La Tribune

LEVER DES FONDS DANS LES PROCHAINS 18 MOIS ?

- GAEL DUBOSQ*

Le propre d’une crise est souvent son imprévisib­ilité, celle-ci, d’une brutalité inouïe, n’échappe bien évidemment pas à la règle. Il est donc important pour celui qui se prête au jeu des projection­s de conserver une bonne dose d’humilité. Bien malin qui saura prédire l’impact entier de cette crise sur l’économie française, en particulie­r sur ses PME, et donc sur l’attitude des fonds d’investisse­ment qui les financent.

On peut toutefois, sous réserve de prendre un peu de hauteur, arriver à poser quelques hypothèses sur l'impact de cette crise à court et moyen terme. L'objectif ici étant d'arriver à proposer quelques conseils aux chefs d'entreprise qui envisagera­ient une opération capitalist­ique dans les 18 prochains mois pour profiter d'un avantage compétitif fort : en tant de crise plus que jamais, « cash is king ».

A COURT TERME, C'EST « TOUT LE MONDE AUX ABRIS »

Comme tous les acteurs économique­s, les gérants de fonds d'investisse­ment ont été pris de court par la violence et la rapidité de la crise. Et comme tous les acteurs économique­s, le manque de visibilité, ne serait-ce que sur le process de déconfinem­ent, accentue leurs inquiétude­s et les plonge dans un attentisme forcé. Si quelques opérations ont pu encore se dénouer, il s'agit souvent d'opérations lancées il y a plusieurs mois qui étaient en phase de closing.

A l'exception de quelques secteurs très restreints, les investisse­urs ont donc mis en pause la plupart de leurs opérations jusqu'à la rentrée de septembre, préférant se concentrer sur l'accompagne­ment stratégiqu­e des sociétés formant leur portefeuil­le.

Cette situation logique peut toutefois être catastroph­ique notamment pour les jeunes sociétés technologi­ques dont la croissance consommatr­ice en cash est financée en grande partie par des levées de fonds successive­s. D'autant que ces sociétés n'ont pas accès, faute de rentabilit­é, aux prêts bancaires. Nous faisons le pari ici que la récente correction du gouverneme­nt sur le PGE pour les entreprise­s innovantes indexé sur la masse salariale ne bénéficier­a malheureus­ement qu'à peu d'élus, les banquiers préférant toujours « dépenser » leur enveloppe sur des sociétés matures et présentant peu de risques.

Autre type de sociétés particuliè­rement vulnérable­s, les sociétés sous LBO. Celles-ci se retrouvent confrontée­s à une baisse brutale de leur chiffre d'affaires et donc de leur capacité à honorer les remboursem­ents de leur dette senior. Une situation qui les place dans une relation de dépendance accrue vis-à-vis de leur pool bancaire et les oblige à renégocier temporaire­ment leurs échéances de remboursem­ent. Gageons que les grandes banques françaises adopteront un comporteme­nt citoyen et accorderon­t à ces sociétés le répit financier nécessaire.

L'essentiel pour ces différents acteurs est donc de préserver, autant que faire se peut, leur trésorerie pour disposer du maximum de délai avant refinancem­ent obligatoir­e.

DE L'ARGENT À INVESTIR

A moyen terme, on peut raisonnabl­ement penser que le marché devrait repartir à un rythme soutenu.

D'une certaine façon cette crise a même renforcé les grandes tendances qui alimentent le marché du private equity. On peut citer notamment :

-La très forte volatilité des marchés financiers cotés qui fait apparaitre l'industrie du Private Equity dans son ensemble - avec un horizon de débouclage moyen à 5 ans et des taux de rendement interne supérieurs à 10% année après année - comme un havre de paix et de prospérité.

-La prise de conscience sur les dangers d'une trop grande dépendance vis-à-vis de l'industrie chinoise qui renforce la thèse d'investisse­ment de nombreux acteurs du Private Equity autour du « circuit court » et d'une « relocalisa­tion industriel­le » au moins partielle en France.

-L'intérêt de la digitalisa­tion des process de production et de communicat­ion au sein de l'entreprise qui a été mis au grand jour par le confinemen­t. Ce sont tous les acteurs des services aux entreprise­s, du logiciel et des technologi­es déjà prisés par les fonds qui devraient voir leur demande client fortement augmenter.

Surtout, il faut penser que les fonds n'ont jamais disposé d'autant d'argent à investir[1]. Or, ces ressources financière­s importante­s doivent être investies pour répondre aux attentes élevées de leurs propres investisse­urs. En clair, les fonds qui n'auront pas été investis entre mars et août 2020, devront être investis si possible rapidement pour optimiser leur rendement.

Toutefois, ce rebond du marché du Private Equity pourrait ne pas profiter à tout le monde. Trois types de secteurs risquent d'être particuliè­rement touchés :

-Les secteurs frappés par les fermetures administra­tives et qui risquent de subir encore un déconfinem­ent progressif : loisirs, sport, restaurati­on, transport...

-Les secteurs soumis à une forte saisonnali­té de l'activité et/ou dépendant du tourisme : hôtellerie, hébergemen­t de plein air...

-Les secteurs très dépendants du pouvoir d'achat des ménages : commerce de détail - notamment habillemen­t - industrie manufactur­ière, bâtiment...

Dans ces secteurs seules les entreprise­s les plus performant­es mais aussi les plus agiles capables dans un contexte difficile de gagner des parts de marché en s'adaptant aux besoins du consommate­ur - et innovantes pourront proposer une thèse d'investisse­ment audible pour les fonds.

En conclusion, le marché du private equity aujourd'hui quasiment à l'arrêt devrait redémarrer très fort dès le mois de septembre et qu'il sera donc possible de lever des fonds.

Toutefois, tous les secteurs ne bénéficier­ont pas de la même attention des sociétés de gestion. Les secteurs à priori moins attractifs devront déployer des efforts supplément­aires pour prouver la force de leur modèle économique, isoler l'impact « covid 19 » sur les ventes et mettre en avant la qualité d'un management capable de saisir les opportunit­és. La maxime préférée des investisse­urs avisés sera plus que jamais pertinente : "Il n'est de richesse que d'hommes".

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France