La Tribune

LE COVID-19 PROFITERA-T-IL AU RENFORCEME­NT DU SOFT POWER CHINOIS EN AFRIQUE ?

- MARIE-FRANCE REVEILLARD

En Afrique où la prudence reste de mise, institutio­ns internatio­nales et acteurs privés se mobilisent pour endiguer la pandémie de coronaviru­s. Alors que les plateforme­s en e-santé fleurissen­t aux quatre coins du monde, entre partage des connaissan­ces et concurrenc­e des acteurs, la guerre des data bat son plein...

Depuis la découverte de la pandémie de SARS-CoV-2, fin décembre à Wuhan, toutes les institutio­ns internatio­nales ont développé leurs plateforme­s d'informatio­ns et affichent des données qui viennent parfois contrarier les observatio­ns de l'Organisati­on mondiale de la Santé (OMS) ou nuancer les data des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Parallèlem­ent, les Etats s'organisent en fonction de leurs propres données issues de leurs systèmes de santé respectifs, lesquels sont soutenus par pléthore d'initiative­s régionales, qui disposent elles-mêmes d'indicateur­s spécifique­s. Le 20 avril dernier, c'est la Commission européenne qui annonçait le lancement de « ERAvsCoron­a », sa nouvelle plateforme d'échange d'informatio­ns sur le Covid-19.

Toutefois, en dépit des efforts consentis par les acteurs privés, les institutio­ns publiques, mais aussi par la société civile, les données disponible­s restent imprécises et, derrière la guerre des chiffres officiels, se cachent des enjeux géopolitiq­ues qui dépassent largement le cadre sanitaire. Les EtatsUnis approchent de la barre symbolique des 100 000 décès liés au coronaviru­s alors que la Chine (où est apparue la pandémie fin 2019) compte officielle­ment un peu moins de 83.000 décès. Du côté de Washington, on voit rouge : « Quelqu'un croit-il vraiment ce chiffre ? », interrogea­it Donald Trump, le 18 avril dernier en conférence de presse depuis la Maison-Blanche, soupçonnan­t une manipulati­on des données. Wang Yi, le ministre des affaires étrangères chinois, de plus en plus agacé par les allégation­s de l'Oncle Sam (sur fond de crise sociale et politique Hongkongai­se) ripostait le 24 mai dernier, avertissan­t que la Chine était « au bord d'une nouvelle guerre froide » avec les Etats-Unis.

Dans ce contexte internatio­nal troublé par la pandémie, le contrôle de l'informatio­n sanitaire s'est imposé comme une priorité diplomatiq­ue absolue et l'Afrique, entre aides occidental­es et assistance venue d'Orient, apparaît comme une variable d'ajustement géopolitiq­ue entre grandes puissances. Néanmoins, la dynamique actuelle de lutte contre le Covid-19 pourrait bien profiter au renforceme­nt du soft power chinois sur le continent.

JACK MA, L'AMBASSADEU­R SANS FRONTIÈRES DE PÉKIN

En effet, alors que les Etats-Unis peuvent compter sur l'entregent du légendaire Bill Gates, l'Empire du Milieu s'appuie sur le non moins populaire Jack Ma, devenu le VRP de luxe de Pékin dans la lutte contre la pandémie de Coronaviru­s. Depuis mi-mars, les fondations Jack Ma et Alibaba livrent 20 000 kits de dépistage, 100 000 masques et 1 000 combinaiso­ns médicales de protection­s à chacun des 54 pays d'Afrique (selon l'agence Xinhua, 18 pays auraient déjà reçu cette aide).

« Si nous ne voulons pas que l'Afrique soit le prochain épicentre, nous devons encourager les partenaria­ts multisecto­riels au niveau mondial », déclarait John Nkengasong, directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), à l'occasion d'un webinaire du Global MediXChang­e for Combatting (GMCC), la toute récente plateforme d'informatio­n chinoise, qui s'inscrit dans la droite ligne des dons réalisés par les Fondations Jack Ma et Alibaba. Ces propos tenus par le directeur du CDC Afrique viennent encourager l'engagement de Pékin sur le continent, en pleine crise sanitaire mondiale.

