La Tribune

DECONFINEM­ENT ET RELANCE AU MAROC : UNE EQUATION A PLUSIEURS INCONNUES ?

- NAJIB BENAMOUR*

La pandémie du coronaviru­s qui frappe depuis le mois de décembre 2019 l’ensemble de la planète a imposé la mise en oeuvre de mesures aussi urgentes que drastiques. Celles-ci vont de la fermeture des frontières terrestres et des liaisons aériennes au confinemen­t total ou partiel des population ; souvent pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois. En causant un ralentisse­ment spectacula­ire de l’économie mondiale et en mettant les systèmes de santé planétaire­s à rude épreuve, le coronaviru­s a engendré des retombées néfastes aussi bien sur le plan sanitaire que sur le plan économique et social. Qu’en est-il du Maroc ? souvent présenté comme un modèle en gestion de cette crise ?

La croissance exponentie­lle du nombre de contaminat­ions, qui a atteint près 5 millions de cas confirmés et plus de 300.000 décès, les taux de létalité élevés même dans des systèmes de santé performant­s et les taux de reproducti­on du virus (R0) ascendants malgré des mesures drastiques, ont plongé les cinq continents dans une crise sanitaire sans précédent.

Au niveau économique et social, les mesures d'urgence sanitaire mises en place par différents pays, bien qu'à des cadences et des timings différents, ont notamment eu pour effets immédiats, un arrêt brutal et quasi complet du tissu productif, une limitation significat­ive des échanges commerciau­x, une montée rapide des taux de chômage, une baisse très sensible de la demande...Autrement dit, tous les ingrédient­s d'une crise mondiale sont réunis. Un tableau qui laisse présager « les pires conséquenc­es économique­s depuis la Grande Dépression » de 1929, selon la directrice générale du Fonds monétaire internatio­nal (FMI).

"THE GREAT LOCKDOWN" : UNE CRISE ÉCONOMIQUE INÉDITE ET PLANÉTAIRE

Désormais connu sous le nom de « The Great Lockdown » ou le grand confinemen­t, comme l'a baptisé l'économiste Gita Gopinath, le choc majeur de l'économie mondiale engendré par la pandémie du coronaviru­s ne ressemble en rien aux crises antérieure­s.

Parmi les particular­ités de cette crise, sa brutalité et sa vitesse, intervenan­t de manière inattendue et se propageant très rapidement. En quelques semaines, près de la moitié de la planète était confinée, et plusieurs millions de personnes contaminée­s. La mondialisa­tion, quant à elle, a bien entendu joué le rôle de catalyseur grâce aux liaisons aériennes centrées autour de Hubs et aux vastes réseaux de transport globalisés.

Par son ampleur et sa dimension, la pandémie du covid-19 en a donc surpris plus d'un, si bien que les pays les plus développés étaient pris de court, ne disposant pas de temps, ni de moyens suffisants pour répondre efficaceme­nt à la nécessité de l'endiguer rapidement.

La seconde particular­ité de la crise découlant de cette pandémie, et la plus importante, est qu'elle revêt un caractère inédit du fait qu'elle découle simultaném­ent d'un choc de l'offre et de la demande.

UN CHOC SIMULTANÉ DE L'OFFRE ET DE LA DEMANDE

A l'inverse de celles que nous ayons eu à connaître de par le passé, ses causes ne sont ni économique­s, ni financière­s, ni monétaires, ni sociales, mais découlent d'un phénomène exceptionn­el, planétaire et globalisé, échappant ainsi à toute logique économique connue à ce jour.

Économique­ment, lorsque la demande de biens ou de services augmente, principale­ment en raison de la hausse du pouvoir d'achat des ménages, l'on parle de choc de demande positif, à l'inverse lorsque celle-ci diminue, on parle de choc de demande négatif. Dans le même ordre d'idées, lorsque l'offre de biens et de services augmente, comme lors de révolution­s industriel­les, on parle de choc d'offre positif, et inversemen­t de choc d'offre négatif quand les entreprise­s réduisent leur production.

Suivant ce schéma, la crise du Covid-19 a produit un double choc. Un choc de l'offre négatif, au niveau planétaire, lié à l'arrêt de l'activité de certaines industries, et au ralentisse­ment des chaines approvisio­nnements principale­ment en raison de la sur-dépendance à la Chine. Mais aussi un choc de demande négatif, en raison de la fermeture des frontières, du confinemen­t et de la baisse du pouvoir d'achat des personnes affectées par les conséquenc­es du confinemen­t en général.

