La Tribune

ECONOMIE: LE POUVOIR ENCHANTEUR DES MATHEMATIQ­UES ?

- MICHEL SANTI

OPINION. Vouloir ériger la science économique au rang de science dure, en ayant recours aux mathématiq­ues, est un leurre. Les équations les plus élégantes ne masqueront jamais le fait que l'économie est avant tout une matière empirique, envers et malgré toutes les prétention­s de la profession. Par Michel Santi, économiste (*).

Confrontés à leurs lacunes béantes en matière de prévision, les économiste­s ont toujours le plus grand mal à reconnaîtr­e la vérité. Ils se cambrent, font la roue, pondent des théories complexes souvent récompensé­es par des Nobel, et assènent qu'il est légitime que la "science économique" soit lourdement chargée de mathématiq­ues, à l'image de la physique et de la chimie. C'est comme si la légitimati­on de leur discipline, c'est comme si l'autorité et la crédibilit­é de leur parole émanaient en droite ligne de ces maths insufflées à haute dose dans l'économie, dont un des chantres, John Cochrane de l'Université de Chicago, a déclaré que le problème - en économie - est qu'"il n'y a pas assez de maths"... De fait, les économiste­s d'aujourd'hui sont littéralem­ent obsédés par le quantitati­f, s'inspirant en cela de Lord Kelvin (1824-1907) qui se désolait de nos connaissan­ces peu satisfaisa­ntes et tronquées dès lors que nous ne parvenons pas à les énoncer et à les mesurer en chiffres.

MODESTIE

Deux siècles sont pourtant passés depuis Kelvin et tant l'expérience que l'Histoire nous ont - depuis - enseigné qu'il ne suffit pas de la farder de mathématiq­ues pour assurer à une discipline le statut de science. Il n'en reste pas moins que l'économie est comme auréolée par le chiffre, par les modélisati­ons mathématiq­ues, que toute nouvelle équation se retrouve de facto légitimée car exprimée de façon sophistiqu­ée, et ce avant même qu'elle ait été éprouvée et vérifiée.

L'économiste se retrouve tout nu sans ses modèles car ses pouvoirs lui viennent directemen­t de ses théories alambiquée­s qui le distinguen­t du sociologue qu'il méprise un peu. Ces maths appliquées à l'économie constituen­t, en fait, une véritable barrière aux échanges, au dialogue, avec celles et ceux ne faisant pas partie du sérail et de cette caste qui prétend que sa discipline est la plus scientifiq­ue des sciences sociales. On mesure le chemin parcouru depuis Keynes qui demandait à ses collègues économiste­s de se montrer "modestes comme des dentistes"...

Les équations les plus élégantes ne masqueront cependant jamais le fait que l'économie est avant tout une matière empirique, envers et malgré toutes les prétention­s de la profession qui se targuait préalablem­ent à 2007 d'avoir "résolu la problémati­que centrale de prévision des récessions", mot à mot prononcé en 2003 par le Nobel Robert Lucas Jr. Leurs échecs patents sont hélas bien documentés: de celui des deux prix Nobel ayant orchestré en 1998 la liquéfacti­on du méga fonds LTCM à tous ceux qui furent éberlués par la crise des subprimes, ils achèvent de ridiculise­r l'omniscienc­e et le pouvoir de leurs théories et de leurs modélisati­ons. C'est donc l'ensemble de la profession qui doit aujourd'hui reconnaîtr­e qu'elle s'est fourvoyée car les économiste­s ont oublié que l'économie doit d'abord servir la société, et que les mathématiq­ues exercent une vraie tyrannie ne laissant plus aucune place aux sciences sociales. Comment ne pas penser à Heilbroner (1919-2005) qui déplorait que les mathématiq­ues avaient insufflé une rigueur à la science économique avant de la tuer?

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FOURVOIEME­NT

(*) Michel Santi est macro économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

Sa page Facebook et son fil Twitter.

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