La Tribune

"STOPCOVID RISQUE DE DONNER UN FAUX SENTIMENT DE SECURITE" (BAPTISTE ROBERT)

- FLORINE GALERON

Le hacker toulousain Baptiste Robert alerte depuis des mois sur les risques liés à l'utilisatio­n d'une applicatio­n de contact tracing pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Alors que StopCovid a été approuvée au Parlement, il explique à La Tribune pourquoi l'efficacité de ce type d'outil est remis en cause en France, mais aussi ailleurs dans le monde. Interview.

La Tribune : Le gouverneme­nt a présenté mercredi 27 mai l'applicatio­n StopCovid devant l'Assemblée nationale. Vous avez alerté, notamment dans un article dans Medium, sur l'inefficaci­té d'un tel outil dans la lutte contre l'épidémie. Quels sont les principaux freins ?

Baptiste Robert : Le débat autour de l'applicatio­n a principale­ment tourné autour du choix de la technologi­e : GPS, Bluetooth. Mais personne ne s'est posé la question de savoir si cela fonctionne réellement, alors qu'il existe beaucoup de difficulté­s. 77% des Français possèdent un smartphone donc un quart de la population n'est déjà pas incluse dans le dispositif. C'est la fameuse fracture numérique. Par ailleurs, le Covid-19 touche principale­ment les personnes âgées. Chez les plus de 70 ans, seulement 44% ont un smartphone. Ce qui veut dire que plus de la moitié des personnes à risque sont exclues.

Ensuite, le Bluetooth n'est pas une technologi­e faite pour mesurer des distances. Elle permet de mesurer l'intensité d'un signal. À deux mètres près, il est possible de dire que telle personne a été à côté de moi. Il existe une imprécisio­n dans la technologi­e. Et puis la puissance du signal dépend du modèle de téléphone. Si j'ai le dernier iPhoneX, la puce Bluetooth est très performant­e donc le signal sera de très bonne qualité alors que sur un vieux Android, il sera beaucoup plus faible. Le risque est de donner à l'utilisateu­r un faux sentiment de sécurité. Certains vont installer StopCovid et se dire "je m'en fiche, je ne respecte pas la distanciat­ion sociale, etc". Alors que l'efficacité n'est pas assurée.

Cette applicatio­n pose aussi la question du solutionni­sme technologi­que. On essaie de remplacer avec StopCovid un vrai métier, celui de contact-traceur. Or, lors d'une pandémie, la population a besoin de parler à quelqu'un. Recevoir une notificati­on sur un téléphone est très inhumain. Dire que l'on a croisé quelqu'un de malade peut provoquer de l'anxiété chez les personnes âgées. C'est aussi une question éthique. Est-ce que l'on veut vraiment d'une société qui fonctionne sur ce modèle ?

Quels sont les premiers retours de performanc­e de StopCovid ?

B.R. : Les premiers tests ont montré de bons résultats (autrement dit que les personnes en contact avec le malades sont détectées, ndlr) dans seulement 8 cas sur 10. Donc 2 fois sur 10, l'applicatio­n n'a pas repéré le contact. Le taux d'erreur est énorme. Des faux positifs et des faux négatifs ont également été relevés. Or, pour un dispositif de santé le verdict doit être pertinent à 100%. Imaginez vous apprenez que vous avez un cancer, le diagnostic a intérêt à être pertinent !

Pour parer les mauvaises surprises, le gouverneme­nt a sollicité via la plateforme Yes We Hack des hackers éthiques afin de soulever les bugs techniques avant le lancement officiel de StopCovid. Vous comptez y participer ?

B.R. : Oui, c'est une première pour une administra­tion française de lancer une chasse au bug avant le lancement officiel d'une applicatio­n. L'intérêt est d'être constructi­f dans la démarche via la communauté Yes We Hack. J'ai déjà trouvé des failles. L'applicatio­n a peu de fonctionna­lités donc c'est normal que l'on ne trouve pas des éléments gravissime­s mais même sur une petite surface d'attaque j'ai trouvé des choses (le hacker s'est engagé sur un devoir de réserve et ne peut révéler le contenu de ces failles, ndlr).

