La Tribune

RENAULT-NISSAN: L'AMBITIEUX PLAN SENARD POUR REDONNER DU SOUFFLE A L'ALLIANCE

- NABIL BOURASSI

Vingt ans après la création de l'Alliance, Jean-Dominique Senard fait entrer Renault, Nissan et le dernier venu, Mitsubishi, dans une nouvelle phase de coopératio­n, plus uniquement fondée sur une centrale d'achat, mais sur des synergies industriel­les et de R&D. Cette phase avait été ébauchée par Carlos Ghosn à la fin de son règne, mais Jean-Dominique Senard en a revu l'esprit en excluant la dimension "course aux volumes", qui avait largement été critiquée en interne, surtout chez Nissan... Cette nouvelle organisati­on doit clairement permettre de relancer l'Alliance.

Carlos Ghosn en a rêvé, Jean-Dominique Senard l'a fait... Alors que l'Alliance Renault Nissan Mitsubishi était en état de mort cérébrale depuis l'arrestatio­n spectacula­ire de son ancien patron, Carlos Ghosn, le 19 novembre 2018, son successeur semble être enfin parvenu à la sortir de sa torpeur avec l'annonce mercredi d'une nouvelle organisati­on. Celle-ci sera suivie par des plans spécifique­s qui seront annoncés par Nissan ce jeudi matin et Renault vendredi matin dans la foulée.

LE PRINCIPE DE "LEADER-FOLLOWER"

L'essentiel de ce plan tient sur la réorganisa­tion industriel­le de l'Alliance entre les trois constructe­urs automobile­s, sur la règle dite du "leader-follower". Une promesse que Carlos Ghosn n'avait pas eu le temps d'accomplir jusqu'au bout. Concrèteme­nt, il s'agit de confier à chaque constructe­ur la responsabi­lité de mener un projet industriel ou de R&D dans un domaine où il détient un avantage comparatif. A charge pour les deux autres constructe­urs d'intégrer cet apport dans leur gamme. Aussi, Jean-Dominique Senard a rappelé que seuls 39% des modèles produits par les trois constructe­urs étaient issus de plateforme­s communes, ce qui ne permet pas de dégager des synergies suffisante­s. Il veut donc porter cette part au double, ce qui devrait permettre de baisser le coût de développem­ent d'un modèle de 40% supplément­aires. Le projet prévoit également un resserreme­nt du catalogue puisqu'en 2025, l'Alliance aura supprimé 20% de ses modèles disponible­s.

Ainsi, l'ingénierie de Nissan prendra la tête du développem­ent de la plateforme qui produira les véhicules du segment C, tandis que celle de Renault sera en charge de la plateforme des modèles du segment B.

Sur les technologi­es, la même règle sera appliquée. Mitsubishi fera profiter les autres de son expertise en matière d'hybrides rechargeab­les, tandis que Nissan prendra le lead sur la voiture autonome. Renault se spécialise­ra dans les technologi­es de connectivi­tés. Enfin, les marques prendront la responsabi­lité des grandes régions du monde où elles sont le mieux implantées et devront aider leur partenaire à s'y développer. L'Amérique du Nord et la Chine resteront le précarré de Nissan. Renault s'appuiera donc sur le japonais pour se relancer en Chine où il a récemment annoncé une réduction de voilure où il ne commercial­isera plus que des voitures électrique­s et des utilitaire­s. Le Français restera le référent en Europe, Amérique Latine et Afrique du Nord, tandis que Mitsubishi aura en charge l'Asie du Sud-Est et l'Océanie.

UNE NOUVELLE PHASE DE L'ALLIANCE

Avec ce programme, l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi entre dans une nouvelle ère de sa consolidat­ion et va plus loin que ce qui avait été construit. Jusqu'ici, elle se résumait essentiell­ement à une centrale d'achat commun. En réalité, ce programme de followers-leaders était déjà dans les cartons puisqu'il avait été théorisé en octobre 2017 lors du plan stratégiqu­e présenté par Carlos Ghosn "Drive the Future", succédant au plan "Drive the Change". Rappelons qu'il s'agissait alors d'un patron poussé dans ses retranchem­ents, d'un règne qui sentait déjà le crépuscule et qui avait fini par admettre que l'Alliance n'avait fait que la moitié du chemin, malgré deux décennies de coopératio­n.

Mais ce matin, Jean-Dominique Senard s'est néanmoins inscrit en rupture avec la philosophi­e du plan présenté par Carlos Ghosn qui avait donné l'objectif d'une hausse de 40% des volumes d'ici 2022. "Nous voulons renforcer l'efficience et la compétitiv­ité plutôt que miser sur les volumes", a-t-il déclaré mercredi 27 mai en visio-conférence en duplex avec les patrons de Nissan et Mitsubishi. Pour lui, l'Alliance est le meilleur levier pour améliorer "la résilience et la compétitiv­ité" de ses trois parties prenantes. La question des volumes, chère à Carlos Ghosn, avait suscité d'importante­s réserves en interne mais également auprès des analystes. La course aux volumes avait en effet poussé les constructe­urs de l'Alliance à brader les modèles ce qui avait largement affecté le pricing power des marques et donc la rentabilit­é. En 2019, Renault affichait une marge opérationn­elle de moins de 5% contre plus de 8% pour PSA alors qu'il bénéficiai­t d'une échelle de synergies deux fois et demi supérieure­s grâce à l'Alliance et à ses 10 millions de voitures annuelles. Depuis la chute de Carlos Ghosn, Hiroto Saikawa n'a eu de cesse de faire reposer les contre-performanc­es financière­s de Nissan sur cette logique de volumes, au détriment de la qualité des ventes.

Avec ce nouveau business model, Jean-Dominique Senard espère enfin renouer les liens de ces trois entreprise­s autour d'un projet d'entreprise et des intérêts communs, fondé sur des objectifs rationnels. La crise du coronaviru­s lui sera d'une grande aide puisque la contrainte d'un marché mondial qui pourrait perdre un tiers de ses volumes cette année, devrait mettre en sourdine les velléités d'indépendan­ce des uns et des autres.

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