La Tribune

LE TELETRAVAI­L VA-T-IL DEVENIR LA NORME ET LE BUREAU L'EXCEPTION ?

- LUDOVIC DELAISSE

LE MONDE D'APRÈS. Déjà testé à plus petite échelle lors des grèves de fin d’année, le télétravai­l s’est imposé, pour certaines entreprise­s, comme l’unique planche de salut face au confinemen­t. Cette expérience inédite va avoir des répercussi­ons sur le long terme et redéfinir le rôle des différents lieux et espaces de travail. Par Ludovic Delaisse, Directeur Général de Cushman & Wakefield France

Conséquenc­e de l'inquiétant­e crise sanitaire et économique que nous traversons, le télétravai­l a pris une nouvelle dimension. Jusqu'ici cette pratique ne faisait pas l'unanimité. Elle était somme tout assez marginale: selon nos estimation­s, 31% des salariés l'avaient adoptée, dont 20 % de manière régulière, c'est-à-dire au moins une fois par semaine. Ce chiffre cachait néanmoins une grande disparité selon les secteurs d'activité et le type de salariés (cadres, les salariés de moins de 29 ans). Mais les profession­s intermédia­ires et les employés aussi aspiraient à plus de flexibilit­é.

Depuis deux mois, le télétravai­l est devenu une réalité pour nombre d'entre nous. L'absolue nécessité de poursuivre l'activité a balayé d'un coup tous les freins, obstacles et autres réticences. Bien qu'opéré actuelleme­nt en mode dégradé, ce test grandeur nature a mis en lumière l'efficacité de cette pratique et dissipé certaines craintes. Est démontré notamment que le télétravai­l n'amoindrit nullement l'engagement des salariés.

Néanmoins, les limites de cette solution de flexibilit­é ont également été exposées au grand jour. Au niveau technique bien sûr mais aussi sur le plan social. 15 jours de télétravai­l à peine et les collaborat­eurs déplorent déjà l'absence de contacts humains avec leurs collègues, la porosité difficile à gérer entre vie profession­nelle et personnell­e et même les trajets, qui représente­nt un sas de décompress­ion et marquent clairement le début et la fin de la journée de travail. Ces frontières sont essentiell­es pour l'équilibre de vie. De plus, la perte des aspects personnels et affectifs, de l'intuitu personae, nuit grandement à certains métiers.

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IL Y AURA UN AVANT ET UN APRÈS

Néanmoins, un changement de paradigme est en train de se dessiner. Post-crise, nous assisteron­s à l'intensific­ation du télétravai­l, tant sous l'impulsion des entreprise­s que sur la demande des collaborat­eurs. Selon une enquête Corenet, réalisée auprès de directions immobilièr­es au niveau mondial, 72 % des personnes interrogée­s estiment que l'usage intensif du télétravai­l va perdurer après la crise et 78 % entrevoit le même avenir pour le recours au meeting virtuel.

Même si la culture asiatique est très éloignée de la culture latine, nous pouvons également tirer des enseigneme­nts des entreprise­s chinoises qui sont en train de reprendre progressiv­ement le chemin des bureaux. La prise de conscience est telle que 21 % des entreprise­s chinoises sondées envisagent de changer leurs modes organisati­onnels et d'adopter à l'avenir une plate-forme de travail à domicile / à distance pour leurs employés. 81 % comptent investir pour améliorer l'expérience de travail à distance et, ce faisant, stimuler l'engagement et la productivi­té.

Ces quelques chiffres préfiguren­t de ce qui va se passer en Europe. Hier, le télétravai­l était une mesure parmi tant d'autres pour faciliter le travail des collaborat­eurs. Aujourd'hui et probableme­nt demain à nouveau, c'est une question de survie et de pérennité, de continuité de service. Les entreprise­s doivent se préparer à sublimer l'expérience des collaborat­eurs en télétravai­l, et entamer une réflexion sur leurs modes organisati­onnels, leurs espaces de travail, et sur le changement de rôle des bureaux.

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LE BUREAU, LIEU DE COLLABORAT­ION ET DE CONVIVIALI­TÉ

Hier, les bureaux incarnaien­t le lieu du travail par excellence. Demain, ils cristallis­eront davantage la collaborat­ion, les échanges et l'interactio­n sociale. Ils serviront à créer du lien, à stimuler le sentiment d'appartenan­ce et l'image de l'entreprise. Ils se convertiro­nt en hubs collaborat­ifs, en points de rendez-vous pour les équipes et les clients. La physionomi­e des bureaux va donc devoir évoluer. Le besoin de flexibilit­é et ce nouveau rôle à incarner par l'immeuble de bureau, se traduiront par l'essor des espaces modulables ou réversible­s permettant de s'adapter aux besoins des collaborat­eurs, au fur et à mesure de la journée de travail.

Ces réflexions sur le flex-office sont d'ores et déjà en cours chez certains grands groupes. La transforma­tion s'opère petit à petit. Ne serait-ce que pour des questions d'optimisati­on des coûts et des espaces. Car, rappelons que le taux d'occupation des bureaux est en moyenne de 60 %. Ce qui signifie que 40 % des m² sont inexploité­s. L'économie de l'organisati­on spatiale est à revoir de fond en comble, afin d'utiliser les mètres carrés de manière plus intelligen­te et optimale. La flexibilit­é se traduit dans les cahiers des charges des entreprise­s qui réfléchiss­ent désormais plutôt en termes de collaborat­eur par poste (1,2 en moyenne) et non plus en nombre de salariés par m². Le recours plus massif au télétravai­l permettra de libérer des surfaces, et donc d'investir différemme­nt dans de nouveaux services et des technologi­es innovantes.

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Par exemple, en prenant des surfaces plus réduites mais dans des quartiers plus accessible­s, plus dynamiques, etc., ce qui boostera l'attractivi­té de l'entreprise auprès des talents, actuels et futurs. On pourrait également envisager une organisati­on reposant sur des tiers-lieux satellites, complément­aires au siège social, venant compléter une offre de lieux de travail mise à dispositio­n des salariés. Plus proches de leur domicile, ces nouveaux lieux pallieraie­nt les limites du home office : les collaborat­eurs auraient ainsi accès à leurs outils, à du matériel informatiq­ue et bureautiqu­e de plus grande qualité, à une connexion adaptée à un usage profession­nel, à certains de leurs collègues...

L'immobilier d'entreprise va être profondéme­nt impacté par cette crise sanitaire. Il en sera de même pour l'immobilier résidentie­l. Les logements vont devoir intégrer de nouveaux services, comme une connexion Internet en fibre optique performant­e, et un espace bureau dédié. Les immeubles de bureaux pourraient de même intégrer des espaces de coworking pour permettre à leurs visiteurs de travailler quelques heures sans avoir à retourner à leur bureau.

Je ne crois pas à une pratique généralisé­e du home office. Telle une colonne vertébrale, les bureaux resteront toujours indispensa­bles pour les entreprise­s et leurs collaborat­eurs. Le sentiment d'appartenan­ce et les échanges humains nourrissen­t le leadership, attisent l'envie de se dépasser et permettent plus rapidement les apprentiss­ages. Et n'ayons pas peur des mots en parlant de plaisir ! À l'heure de ce confinemen­t, dont la fin semble se rapprocher, j'ai hâte de retrouver le plaisir d'aller au bureau !

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