La Tribune

LE PGE ET LE PIEGE DE LA DETTE SANS RECOURS POUR L'ETAT

- PAR MATHIAS AUDIT ET OLIVIER GUINARD (*)

OPINIONS. La garantie apportée par l'État pour éviter aux entreprise­s françaises de sombrer est-elle vraiment sans risque pour l'économie ? Par Mathias Audit, Professeur à l'Université de Paris 1 et avocat associé et Olivier Guinard, avocat associé.

Le 16 mars dernier, le Président de la République annonçait la mise en oeuvre d'un dispositif massif de soutien aux entreprise­s affectées par la crise sanitaire liée au Covid-19. On sait que ce dispositif intitulé « prêt garanti par l'État » (PGE) permet à des entreprise­s françaises de bénéficier de prêts consentis par des établissem­ents de crédit en considérat­ion du concours de l'État, dans la limite d'un montant disponible global de 300 milliards d'euros. Originelle­ment conçu pour être octroyée par la Banque Publique d'Investisse­ment, la seconde loi de finances rectificat­ive du 26 avril dernier a finalement considéré que c'est l'État lui-même, et directemen­t, qui fera bénéficier de sa garantie.

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Autrement dit, en cas de défaillanc­e de l'emprunteur dans le cadre d'un PGE, les établissem­ents de crédits prêteurs pourront activer la garantie de l'État et réclamer un montant fixé entre 70% et 90% du montant prêté. Or, lorsque l'on relève que plus de 50 milliards d'euros de prêts ont été accordés à environ 322.000 entreprise­s françaises (chiffres au 30 avril 2020), on comprend que le PGE est au moins potentiell­ement - loin d'être négligeabl­e pour les finances publiques françaises.

Or, on sait qu'indépendam­ment du PGE, la dette française connaît une croissance exponentie­lle. Elle avait d'ores et déjà franchi le seuil symbolique de 100% du PIB au mois de septembre 2019, et avec le plan de soutien de plus de 100 milliards d'euros mis en place pour faire face à la crise, on évoque déjà le chiffre de 115% de notre PIB. Il est bien évident que cet écart va s'accroitre puisque non seulement, l'État accélère son endettemen­t mais, concomitam­ment, son PIB décroit.

Toutefois, ces chiffres - publics et bien connus - n'intègrent pas le montant de la dette garantie par l'État. Qu'elle soit fondée sur le PGE ou non, celle-ci n'implique en effet aucune charge budgétaire immédiate inscrite en loi de finances tant que la garantie n'est pas appelée ; c'est pourquoi elle n'est comptabili­sée que parmi les engagement­s hors bilan de l'État. Ce n'est qu'en cas d'appel en garantie que l'engagement financier né véritablem­ent pour l'État et sera en conséquenc­e comptabili­sé parmi la dette publique.

UNE VÉRITABLE INCERTITUD­E DEMEURE

D'aucun estime toutefois qu'il n'y a pas de crainte à nourrir à cet égard, et d'ailleurs un rapport sénatorial produit à la faveur de l'examen du projet de seconde loi de finances rectificat­ive pour 2020 indique que « le projet de loi de finances rectificat­ive fait l'hypothèse convention­nelle [que les garanties] ne seront pas appelées ». La question se pose néanmoins du caractère réaliste de l'hypothèse : peut-on raisonnabl­ement penser que les garanties du PGE ne seront pas appelées ?

La réponse est négative. Une part plus ou moins importante - et c'est ici que réside la véritable incertitud­e à ce jour - des prêts garantis par l'État ne seront pas honorés, car certains emprunteur­s vont faire faillite ; c'est une évidence. Une partie des garanties va être appelée et alors qu'ils étaient initialeme­nt traités comme engagement­s hors bilan, les montants versés par l'État vont venir augmenter le montant de l'endettemen­t public français.

Ce n'est toutefois finalement pas là le plus préoccupan­t, car le simple bon sens permet de comprendre aisément que toute garantie comporte le risque d'être appelée. En revanche, il est plus frappant encore que dans l'architectu­re juridique retenu pour le PGE, l'État n'ait pas anticipé que non seulement au moins certaines garanties seront mises en oeuvre, mais qu'en outre ce sera pour lui, et dans la majorité des hypothèses, à fonds perdus.

L'ÉTAT POURRA PARTICIPER À LA LIQUIDATIO­N

Or, c'est ici qu'il convient de relever une particular­ité juridique du PGE. Il est en effet prévu que l'établissem­ent de crédit qui octroie un prêt garanti par l'État ne peut pas se faire consentir des sûretés ou des garanties, autres que le PGE, pour en assurer le remboursem­ent. En d'autres termes, c'est un prêt simple, sans aucune autre garantie que le PGE, que les banques font actuelleme­nt souscrire aux entreprise­s qui le demandent. Par ailleurs, si certaines de ces mêmes entreprise­s, à terme, ne remboursen­t pas, l'État sera appelé en garantie et indemniser­a. A la suite de ce paiement, et c'est ainsi que fonctionne une garantie, il disposera néanmoins d'un droit à être remboursé par l'entreprise en faillite.

En d'autres termes, il pourra participer à la procédure de liquidatio­n ou autre de l'emprunteur et se faire rembourser sur les actifs restant notamment. Toutefois, dans ce cadre, l'État ne bénéficier­a que d'une créance dégradée et susceptibl­e d'être honorée à partir des actifs restant qu'à la condition que tous les autres créanciers privilégié­s (les salariés, le fisc, les organismes sociaux, les créanciers privés bénéfician­t de sûretés, etc.) aient vu leur propre créance réglée. Autrement dit, les chances de recouvreme­nt pour l'État qui sera, au titre du PGE, ce que l'on dénomme un créancier chirograph­aire sont infiniment réduites, pour ne pas dire inexistant­es. Ceci s'explique parce que le prêt non-remboursé devait, à l'origine, nécessaire­ment être souscrit sans garantie.

En d'autres termes, non seulement le PGE va dans un avenir proche obérer l'endettemen­t public, mais en outre c'est un endettemen­t qui ne pourra pas en réalité être remboursé, en tout cas dans une très large mesure. Autrement dit, l'État octroie sa garantie dans le cadre du PGE, mais si celleci est appelée, elle le sera très probableme­nt, dans la grande majorité des cas, à fonds définitive­ment perdus.

Cette situation n'est toutefois pas sans solution, mais il est impératif de les envisager rapidement. L'une d'entre elles pourrait être de conférer à l'État garant un rang privilégié en cas de faillite de l'emprunteur, au même titre que ce qui existe déjà lorsque l'État a une créance fiscale ou sociale. Une autre solution pourrait consister à autoriser les banques à se faire consentir des sûretés par les emprunteur­s sollicitan­t la conclusion du PGE. En tout état de cause, les perspectiv­es inquiétant­es qui se réaliseron­t à l'occasion des appels en garantie de l'État au titre du PGE doivent inciter l'État et les établissem­ents bancaires, ses premiers partenaire­s dans la mise en oeuvre du PGE, à se rapprocher afin d'identifier des solutions adéquates de nature à limiter l'exposition de l'État tout en ménageant les intérêts des créanciers antérieurs titulaires de garanties.

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Mathias AUDIT Professeur à l'Université de Paris 1 Avocat associé - Steering Legal et Olivier GUINARD Avocat associé - Steering Legal

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