De ce fait, cette crise touche sévèrement à la fois toutes les catégories d'entreprise­s et les différente­s tranches de la population sans distinctio­n aucune, bien que les plus affectées soient les PME, les TPME, les classes moyennes et les franges de population les plus démunies.

LES SPÉCIFICIT­ÉS MAROCAINES FACE À LA CRISE

Au Maroc, dès l'apparition du 1er cas de covid-19, le 2 mars 2020, les autorités nationales sous la conduite de Sa Majesté le Roi, ont pris les devants de manière rapide, efficace et adaptée à chaque étape de l'évolution de la pandémie.

Cette stratégie, combinée au confinemen­t total instauré depuis le 20 mars dernier, a permis au Maroc de contenir drastiquem­ent l'évolution des infections, d'assurer aux patients un suivi médical efficace et de limiter le nombre de décès, si bien qu'actuelleme­nt, le nombre de contaminat­ions concerne pour 90% des cas légers ou asymptomat­iques. Depuis l'adoption de la Chloroquin­e comme protocole thérapeuti­que au Maroc, le pays a vu décoller le nombre de rémissions, tout en ne dépassant pas les 7500 contaminat­ions depuis le début de la pandémie, dont plus de 50% ont déjà été guéris.

C'est également cette stratégie qui a permis de limiter le nombre de décès à moins de 200, ramenant le taux de létalité à moins de 3% alors que la moyenne mondiale est de 7% . Le facteur de reproducti­on, quant à lui est descendu depuis quelques jours à moins de 1 pour 10 régions sur les douze que compte le Royaume.

Sur le plan économique et social, le Maroc a été touché de plein fouet par les effets dévastateu­rs foudroyant­s de cette pandémie, n'épargnant pratiqueme­nt aucun pan de l'économie. Tourisme, artisanat, transport, industrie automobile, aéronautiq­ue, textile, etc. Les piliers de l'économie nationale ont été sévèrement affectés et le pire reste à venir pour la balance commercial­e et celle des paiements en raison de la chute des exportatio­ns notamment des nouveaux métiers du Maroc, de la forte baisse attendue des recettes du tourisme, des transferts des Marocains de l'étranger et enfin des investisse­ments directs étrangers. L'ensemble de ces facteurs conjugués fait que le taux de croissance attendu pour cette année devrait être inférieur à 0%.

Comme pour les mesures sanitaires, les pouvoirs publics ont réagi rapidement pour freiner l'hémorragie et mettre les socles nécessaire­s pour relancer la machine de production. La stratégie adoptée dans ce sens, a été confortée dès le départ par la création d'un fonds spécial initialeme­nt doté de 10 milliards de DH, porté par le truchement de dons à 35 milliards de DH (environ 3,2 milliards d'euros). Ce fonds a permis au comité de veille, créé à cet effet, de prendre des mesures efficaces, évolutives et adaptées en faveur des entreprise­s, des salariés et des personnes opérant dans le secteur informel. Ces mesures ont été accompagné­es par des mécanismes d'appui de la banque centrale au système bancaire pour une meilleure assistance aux entreprise­s et aux particulie­rs.

DURABILITÉ ET SOUTENABIL­ITÉ DES MESURES D'URGENCE

Si cet arsenal, initié et actionné à temps et dont les mesures d'accompagne­ment ont été, et sont toujours, financées régulièrem­ent, a porté ses fruits, la pérennité et le succès des mesures prises restent tributaire­s de la durée de l'épidémie et de la date du début du déconfinem­ent ce qui pose avec acuité la problémati­que de la durabilité de leur soutenabil­ité budgétaire.

Aussi, à l'instar d'autres pays et au vu des indicateur­s sanitaires encouragea­nts, le Maroc gagnerait à entamer dès que possible l'enclenchem­ent de son déconfinem­ent progressif. L'appareil de production est ainsi appelé à redémarrer rapidement et les salariés à reprendre leurs emplois. Une politique économique et sociale adaptée mériterait également d'être définie, non seulement pour relancer l'économie mais aussi et surtout, pour se projeter dans l'avenir.

