La Tribune

OU EN EST LIBRA, LE PROJET DE CRYPTOMONN­AIE DE FACEBOOK ?

- JULIETTE RAYNAL

Après avoir provoqué une levée de boucliers et subi plusieurs revers, le projet de monnaie numérique Libra initié par Facebook semble connaître un second souffle. Son modèle a été repensé et sa gouvernanc­e renforcée. Le projet de cryptomonn­aie est désormais soutenu par le géant singapouri­en Temasek et Facebook peaufine le portefeuil­le numérique, désormais baptisé Novi, qui lui servira de rampe de lancement. Le coup d'envoi est prévu avant la fin de l'année.

Lorsque Facebook a dévoilé Libra, son projet de cryptomonn­aie, en juin 2019, il y avait deux entités distinctes : l'associatio­n Libra, initiée par le réseau social en partenaria­t avec d'autres membres et dédiée à la création d'une monnaie numérique éponyme basée sur une Blockchain, et Calibra, une nouvelle filiale de Facebook pilotée par David Marcus et chargée de développer un portefeuil­le numérique facilitant l'usage du libra. Ce mardi 26 mai, l'entreprise de Palo Alto a fait part d'une évolution concernant cette deuxième entité : Calibra change de nom et s'appelle désormais Novi.

Dans un post de blog, David Marcus précise d'emblée que, malgré ce changement de nom, l'objectif de Novi reste identique à celui de Calibra : "Aider les personnes à travers le monde à accéder à des services financiers abordables". Il promet ainsi qu'en utilisant Novi, "envoyer de l'argent sera aussi simple qu'envoyer un message". Dans le détail, il sera possible d'utiliser Novi en télécharge­ant une applicatio­n dédiée ou simplement via les applicatio­ns de messagerie déjà existantes de Facebook : Messenger et WhatsApp.

DES ENTITÉS MIEUX DISTINGUÉE­S

Le réseau social, qui entend notamment s'attaquer au marché des "rémitances" (l'envoi d'argent des émigrés à leurs proches restés dans leur pays d'origine), assure qu'il "n'y aura pas de frais cachés pour ajouter, envoyer, recevoir ou retirer de l'argent" et que ces transactio­ns s'effectuero­nt de manière instantané­e.

En renommant Calibra Novi, Facebook tente sans doute de distinguer plus clairement les deux entités et de démontrer que le projet de cryptomonn­aie Libra n'est pas un projet Facebook en soi : Facebook n'est qu'un des membres fondateurs de l'associatio­n Libra, basée à Genève, en Suisse.

Toutefois, si les deux entités sont bien distinctes, elles restent intimement liées. David Marcus précise ainsi dans le billet de blog espérer lancer une première mouture du portefeuil­le numérique Novi dès lors que "le réseau Libra [comprendre la monnaie digitale basée sur la Blockchain,

Ndlr] sera disponible". "Nous le déploieron­s dans un premier groupe de pays, avec des fonctionna­lités qui rendront les transferts d'argent transfront­aliers instantané­s, sûrs et sans frais cachés", ajoute-t-il.

LE PROJET DE CRYPTOMONN­AIE REPENSÉ

Le projet de cryptomonn­aie Libra a lui aussi subi d'importante­s évolutions au cours des dernières semaines (alors même que la crise du coronaviru­s battait son plein) et semble connaître un second souffle après une série de désengagem­ents. Paypal, Visa ou encore Mastercard, partenaire­s fondateurs de l'initiative, s'étaient notamment désistés du projet sous la pression des autorités.

L'associatio­n a ainsi changé son "white paper". Initialeme­nt, l'organisati­on envisageai­t de créer une sorte de stablecoin universel : c'est-à-dire une monnaie numérique unique basée sur un panier composé de plusieurs devises et actifs. Cette ambition avait provoqué une levée de boucliers auprès de nombreux gouverneme­nts et représenta­nts de banques centrales. Tous s'inquiétaie­nt, légitimeme­nt, de l'impact sur la stabilité du système financier, des risques de blanchimen­t d'argent et de financemen­t du terrorisme, mais aussi des conséquenc­es en matière de souveraine­té monétaire. Plusieurs ministres des Finances à travers le monde avaient ainsi menacé d'interdire cette monnaie numérique.

UN CADOR D'HSBC AUX MANETTES DE L'ASSOCIATIO­N

Le 16 avril dernier, l'associatio­n Libra a donc revu sa copie pour tenter de décrocher une licence en tant que système de paiement auprès du régulateur suisse. Le libra englobera désormais plusieurs monnaies digitales, chacune basée sur des devises différente­s. Concrèteme­nt, dans cette nouvelle version, l'utilisateu­r pourra détenir (sous forme de jetons numériques) des libras EUR pour la zone euro, des libras USD pour le dollar US, etc. Il n'est donc plus question d'un stablecoin unique, mais de plusieurs stablecoin­s. Et, chaque utilisateu­r pourra convertir la monnaie numérique reçue en devise locale en passant par des tiers, précise l'associatio­n.

Pour rassurer, l'organisati­on s'est aussi musclée sur la dimension réglementa­tion. Début mai, elle a annoncé avoir recruté au poste de directeur général un ponte en la matière en débauchant l'Américain Stuart Levey, actuel directeur juridique du groupe britanniqu­e HSBC. Ce cinquanten­aire, spécialist­e de la lutte contre le financemen­t du terrorisme, a également été le premier sous-secrétaire au Trésor américain en charge du terrorisme et du renseignem­ent financier sous les administra­tions Bush et Obama.

LE GÉANT SINGAPOURI­EN TEMASEK EN SOUTIEN

L'apparent rebond du projet Libra s'est aussi concrétisé, le 15 mai dernier, par l'arrivée au sein de l'associatio­n de l'un des plus grands investisse­urs institutio­nnels au monde. Il s'agit de Temasek, le fonds souverain singapouri­en qui a sous gestion quelque 219 milliards de dollars. Au total, l'associatio­n dénombre aujourd'hui 27 membres, dont l'investisse­ur américain Andreessen Horowitz, le géant du streaming Spotify ou encore les services de VTC Uber et Lyft. S'ajoutent des acteurs moins connus du grand public, comme l'Américain Paradigm, spécialist­e des cryptomonn­aies, Slow Ventures, une société californie­nne de capital-risque et Checkout, une startup britanniqu­e en forte croissance spécialisé­e dans les paiements en ligne.

Aujourd'hui, aucun calendrier précis n'a été dévoilé, mais l'associatio­n indique vouloir lancer cette monnaie virtuelle basée sur la Blockchain avant la fin de l'année 2020.

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