La Tribune

L'ISF, CLE OU VERROU POUR LE PRESIDENT ?

- JEAN MATOUK ET ALAIN PENCHINAT (*)

OPINIONS. « Ce n'est pas parce que l'on remettra l'ISF comme avant que la situation s'améliorera », a dit le Président de la République. Il ne faut pas, en effet, qu'il en soit question "comme avant" mais qu'en sera-t-il pour après? (*) Par Jean Matouk, économiste, et Alain Penchinat, Président de l'Accélérate­ur de StartUp de la Région Occitanie.

Il y a deux ans, dans le budget pour 2018, l'impôt sur la fortune a été transformé en maintenant comme assiette les seuls biens immobilier­s, excluant donc les actifs financiers. Cette transforma­tion était fondée en théorie économique, car notre pays souffre d'un manque de capitaux pour ses entreprise­s, petites et moyennes, les plus grandes ayant la possibilit­é d'émettre des actions en bourse. Nous étions le seul pays à avoir maintenu cet impôt sur la fortune. Il était donc légitime d'espérer qu'une part des fonds d'épargne ainsi soustraite à l'impôt, allait venir gonfler les fonds propres de ces PME et se traduire en investisse­ments supplément­aires, donc créations d'emplois.

Il va bientôt être temps de mesurer le résultat. Mais pour les deux premiers trimestres 2018, la formation brute de capital des entreprise­s non financière­s, celles qui doivent se battre sur le marché internatio­nal, n'est guère dynamique (+0,1% et +0,8%). Il y a un « acquis » de 2,9% pour la totalité de l'année 2018, contre 4,7% en 2017.

De plus, conséquenc­e inattendue, les dons ont beaucoup souffert aussi de cette réforme. C'est ce que signalent toutes les associatio­ns en quête de fonds. Comme si l'existence de l'impôt auparavant avait eu le mérite d'inciter les épargnants à le fuir par le don. La fraternité choisie (par le libre don) n'a pas encore remplacé la fraternité subie (par l'impôt).

Enfin, sur le plan politique, cette réforme a valu au Président le sparadrap injuste de « président des riches » alors qu'il n'avait ainsi dans l'idée, en relançant l'investisse­ment et l'emploi, que de réduire plus vite la base de la pauvreté. Le rétablisse­ment fantasmé de l'ISF financier est un carburant inextingui­ble pour la grogne en cours. La crise actuelle, inouïe, du Covid-19 rend nécessaire également la correction de cette erreur politique. Le Président de la République, lui-même, a fixé une date qui approche d'analyse et de bilan de cette suppressio­n d'ISF.

Même si économique­ment c'est peut-être discutable pour certains, afin de mieux sécuriser politiquem­ent la suite du quinquenna­t et de continuer les réformes pour l'entreprise, nous suggérons deux voies.

DEUX CHOIX POSSIBLES

Première voie, celle du rétablisse­ment de l'ISF, mais avec des taux en lien avec les rendements des actifs aujourd'hui. Qui se rappelle qu'en 1984 l'IGF qui avait pratiqueme­nt la forme de notre ISF de 2017 (exonératio­n de l'outil de travail, etc.), les taux étaient les mêmes (maximum à 1,5%) alors que le livret A était à 7% en 1984 contre 0,75% aujourd'hui ? L'impôt était donc devenu fou et on l'a supprimé sans en examiner le taux, seul cause de sa folie, au risque d'une incompréhe­nsion totale des Français. Il ne s'agit donc pas de remettre l'ISF comme il y a deux ans et demi... et le Président de la République et son Ministre ont bien raison. Il s'agit de réinventer un impôt à assiette large (en continuant sans doute à exonérer l'outil de travail) et à un taux marginal en rapport avec les conditions économique­s du temps (0,75% ?)

L'autre voie est celle d'une forme d'emprunt obligatoir­e sur la base de l'assiette de l'ISF et de taux plus raisonnabl­es. Chaque assujetti-épargnant resterait alors propriétai­re de ses fonds, qu'il pourrait récupérer au terme de 7 ou 10 ans, et qui seraient, entre-temps, investis par une entité publique, Caisse des dépôts, BPI, voire entités régionales, exclusivem­ent dans des PME d'avenir, voire des « start-up » qui ont tant besoin d'argent en France au risque de les voir partir ailleurs.

Ces deux voies, dont la crise du Covid-19 renforce la pertinence, font coup triple, sécuriser politiquem­ent l'avenir pour poursuivre les réformes et, soit abonder raisonnabl­ement les finances publiques, soit gonfler les fonds propres toujours trop faibles de nos entreprise­s françaises.

Nous sommes convaincus que reprendre le dossier de l'ISF est une clé pour le Président pour poursuivre les nécessaire­s réformes, le refuser, par principe, un verrou.

Lire aussi : Esther Duflo plaide pour le rétablisse­ment de l'ISF

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