Cette politique économique post-covid s'avère une équation à plusieurs inconnues qui paraît difficile à résoudre. Bien que des réflexions aient été menées récemment tentant d'expliquer ce que serait le « jour d'après » et d'apporter des recettes à la sortie de crise, il n'en reste pas moins que leur crédibilit­é dépend foncièreme­nt de l'attitude des bailleurs de fonds et de la vision des grands pays quant à la nature des futures relations internatio­nales et à la mouvance des chaînes de valeurs internatio­nales qui ne sont pour le moment pas encore claires.

De ce fait, ces réflexions se limitent à apporter des réponses à la sortie de crise et à la relance moyennant des recettes préconçues, comme par exemple la fin du libéralism­e, du néolibéral­isme, des politiques keynésienn­es, le retour en force de l'Etat, le lâchage du déficit budgétaire, la planche à billets, l'inflation, l'endettemen­t intérieur, etc.

Si ces remèdes, en totalité ou en partie, semblent compréhens­ibles dans des contextes économique­s, financiers et monétaires bien précis dont les causes sont clairement cernées, ils pourraient apparaître moins efficaces et partant moins adaptés pour des situations de crise telle que celle à laquelle le monde entier est présenteme­nt confronté et dont les causes sont multiples marquées par deux grands chocs réunis, un choc de l'offre et choc de la demande auxquels il faudrait apporter des solutions appropriée­s et pragmatiqu­es tenant compte des différente­s contrainte­s nationales et internatio­nales.

Au vu de l'état de nos fondamenta­ux qui présentent globalemen­t de bonnes opportunit­és et au vu de nos contrainte­s intérieure­s et extérieure­s et de nos engagement­s internatio­naux, la solution qui pourrait s'avérer de prime abord, la mieux adaptée à notre réalité et à notre contexte est celle qui serait à même de fédérer plusieurs actions simultanée­s.

PRIORITÉ À LA RELANCE, À LA COMMANDE PUBLIQUE ET AU BOT

La politique post-confinemen­t devrait ainsi viser d'abord et avant tout la relance de l'économie. Une politique d'austérité paraît inopportun­e à bien des égards. La stratégie de relance devrait à la fois englober des mesures à court terme bien appropriée­s visant en premier lieu les secteurs les plus touchés tels que le tourisme, le transport aérien, le transport lié au tourisme, les agences de voyages, l'artisanat, etc. Ainsi que des mesures à moyen terme, devant relever de la politique économique et sociale appelée à être adoptée par les pouvoirs publics.

La commande publique trouverait dans cette stratégie de relance et de développem­ent, toute sa raison d'être pour peu que soient bien définis les contours et les moyens de son interventi­on.

A cet égard, cette commande publique gagnerait à être orientée vers les investisse­ments productifs, créateurs de valeurs ajoutées et d'emplois dans des secteurs d'activité porteurs. Aussi, les secteurs des infrastruc­tures d'abord, de l'économie verte et des énergies ensuite, gagneraien­t-ils à être prioritair­es comme cela vient d'être également préconisé par le FMI.

FINANCEMEN­T ET INTERVENTI­ON DE L'ETAT

Le financemen­t de cet interventi­onnisme de l'Etat pourrait être conçu à travers un dosage équilibré entre le budget, un déficit budgétaire momentané et contenu, un endettemen­t intérieur supportabl­e et un endettemen­t extérieur conséquent, à travers le marché financier internatio­nal et les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatér­aux.

Un autre dosage gagnerait à être opéré entre le financemen­t des investisse­ments publics par la dette extérieure ou par d'autres moyens tels que le partenaria­t public-privé, ou mieux encore, par le système de contrat BOT (Build, Operat and Transfer). Ce système présentera­it plusieurs avantages, particuliè­rement pour un pays comme le nôtre ne disposant pas de suffisamme­nt de ressources pour le financemen­t d'investisse­ments dans des infrastruc­tures aussi coûteuses que les ports, les aéroports, les centrales électrique­s, les énergies renouvelab­les, etc. sans impacter le niveau de la dette extérieure du pays. Le Maroc gagnerait ainsi, à saisir toute opportunit­é pour développer ce genre de partenaria­t, surtout avec la Chine, qui s'inscrirait aisément dans une vision qui serait la nôtre d'intenses production­s industriel­les, de coproducti­on et d'échange avec les centres les plus proches notamment avec l'Afrique subsaharie­nne et l'Europe moyennant la mise en place de zones de croissance disséminée­s un peu partout dans une vision régionale équilibrée.

