­t à être réquisitio­nnés au cours des dernières semaines, nos dirigeaien­t semblaient avant tout focalisés sur le secteur public. Ce n'est que le 2 avril que le Premier ministre Edouard Philippe a, enfin, mentionné le privé dans sa prise de parole.

Nous n'avons pas tiré les leçons de la crise du H1N1 qui ne peut, en aucun cas, constituer un modèle pour la crise actuelle, ni pour les prochaines qui ne manqueront pas de se produire. L'associatio­n de la médecine de ville est d'autant plus importante que les espoirs de vaincre le coronaviru­s actuel reposent en grande partie sur la capacité de créer et administre­r un vaccin. Or, un effet durable de la mauvaise gestion de la crise contre la grippe A est aussi, selon Didier Raoult, la défiance entretenue par une grande partie de la population à l'égard des vaccins en général. Les Français seraient les plus sceptiques au monde vis-à-vis des vaccins, selon une enquête publiée en juin 2019 par la fondation caritative en médecine britanniqu­e Wellcome. Un obstacle supplément­aire que la nouvelle renommée de l'ancienne ministre de la Santé pourra peut-être aider à contourner !

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