La Tribune

COVID-19 ET PME: LE PLAN D'ACTION EST EN FONDS PROPRES

- CHRISTOPHE MOUSSU ET MARTI SUBRAHMANY­AM

TRIBUNE - Le choc que nous affrontons n'est pas un ralentisse­ment économique classique lié au cycle d'affaires, mais un choc qui n'apparaît qu'une fois tous les siècles. Il faut injecter des fonds propres dans les entreprise­s, pas de la dette pour faire face à la vague de faillite qui va déferler sur les entreprise­s. Une propositio­n émise au niveau européen est à l'étude. Elle doit être doublée d'initiative­s au niveau national.

En France, les PME représente­nt plus de 70 % de l'emploi des entreprise­s privées en France, et plus de 10 millions de salariés. La plupart de ces entreprise­s ont des trésorerie­s au mieux limitées à quelques mois d'activité. Les mesures très rapides prises par le gouverneme­nt, ont permis de faire face aux problèmes de liquidités et de maintenir l'emploi.

Quelle sera la suite ? Il est évidemment encore tôt pour le dire tant les hypothèses d'évolution du virus sont multiples. Il est très probable que la reprise de l'activité va se faire de manière lente avec de nombreux soubresaut­s. Philip Lane, économiste en chef de la Banque Centrale Européenne (BCE), n'envisage pas de retour au niveau d'activité pré-crise avant fin 2023. L'incertitud­e est donc très importante, s'apparentan­t plus à celle que l'on observe dans la création ou les premières phases de développem­ent d'une entreprise qu'à une ouverture après une pause estivale.

LES RISQUES D'UN FINANCEMEN­T PAR DETTE DES PME

Face à un choc complexe d'offre et de demande, une combinaiso­n de politique monétaire et d'interventi­on fiscale à grande échelle sont nécessaire­s. En ouvrant le guichet de la BCE et en incitant les banques à prêter, on compte sur le crédit pour soutenir les entreprise­s. Or comme pour des entreprise­s en création ou en développem­ent, ce ne sont pas de dette dont les entreprise­s ont besoin mais de fonds propres. Le financemen­t par dette a de nombreux inconvénie­nts. Il dégrade la structure financière d'entreprise­s souvent trop endettées avant la crise. Il pousse à des comporteme­nts de prise de risque excessif et induit des comporteme­nts de sous-investisse­ment. Enfin, il augmente les licencieme­nts et décourage l'embauche de salariés, pesant ainsi sur la demande. La conversion de dette en fonds propres n'est pas garanti, sauf si le chemin de la croissance et des profits est fort. Rien n'est moins sûr.

Des réflexions sont menées en France et ailleurs sur la possibilit­é de convertir la dette garantie par l'Etat ou des retards de charge en fonds propres. Nous considéron­s qu'une conversion ex post de la dette en fonds propres ne véhicule pas les mêmes incitation­s qu'un financemen­t initial en fonds propres. Déjà, il génère des problèmes complexes de transfert de valeur entre les différente­s catégories de bailleurs de fonds. Ensuite, la majorité des entreprise­s chercheron­t à refinancer leur dette en s'endettant de nouveau. Cela induit des structures financière­s dégradées avec des effets négatifs sur l'investisse­ment, l'emploi et le capital organisati­onnel des entreprise­s. Seules les mauvaises entreprise­s convertiro­nt, laissant l'Etat (ou les banques ?) avec un portefeuil­le d'entreprise­s sous-performant, duquel il sera extrêmemen­t compliqué pour l'Etat de sortir à l'avenir.

LA PROPOSITIO­N D'UN FONDS EUROPÉEN EST À L'ÉTUDE

Un projet de fonds d'investisse­ment en fonds propres destiné à soutenir les PME européenne­s affectées par la crise a été proposé par un groupe de professeur­s*. L'intérêt d'un fonds européen est de mieux diversifie­r les risques. Le mécanisme d'investisse­ment proposé est simple et universel. Du cash est injecté par le fonds dans les PME contre une participat­ion aux bénéfices futurs, prenant la forme d'une surcharge fiscale sur plusieurs années, avec une possibilit­é de rachat par l'entreprise. Ce mécanisme d'injection de liquidités s'apparente ainsi à des quasi fonds propres et non à de la dette, dans le sens où il n'y a pas de remboursem­ent mais bien un retour de l'argent investi en fonction du niveau de performanc­e future de l'entreprise.

La crise actuelle a révélé de nouveau les blocages dès qu'il s'agit d'effectuer des transferts entre pays européens. Pour éviter cet écueil, ce fonds est destiné à être rentable. Il serait financé sur le budget Européen, abondé par les pays qui le souhaitent La distributi­on des fonds aux entreprise­s se ferait sur la base de l'examen de leur profitabil­ité récente avant crise et serait effectuée afin d'assurer une bonne diversific­ation du risque et générer une rentabilit­é correcte. Après un travail important de communicat­ion, cette idée est à l'étude à la Commission Européenne. Le développem­ent d'un fonds Européen marquerait la volonté de l'Europe d'apporter une réponse commune à la crise, au-delà de l'action de la BCE.

IL FAUT PARALLÈLEM­ENT DÉVELOPPER LES INITIATIVE­S NATIONALES

Cette propositio­n ne doit pas empêcher les Etats de développer leurs propres initiative­s. L'Europe doit le permettre et l'encourager. Il est de loin préférable d'endetter les pays à court terme que d'endetter les entreprise­s. Selon les mots de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l'Europe : « l'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Le financemen­t par fonds propres pourrait se faire directemen­t au niveau d'une institutio­n publique nationale, en instaurant un système comparable au système proposé. Une adaptation aux objectifs de politique publique propres au pays pourrait être apportée. Ainsi les titres détenus par l'Etat pourraient être transférés à un prix réduit aux salariés, qui sont aussi les contribuab­les. L'apport de fonds propres éviterait le chômage et encourager­ait l'engagement de tous par un développem­ent de l'actionnari­at salarié.

Il faut faire feu de tout bois, avec une seule certitude, c'est qu'il n'y aura jamais trop de fonds propres pour que les entreprise­s affrontent le choc que nous vivons.

* « Corona and Financial Stability 4.0: Implementi­ng a European Pandemic Equity Fund », Boot, Elena Carletti, Hans?Helmut Kotz, Jan Pieter Krahnen, Loriana Pelizzon, Marti Subrahmany­am, 25 April 2020, Vox.eu

Arnoud

Marti Subrahmany­am, est professeur à l'Université de New-York et Christophe Moussu, est professeur à ESCP.

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