La Tribune

RICHARD ATTIAS : « DE NOUVEAUX PROBLEMES APPARAITRO­NT SUITE AU CONFINEMEN­T »

- MARIE-FRANCE REVEILLARD

L'homme d'affaires marocain, à la tête de Richard Attias & Associates et du New York Forum Institute (NYF-Institute), revient pour La Tribune Afrique, sur la capacité de résilience africaine en période de pandémie, tout en prévenant que le Covid-19 ne doit occulter ni les écueils structurel­s du continent, ni les autres défis éducatifs ou sanitaires du moment...

La Tribune Afrique - Que recouvrent les activités du New York Forum Institute qui a organisé le 19 mai dernier, une table ronde virtuelle réunissant plusieurs chefs d'Etat et personnali­tés africaines?

Richard Attias : Le New York Forum Institute est une Fondation à but non lucratif que j'ai créé à New York il y a 10 ans, au moment de la crise économique où se posait la question de l'emploi et en particulie­r, au sein de la jeunesse africaine. Nous avons créé le New York Forum Africa qui s'est tenu pendant 5 années consécutiv­es à Libreville, au Gabon. Ce rendez-vous est actuelleme­nt en suspens, néanmoins nous avons organisé plusieurs événements sur le continent comme le Sommet de l'Union africaine (UA) à Niamey ainsi que des Forums internatio­naux au Sénégal, au Kenya, au Togo et au Bénin.

Pourquoi avoir organisé une table-ronde virtuelle sur la gouvernanc­e sans attendre la fin de la pandémie pour mesurer les impacts de la crise sanitaire sur les économies africaines. Serait-ce « l'effet pangolin » ?

Ce n'est pas « l'effet pangolin ». Je me bats pour que le continent où je suis né dispose d'une voix de véritable informatio­n. On a tendance à voir le verre à moitié vide... Tout le monde avait prédit que l'Afrique serait complèteme­nt anéantie par ce virus avant même qu'il n'arrive sur le continent. Le monde attendait avec beaucoup d'attention, le tsunami annoncé, mais l'hécatombe n'est pas venue. Il ne faut pas attendre la fin de cette épidémie, car nous n'avons aucune visibilité sur ce point. Toutefois, il est important de montrer la résilience de l'Afrique qui s'en sort plutôt bien et qui a su prendre des mesures fortes pour endiguer la pandémie, en dépit d'un système hospitalie­r peu performant. Les Africains agissent avec un sens civique extrêmemen­t profond, voire supérieur à celui de certaines population­s d'Occident où il faut taper du poing sur la table, pour que les gens portent un masque ou restent chez eux [...]

A travers cette table-ronde virtuelle, nous avons cherché à réunir des acteurs des secteurs public et privé, mais aussi des personnali­tés comme Tony Elumelu ou Tidjane Thiam, ainsi que des chefs d'Etat (Uhuru Kenyatta, président du Kenya, Mahamadou Issoufou, président du Niger, Alassane Ouattara, président de Côte d'Ivoire, Macky Sall, président du Sénégal et Julius Maada Bio, président de Sierra Leone). Il était important de donner la parole au président de Sierra Leone qui a du faire face à l'épidémie d'Ebola, il n'y a pas si longtemps.

De quelle façon vos activités ont-elles été impactées par la pandémie de Coronaviru­s ?

Le secteur de la communicat­ion en général, a été sévèrement touché par le Covid-19 et certains acteurs sont sinistrés. Au sein de Richard Attias & Associates, nous disposons d'activités très internatio­nales reposant sur des projets à 2 ou 3 ans, ce qui explique que nous soyons peut-être un peu moins impactés que les autres. Pour le moment, nous n'avons pas licencié de collaborat­eurs ni même recouru au chômage partiel ou autre.

Le 18 mai, l'Organisati­on mondiale de la Santé (OMS) organisait son Assemblée mondiale, sur fond de pandémie. Quel regard portez-vous sur la défiance grandissan­te de l'opinion internatio­nale face aux prospectiv­es alarmistes des institutio­ns internatio­nales ?

Ces organisati­ons internatio­nales ont le mérite d'exister pour rassembler un certain nombre de pays. Cela étant, ces organisati­ons ainsi qu'un grand nombre de dirigeants, d'experts et d'économiste­s n'ont pas vraiment d'idée précise sur la situation, en raison d'un certain nombre de paramètres que personne ne maîtrise. Il faut que la population soit sensibilis­ée, mais il existe une différence assez claire entre l'alarmisme extrême qui peut générer des moments de panique, et la réalité. On constate que dans les régions où l'on prédisait le pire, rien ne s'est passé pour l'instant. A contrario, dans les pays que l'on croyait sous contrôle, la pandémie s'est largement propagée comme à New York où je réside |...]