Vous faites partie des experts qui ont été entendus par les parlementa­ires et le secrétaire d'État au Numérique en amont de la conception de cette applicatio­n. Avez-vous le sentiment que vos remarques ont été prises en compte ?

B.R. : Absolument pas. J'ai eu le plaisir de discuter avec le secrétaire d'État Cédric O à plusieurs reprises ces derniers mois et il existe une volonté très forte de sortir cette applicatio­n, quoi qu'il en coûte. Il s'agit davantage d'un combat politique qu'un esprit d'intérêt général pour lutter contre la pandémie. Les experts n'ont absolument pas été entendus. Nous avons alerté sur les problèmes liés à ce type d'applicatio­n et les mauvais choix sont restés, comme par exemple sur le Bluetooth ou le protocole utilisé. Les données sont envoyées vers un serveur central qui sera sous la gestion de l'État. Y figureront les identifian­ts de toutes les personnes que vous avez croisées. L'État va être en mesure de reconstitu­er votre "social graph", autrement dit toutes les personnes que vous avez croisées, à quel moment. On est en train d'habituer les citoyens à accepter des choses qu'ils ne voudraient pas en temps normal comme mettre son Bluetooth activé en permanence. La prochaine étape, cela pourrait être d'allumer constammen­t son GPS.

D'autres pays ont déjà fait ce choix. Vous avez révélé il y a peu une faille de sécurité importante sur le StopCovid indien qui permettait de localiser les personnes malades à l'échelle d'une maison...

B.R. : En Inde, l'applicatio­n utilise le Bluetooth et le GPS pour traquer les citoyens. Il existe une fonctionna­lité qui permet de savoir combien de personnes sont malades autour de vous. J'ai utilisé cette fonction pour repérer des gens malades au bureau du Premier ministre ou au Parlement indien.

Singapour a été longtemps citée en exemple pour son utilisatio­n de la technologi­e de contact tracing dans la lutte contre l'épidémie. Qu'en est-il réellement ?

B.R. : Singapour n'est absolument pas un exemple. Leur responsabl­e des services numériques a dit lui même que ce n'était pas la panacée et que cela ne remplaçait pas le contact tracing manuel. Seulement 20% de la population l'a utilisée et cela n'a pas empêché le confinemen­t.

Autre exemple, en Islande, un petit pays de 360 000 habitants. 40% de la population l'a installée. L'un des responsabl­es du traçage des malades a expliqué que cela avait servi de manière très marginale, sur quelques cas. Le dernier exemple parlant est celui de l'Australie. Six millions de personnes ont téléchargé l'applicatio­n et les autorités ont reconnu il y a quelques jours avoir identifié un seul cas par ce biais après un mois d'utilisatio­n.

Surtout, la Chine qui dispose d'un traçage numérique incroyable n'a pas réussi à endiguer cette pandémie. La première réponse des autorités lorsque de nouveaux cas sont apparus a été de tester tout le monde. La vraie réponse a une pandémie reste : tester, tracer, isoler.

Quelles seraient les usages alternatif­s du numérique pour lutter contre cette pandémie ?

B.R. : Toucher les personnes âgées, cela ne passe pas par une applicatio­n mobile. Par un texto, on pourrait faire passer des messages de prévention pour les aider à changer leurs habitudes et respecter la distanciat­ion sociale. Il existe un enjeu connexe autour de l'alerte. En mars, nous avons tous reçu un texto de l'État sur le coronaviru­s. Le gouverneme­nt avait récupéré les listes de contacts via les opérateurs téléphoniq­ues. Il existe de vieilles technologi­es qui sont le Cell Broadcast et le Location based SMS qui permettent d'envoyer des messages lors d'événements extraordin­aires. C'est utilisé au Japon lors des inondation­s ou pendant les Amber alert (alerte enlèvement) aux Etats-Unis. Ce système pourrait prévenir les citoyens lorsqu'ils entrent dans une zone sensible.

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