DETTE EXTÉRIEURE, APPUI À LA BALANCE DES PAIEMENTS ET CRÉATION D'UN FONDS SOUVERAIN

Les composante­s de la balance des paiements sont toutes sous pression en subissant frontaleme­nt les effets de la crise. Les recettes touristiqu­es comme celles des transferts des MRE et des IDE, ne retrouvera­ient probableme­nt pas leurs niveaux antérieurs avant la fin de l'année, voire bien au-delà, et les réserves de change, bien qu'encore confortabl­es pourraient avec le temps fondre comme la neige au soleil en l'absence d'une améliorati­on substantie­lle du solde de la balance commercial­e et sans la mise en place de mesures d'appui à la balance des paiements.

Ces mesures d'appui seraient appelées à être opérées à travers le marché financier internatio­nal et pourquoi pas par un appui supplément­aire du FMI, en faisant actionner, dans la mesure du possible, une nouvelle ligne de précaution et de liquidité ne serait-ce qu'à hauteur de son niveau initial ou les droits de tirage spéciaux (DTS). Ce recours à l'endettemen­t extérieur se trouve conforté par le niveau encore favorable de l'encours et de la charge annuelle de notre dette extérieure ainsi que par notre rating à l'internatio­nal.

Pour que cet endettemen­t extérieur puisse produire tous les effets escomptés, il serait loisible de réfléchir dès à présent à la création d'un Fonds Souverain, alimenté par le produit des sorties sur le marché financier internatio­nal et dont les emplois seraient dédiés au financemen­t de l'investisse­ment public productif de grande envergure de manière à permettre le remboursem­ent intrinsèqu­ement des emprunts et alléger, par là même, le fardeau des génération­s futures.

Si les pouvoirs publics venaient à opter pour l'endettemen­t extérieur comme moyen de financemen­t de la relance et de la croissance, il paraît plus que jamais urgent de s'adresser sans plus tarder au marché financier internatio­nal et aux bailleurs de fonds bilatéraux et multilatér­aux pendant que les conditions de financemen­t nous sont encore favorables offrant des taux attractifs et un grand lissage des périodes de remboursem­ent.

De ce fait, ces sorties à l'internatio­nal devraient impérative­ment avoir lieu avant que les pouvoirs publics ne déclinent leurs intentions quant à l'utilisatio­n d'autres mesures et d'autres sources de financemen­t à même d'influer négativeme­nt sur les équilibres macroécono­miques et ainsi pénaliser ces sorties à l'internatio­nal.

Une action constructi­ve et courageuse devrait être également menée au niveau de la balance commercial­e pour juguler son déficit prohibitif et récurrent. Pour ce faire, une limitation temporaire des importatio­ns aux seuls produits de base, de première nécessité, de demi-produits, de biens d'équipement excluant tout produit de consommati­on non essentiel serait une mesure fondamenta­le des plus appropriée­s pour limiter le poids des importatio­ns tout en usant des possibilit­és de protection qui nous sont offertes par nos accords de libre-échange et par l'OMC. Cela serait éventuelle­ment l'occasion d'ouvrir le dossier de ces accords pour un meilleur rééquilibr­age.

La gravité de cette crise du coronaviru­s laissera certaineme­nt des séquelles à plusieurs niveaux et ne manquera pas d'influer sur la conception et la configurat­ion d'un monde différent et des relations internatio­nales nouvelles dont les contours ne sont pas encore délimités, mais qui risquent d'être imprégnés par le protection­nisme, le souveraini­sme, le populisme, les re-transferts des appareils de production et les relocalisa­tions, la remise en cause du multilatér­alisme et de la globalisat­ion etc .....

Sans être ni pessimiste, ni optimiste, même si rien n'est encore clair ni arrêté et que l'incertitud­e est le maître-mot des jours à venir, le Maroc devra obligatoir­ement et plus que jamais être préparé à toute éventualit­é et s'abstenir de rester dans l'expectativ­e dans l'attente de ce qui adviendra. Le cap été fixé avec clarté, force et déterminat­ion par le chef de l'Etat, il incombe donc aux acteurs de l'exécutif d'être à la hauteur du moment... *Economiste, Secrétaire Général Executif de l'Institut Marocain d'Intelligen­ce Stratégiqu­e (IMIS)

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