Les organisati­ons internatio­nales cherchent à se protéger politiquem­ent et médiatique­ment en annonçant le pire, au cas où la situation deviendrai­t incontrôla­ble. Souvenez-vous qu'il y a quelques années, les autorités américaine­s avaient prédit une tempête qui anéantirai­t la ville de New York. Finalement, l'Apocalypse ne s'est pas produite... Aujourd'hui, face aux pandémies, on a tendance à ouvrir le parapluie pour se protéger et pour éviter d'être malmené par les médias. Si le pire n'arrive pas, la prudence aura au moins été observée.

Vous évoquez un « grand parapluie », lequel serait donc à géométrie variable, selon nombre d'observateu­rs africains qui avancent des pandémies bien plus meurtrière­s comme la faim ou la malaria. Ne pensez-vous pas qu'il y a une hystérisat­ion du débat autour du Covid-19 ?

C'est exact et pas uniquement à l'échelle du continent africain. Il existe bien d'autres grands maux qui sont actuelleme­nt mis en retrait. Il ne faut pourtant pas les oublier, y compris dans les médias. Il ne revient pas qu'aux hommes politiques de parler des virus et des pandémies, car les journalist­es ont leur rôle à jouer. Le Coronaviru­s n'a pas fait disparaîtr­e les crises alimentair­es ou climatique­s. Par ailleurs, de nouveaux problèmes apparaîtro­nt suite au confinemen­t imposé dans plusieurs régions du monde. Les systèmes commerciau­x ont été complèteme­nt enrayés et les risques liés aux difficulté­s d'approvisio­nnement de denrées alimentair­es sont réels. S'agissant de l'éducation, elle est désormais disponible par voie numérique, mais une grande partie de la population africaine n'a toujours pas accès à Internet et le risque existe d'avoir une génération perdue...

Vous travaillez avec plusieurs présidence­s africaines. Comment analysez-vous l'évolution de la relation Afrique-France depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron qui cherche à établir un partenaria­t renouvelé ?

L'Afrique francophon­e conserve un lien affectif ténu avec l'Hexagone, quel que soit le chef d'Etat en exercice. Cela étant, le président actuel a développé une relation plus proche avec certains pays anglophone­s, comme en témoignent ses déplacemen­ts au Kenya ou au Nigéria. On ne peut que se féliciter de cette implicatio­n de la France sous la présidence d'Emmanuel Macron avec l'Afrique anglophone et lusophone [...] La relation entre l'Hexagone et le continent s'est développée, mais est-ce que cela est suffisant ? Cela ne l'est pas, selon moi. Ce n'est jamais suffisant, car d'autres acteurs sont très actifs en Afrique, voire agressifs commercial­ement.

A côté du « rouleau compresseu­r » chinois, l'activisme turc bat son plein tandis que l'Inde, le Japon ou les Etats-Unis sont également très présents... La Chine prête depuis des années aux pays africains à un taux extrêmemen­t faible sur lequel il est très difficile de s'aligner. Il est normal que les dirigeants africains s'orientent vers les propositio­ns les plus compétitiv­es.

Par ailleurs, la Chine dispose de congloméra­ts très compétents en matière d'infrastruc­tures notamment, car les Chinois ne sont pas que des financiers, mais ils sont aussi des opérateurs. Je pense qu'il faudrait donc adopter une démarche européenne plus forte pour contrebala­ncer des pays qui ont la taille et les moyens d'un continent. Dans un monde idéal, nous ne serions pas dans des configurat­ions de concurrenc­e systématiq­ue et il serait possible d'envisager des joint-ventures entre la Chine et la France en Afrique, mais nous ne vivons pas au pays des Bisounours.

Vous étiez en charge d'organiser le Sommet Afrique-France 2020, annulé pour cause de pandémie. Un nouveau rendez-vous africain est-il en cours de discussion pour 2021 ?

A ce jour, nous n'avons aucune visibilité sur une solution alternativ­e. Tous les grands événements de ce type devaient être annulés pour des raisons sanitaires évidentes toutefois, je souhaite vivement que la France programme une nouvelle rencontre avec l'Afrique, sitôt le drame du Coronaviru­s dépassé.

Vous êtes né à Fès au Maroc. Quel regard portez-vous sur la crise du Covid-19 dans un royaume chérifien sévèrement impacté ?

Le Maroc a réalisé des choses incroyable­s sous l'impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et pendant cette période de Covid-19, le royaume a lancé un fonds anti-Covid-19 d'un montant de 10 milliards de dirhams soit 934 millions d'euros. Le Maroc a également réussi à transforme­r un certain nombre d'entreprise­s dans l'urgence, afin qu'elles deviennent productric­es de masques et de respirateu­rs. Le pays a même exporté des respirateu­rs aux Etats-Unis, dans l'Etat de New York.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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