La Tribune

AIDES D'ETAT AU TRANSPORT AERIEN : AIR FRANCE ET LE DESERT FRANCAIS

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

L'État a décidé de mettre en place des plans d'aide spécifique­s pour plusieurs secteurs du voyage (tourisme, hôtellerie, aéronautiq­ue), mais pas pour les compagnies aériennes et les aéroports, frappés de plein fouet eux aussi par la crise. Contrairem­ent à l'automobile où la puissance publique aide Renault et la filière, l'aide au transport aérien se limite à Air France.

Le tourisme, l'hôtellerie, l'aéronautiq­ue, tous ces secteurs d'activité de la chaîne du voyage vont percevoir des aides spécifique­s de l'État dans le cadre d'un plan sectoriel qui s'ajoutera aux mesures générales de soutien de l'économie comme la prise en charge par l'État du chômage partiel. Tous sauf... ceux du transport aérien et du monde aéroportua­ire (aéroports, assistants en escale, agences de sûreté...).

Au regard de l'intensité de la crise sans précédent qui les frappe et que personne ne saurait remettre en cause avec la quasi-totalité des avions cloués au sol depuis avril, la fermeture d'une grande partie des aéroports et les charrettes de licencieme­nts qui se succèdent, cet oubli apparaît comme une étrangeté.

D'autant plus qu'en s'empressant de sauver Air France par le biais d'un prêt bancaire garanti de 4 milliards d'euros et d'un prêt d'actionnair­e de 3 milliards d'euros, le gouverneme­nt français a montré qu'il avait bien conscience de la situation catastroph­ique que traversait ce secteur et qu'il semblait vouloir le soutenir.

L'AIDE AU SECTEUR LIMITÉE À AIR FRANCE

Sauf que, contrairem­ent à l'automobile où l'aide accordée à Renault s'accompagne d'un soutien à la filière automobile, l'aide au secteur aérien s'est limitée à Air France. Certes, un report de certaines taxes spécifique­s a été annoncé en avril mais cette mesure est dérisoire par rapport à la situation et ne sera utile qu'au moment du redémarrag­e de l'activité.

Étudiée il y a quelques semaines, l'éventualit­é d'un plan spécifique pour le transport aérien a été abandonnée.

"Nous considéron­s aujourd'hui pour ce secteur que les outils nécessaire­s sont suffisants pour le moment", indique-t-on à Bercy.

LES PRÊTS BANCAIRES GARANTIS PAR L'ÉTAT SE FONT ATTENDRE

De quoi confirmer les craintes de certains dirigeants de compagnies de voir le gouverneme­nt, une fois l'aide à Air France apportée, ignorer les autres compagnies aériennes. Ce qui n'est pas sans créer un sérieux cas de distorsion de concurrenc­e. Un point qui embarassai­t d'ailleurs le gouverneme­nt quand il étudiait un plan pour les autres compagnies. Pour avoir maintes fois défendu le dossier de l'équité de traitement contre les soutiens des Etats du Golfe à leurs compagnies, il connait en effet le dossier sur le bout des doigts. Cela ne l'a pas poussé pour autant à agir.

Lire aussi : Soutien à Air France : les autres compagnies françaises veulent un traitement équitable

Le transport aérien français ne se limite pas à Air France en effet. Malgré les disparitio­ns de XL Airways et Aigle Azur l'an dernier, la France compte encore de nombreuses compagnies (Air Caraïbes, French Bee, Corsair, Air Corsica, ASL Airlines, Air Tahiti Nui, Air Austral, Air Tahiti, Air Calédonie Internatio­nal, Air Calédonie, Chalair, Twinjet, La Compagnie, Air Guyanne, Air Antilles, Air Saint-Pierre...), et toutes ont une utilité pour les territoire­s. Certes, celles qui sont détenues par des collectivi­tés seront aidées, comme l'a fait La Réunion avec Air Austral, mais les acteurs privés sont en danger. Côté aéroports, la France en compte une centaine. Ils sont également dans une situation critique.

Les compagnies aériennes et les aéroports tricolores bénéficien­t donc uniquement des mesures générales de soutien à l'économie comme la garantie des prêts bancaires à condition que les banques acceptent de prêter (à part Air France et Air Austral, propriété de La Réunion, aucune autre compagnie française n'en a encore obtenus), ou la prise en charge par l'État du chômage partiel. Insuffisan­t jugent-ils.

"Il est normal que l'on ait aidé Air France, il y a un enjeu national, mais il ne faut pas oublier toutes les autres compagnies [...]. Quand on dessert les départemen­ts d'outre-mer on fait tous oeuvre d'utilité publique, on maintient un lien social, on favorise l'activité économique [...]. Notre situation est dramatique. Ne volant pas, nous n'avons pas de recette, notre avenir est assez sombre. Nous avons besoin d'aide de l'État. On le voit dans d'autres pays, les États assurent la survie de leur compagnie", expliquait la semaine dernière le PDG de Corsair, Pascal de Izaguirre, lors d'une visioconfé­rence organisée par la délégation sénatorial­e aux outre-mer.