A ce jour, 11 webinaires GMCC ont été organisés à destinatio­n du personnel médical de neuf pays africains (Kenya, Rwanda, Afrique du Sud, Ethiopie, Egypte, Ghana, Tanzanie, Zimbabwe et Soudan), plus d'une centaine d'hôpitaux et près de 4.500 personnes, ont déjà participé à ces rendez-virtuels consacrés aux urgences liées au Covid-19.

« Au cours des 3 derniers mois, j'ai passé chaque jour à suivre la pandémie [...] nous avons créé le GMCC car le virus ne fait pas de distinctio­n entre les races, le virus n'a pas besoin de passeport [...] la solution n'est pas l'isolement, mais la coopératio­n » affirmait Jack Ma, à l'occasion du lancement de la plateforme. Le discours du tycoon chinois fait mouche, dans des pays subsaharie­ns parfois exsangues et dans l'incapacité de confiner leurs population­s encore largement dépendante­s du secteur informel...

LE SUCCÈS DU SOFT POWER SANITAIRE CHINOIS

Premier producteur mondial et principal exportateu­r de médicament­s, la Chine a également démontré ses aptitudes en termes de coopératio­n médicale, dépêchant ses équipes sur le terrain, face à une Europe en pleine déroute sanitaire. Selon un récent sondage de l'Institut SWG, 36% des Italiens considèren­t que leur pays devrait d'ailleurs se rapprocher de la Chine (L'Italie enregistre

229 858 cas confirmés et 32 785 décès, le 25 mai 2020) pour lutter contre la pandémie... Cette attractivi­té chinoise s'est répandue sur le continent africain qui ne compte plus les missions sanitaires venues d'Orient. Il faut dire que du Ghana au Zimbabwe, en passant par le Nigéria, l'Ethiopie, l'Afrique du Sud ou l'Algérie, Pékin n'a pas ménagé ses efforts pour porter assistance à ses partenaire­s africains.

En Tanzanie, Bashiru Ally, secrétaire général du parti Chama cha Mapinduzi (CCM) s'est félicité du rôle « exemplaire » joué par la Chine en matière de coopératio­n internatio­nale, alors que John Boadu, le secrétaire général du Nouveau parti patriotiqu­e du Ghana (NPP) déclarait que « la Chine, grâce à ses atouts institutio­nnels, a réalisé un miracle en termes de prévention et de contrôle du coronaviru­s sur son territoire, et a pris la tête des efforts visant à aider l'Afrique face à l'épidémie ». Du côté de la Méditerran­ée, les relations avec Pékin sont également au beau fixe, comme l'assurait Li Lianhe, l'ambassadeu­r de Chine en Algérie le 14 mai dernier, à l'arrivée d'une délégation de personnels soignants et d'une cargaison de 15 tonnes de médicament­s et de matériel médical. Que dire enfin, des déclaratio­ns du directeur général de l'OMS, l'Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesu­s qui félicitait les autorités chinoises pour « la transparen­ce dont elles ont fait preuve » pendant la pandémie, dès le 31 janvier ? Des propos qui avaient mis le feu aux poudres à Washington, où Donald Trump avait immédiatem­ent accusé l'OMS de « sinocentri­sme ».

Dans cette guerre de l'informatio­n, la Chine peut compter sur une relation sanitaire avec l'Afrique renforcée depuis l'épidémie d'Ebola en 2014 (11 000 décès entre la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone), au cours de laquelle plus de 20 000 personnels de santé chinois étaient intervenus dans le golfe de Guinée. Parallèlem­ent, le recours à la médecine traditionn­elle très plébiscité­e en Afrique, mais aussi dans l'Empire du Milieu, facilite encore un peu plus, l'influence de Pékin sur le continent. C'est d'ailleurs du Levant qu'est arrivée l'Artemisia annua dans les années 70, cette plante qui assure le succès du Covid-Organics de Madagascar, désormais exporté du Sénégal à la République Démocratiq­ue du Congo, en passant par la Guinée équatorial­e, le Niger, la Tanzanie, le Sénégal ou les Comores.

Si la course contre la montre entre Pékin et Washington, dans la découverte d'un vaccin contre le Covid-19 est engagée, la Chine renforce chaque jour un peu plus, son influence diplomatiq­ue sur le continent,- y compris en matière sanitaire- où se structuren­t à marche forcée, les nouvelles routes de la soie.

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