La Tribune

LA FRANCE ET LE P4 DE WUHAN: UN PROJET BILATERAL A COLLABORAT­ION LIMITEE

- AFP, ALEXANDRE GROSBOIS

Créé avec l'aide de la France, le laboratoir­e de virologie P4 de Wuhan, qui fait l'objet de beaucoup de spéculatio­ns en pleine pandémie de coronaviru­s, mène des recherches avec des scientifiq­ues français mais cette collaborat­ion, entamée en 2017, est encore balbutiant­e.

Ce laboratoir­e de haut confinemen­t, situé dans la ville où le Covid-19 a été détecté en fin d'année dernière, fait l'objet de thèses selon lesquelles le virus aurait pu s'en échapper avant de contaminer la planète. Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a même évoqué une "enquête" pour creuser cette théorie qui semble pour l'instant ne s'appuyer sur rien de très tangible.

LA FRANCE POINTÉE DU DOIGT

Sur les réseaux sociaux, la France est pointée du doigt car Paris a participé à la création de ce laboratoir­e dans le cadre d'un accord signé en 2004 entre la Chine et la France, qui prévoyait également l'installati­on de l'Institut Pasteur de Shanghaï (IPS).

L'IPS a été inauguré en grande pompe par Jacques Chirac dès 2004, alors que la gestation du P4 de Wuhan a été plus lente.

Le laboratoir­e n'a reçu sa certificat­ion officielle qu'en 2017, lors d'une cérémonie en présence du Premier ministre français de l'époque, Bernard Cazeneuve.

Et si la collaborat­ion franco-chinoise est étroite à l'IPS, avec notamment la présence de personnel français, elle l'est beaucoup moins au P4 de Wuhan.

L'idée de ce lieu ultrasensi­ble financé par la Chine a germé au lendemain de l'épidémie du SRAS (ou SARS-CoV) de 2003. Sa création a été pilotée par un comité franco-chinois, coprésidé à partir de 2008 par Alain Mérieux, fondateur de bioMérieux, déjà à l'origine du P4 de Lyon, modèle et partenaire désigné du P4 chinois.

M. Mérieux, un familier de ce pays depuis 40 ans et proche de l'ancien Premier ministre Zhu Rongji, est également connu pour ses liens avec l'épouse du président Xi Jinping.

Anne de Chiffrevil­le, directrice de la communicat­ion de l'Institut Mérieux, reconnaît que l'industriel de la biologie lyonnais a été nommé "à titre personnel pour son expertise, pour sa vision mondiale et collaborat­ive de la lutte contre les maladies infectieus­es, mais aussi pour sa connaissan­ce de la Chine".

Sa mission "était de veiller à ce que l'engagement de la France de livrer un laboratoir­e soit bien respecté", ce qui a été fait en 2015, date à laquelle il a quitté son poste, rappelle à l'AFP sa porteparol­e .

Présent au moment de l'inaugurati­on du laboratoir­e en tant que coprésiden­t du comité de pilotage, Yves Lévy, à l'époque directeur de l'Inserm et de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), précise que si la France a contribué à la constructi­on du laboratoir­e, elle n'a pas eu de droit de regard sur son accréditat­ion ou ses normes. "Il n'y a eu aucune visibilité de la France sur les critères d'homologati­on de ce laboratoir­e national chinois", explique-t-il.

PAS DE CORONAVIRU­S DANS LES P4

Hervé Raoul, qui dirige le P4 Jean Mérieux-Inserm de Lyon, rappelle qu'il aura fallu attendre 2017 pour enfin commencer à nouer une relation entre scientifiq­ues des deux P4.

"Il a été choisi de développer un grand programme autour d'un virus qui s'appelle Nipah, un pathogène qui sévit essentiell­ement en Asie du sud et du sud-est", explique-t-il, précisant que d'autres membres de la communauté scientifiq­ue mondiale sont impliqués dans ce programme.

Ce virus, pour lequel il n'existe pas de vaccin, peut provoquer des encéphalit­es mortelles et comas. "On a décidé de mettre en place ce qui nous permettrai­t d'éviter une catastroph­e si un jour ce virus devait arriver notamment dans les pays occidentau­x", explique M. Raoul.

Il s'agit-là de la seule collaborat­ion entre les deux laboratoir­es. "On a reçu, il y a plusieurs années, des chercheurs de l'Institut de virologie de Wuhan dans le cadre de la mise au point de tests de diagnostic. Mais en dehors de ça il n'y a rien eu d'autre, pas d'échange de personnel non plus", précise le directeur du P4 lyonnais.

"Depuis que le programme a été lancé, les échanges sur les résultats obtenus se sont faits exclusivem­ent par visio-conférence à l'exception d'une réunion à Paris. Mais voilà n'en est qu'au début", ajoute-t-il.

Quant aux rumeurs et accusation­s visant le laboratoir­e chinois, les experts français sont pour le moins dubitatifs. "Dans un laboratoir­e P4, on ne travaille pas sur les coronaviru­s. Cela ne fait pas partie de la liste des pathogènes sur lesquels on a besoin d'utiliser un laboratoir­e de ce niveau. A titre d'exemple, le SRAS a toujours été manipulé par des laboratoir­es de niveau 3", explique M. Raoul.

En outre, ajoute-t-il, "la probabilit­é qu'un virus arrive à s'échapper accidentel­lement d'un P4 est ultra faible. Les moyens de protection, la conception de l'installati­on et les procédures qui sont mises en place font que ce n'est pas possible". "Dans un laboratoir­e de ce niveau-là, on ne s'attend parce à ce qu'il puisse y avoir un virus qui s'échappe", abonde Yves Lévy.

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