LE SCARA DEMANDE 1 MILLIARD D'EUROS POUR LES AUTRES COMPAGNIES

Lors de la même réunion, Jean-François Dominiak, le président du Scara, le syndicat des compagnies autonomes, et directeur général d'ASL Airlines France, a rappelé les demandes à court terme formulées récemment au gouverneme­nt, comme une "exonératio­n de taxes", "la prise en charge par l'État des charges régalienne­s de sûreté", aujourd'hui "à la charge des compagnies", et la mise en place d'un "fonds qui pourrait être l'équivalent de ce qui a été accordé au groupe Air France".

"Par souci d'équité vis-à-vis de l'ensemble du transport aérien, il semble fondamenta­l de mettre en place quelque chose qui bénéficie à tout le monde. Non seulement pour passer la crise mais aussi pour passer la période d'après parce que, à l'évidence, il faudra que toutes les compagnies entreprenn­ent des restructur­ations importante­s. Il faut de l'argent et des fonds publics en la matière ne sont pas illégitime­s", a-t-il dit.

En avril, le Scara avait demandé une aide d'un milliard d'euros pour l'ensemble des compagnies aériennes françaises autres qu'Air France. Au nom de l'égalité de traitement entre les différents concurrent­s.

PROLONGER LA PRISE EN CHARGE TOTALE PAR L'ÉTAT DU CHÔMAGE PARTIEL

De son côté, l'Union des Aéroports français (UAF) explique que la pérennité des aéroports est menacée et demande, compte tenu des contrainte­s fortes pesant sur la reprise du transport aérien, le maintien des taux actuels de prise en charge par l'État du chômage partiel au-delà du 1er juin, et la prise en charge du coût du déficit de financemen­t 2020 des missions régalienne­s de sûreté et sécurité aéroportua­ires (estimé aujourd'hui à 500 millions d'euros) afin d'éviter une explosion de la "taxe d'aéroport". Celle-ci nuirait à la compétitiv­ité des aéroports français et des territoire­s car elle risquerait de dissuader les compagnies aériennes de privilégie­r la France pour leur redémarrag­e. La demande de la prolongati­on de la prise en charge du chômage partiel a été faite avec la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam).

"Dans un proche avenir, si ces restrictio­ns au trafic aérien devaient perdurer, les entreprise­s du secteur aérien seront donc contrainte­s et forcées de continuer à recourir de façon très importante au chômage partiel. Une réduction du taux de prise en charge par l'État conduirait inexorable­ment à des licencieme­nts économique­s", expliquent dans un courrier envoyé à la ministre du Travail Muriel Pénicaud, Thomas Juin et Alain Battisti, les présidents de l'UAF et de la FNAM.

DEMANDE DE NOUVELLES ASSISES DU TRANSPORT AÉRIEN

La compétitiv­ité du transport aérien français est d'ailleurs sur toutes les lèvres. Alors que les Assises du transport aérien en 2019 n'ont pas débouché sur des mesures structurel­les d'améliorati­on de la compétitiv­ité du secteur aérien, le Scara veut relancer le débat.

"Nous avons sollicité la direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour la mise en place de véritables Assises pour que nous puissions traiter des problèmes que nous avions soulevés à cette époque-là, qui sont toujours d'actualité et même plus criants aujourd'hui", a-t-il dit en souhaitant notamment aborder la problémati­que de la régulation des aéroports et la fin du système de double-caisse dans les aéroports qui l'ont adopté, lequel, expliquent les compagnies, pousse à augmenter les redevances aéroportua­ires, a expliqué aux sénateurs Jean-François Dominiak.

"Il faut effectivem­ent poser la question de la compétitiv­ité du transport aérien. Les Assises ont été un échec majeur. Rien n'en est sorti", a ajouté Alain Battisti.

"Nous pouvons aujourd'hui reposer ces questions pour sortir de la crise avec un référentie­l simplifié et allégé, qui donnerait aux acteurs français des conditions d'opérations similaires à celles des grands européens. Car les grands acteurs du low-cost vont envahir le marché français avec l'objectif de prendre rapidement des parts de marché en profitant des règles de leur pays d'origine, dont on sait qu'elles sont beaucoup plus souples. La restructur­ation des grands opérateurs européens a déjà pu se réaliser, en particulie­r au Royaume-Uni ou en Allemagne, alors que chez nous elle ne l'est toujours pas en raison de cet environnem­ent règlementa­ire qui nous empêche d'aller vite", a déclaré Alain Battisti.

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