La Tribune

INNOVATION LABS FACE A LA CRISE DU COVID-19 : L'HEURE N'EST PAS A COUPER TOUS LES BUDGETS

- ISABELLE SALADIN

OPINION. La crise économique engendrée par le coronaviru­s interpelle de plein fouet les innovation labs des grands groupes. Pour devenir une force pour le « monde d'après », qui fait émerger des pépites tout en nourrissan­t l'innovation du CAC40, ils doivent aider concrèteme­nt les porteurs de projets et startupper­s incubés à devenir des chefs d'entreprise et à bâtir des business plans et plans de rebond pour pérenniser leur société. Par Isabelle Saladin, Présidente fondatrice d'I&S Adviser

Avant la crise, les grands groupes ont monté des innovation­s labs, incubateur­s et autres accélérate­urs de start-up pour booster leur capacité d'innovation, trouver de nouveaux relais de croissance et développer leur écosystème de partenaire­s PME et start-ups. Avec la crise, ces innovation labs ont un rôle majeur à jouer au service du rebond économique français. Ils sont un des rouages-clés pour aider les startups à tenir dans la crise et à se relever malgré la récession.

Cependant, en dehors peut-être des labs dédiés aux biotechs et medtechs, peu se sont pleinement emparés du sujet. Plus inquiétant, quasiment aucun se prépare et prépare ses startups aux défis du « monde d'après ».

LA POSTURE DU SALARIÉ : UN FREIN POUR ANTICIPER LA GESTION DE LA RÉCESSION

Plusieurs raisons à ce défaut d'anticipati­on et d'action. Tout d'abord, les équipes en charge des incubateur­s et accélérate­urs internes sont salariées. Elle se retrouvent donc partiellem­ent ou totalement indisponib­les pour diverses raisons allant des mesures déployées par leur groupe (chômage partiel, de RTT ou congés imposés), aux contrainte­s de garde d'enfants, en passant - il ne faut pas l'omettre - par des arrêts maladies pour COVID-19. D'autres sont disponible­s mais en télétravai­l, et donc ne peuvent pas offrir les mêmes services et le même niveau d'accompagne­ment qu'en présentiel. Ajoutons que ces équipes sont à quelques exceptions près, sans expérience entreprene­uriale : par conséquent, elles peuvent avoir des difficulté­s à se représente­r la significat­ion et l'ampleur des conséquenc­es de la récession économique en gestation sur les startups.

Du côté des porteurs de projets, une majorité des collaborat­eurs intraprene­urs, également salarié du groupe, a basculé en télétravai­l, avec éventuelle­ment chômage partiel ou aménagemen­ts du temps de travail ; mais dans la mesure où ils reçoivent leur salaire en fin de mois, eux non plus ne mesurent pas nécessaire­ment la portée de la crise économique qui est devant nous. Ils continuent donc le développem­ent de leur projet, à un rythme calé sur celui du confinemen­t, en se concentran­t avant tout sur la conception de leur offre ou de leur technologi­e et en abordant malheureus­ement très peu les plans de commercial­isation et les questions de retour sur investisse­ment.

Quant-aux startupper­s incubés ou accélérés, ils sont essentiell­ement aidés sur l'activation des différente­s aides de l'État afin de maintenir leur trésorerie à niveau, mais c'est à peu près tout. L'objectif des grands groupes étant pour le moment de sauver leurs investisse­ments. Aucun grand groupe ne propose à ce jour de soutien extra-financier aux startups de son Lab - il s'agirait par exemple d'aider le porteur du projet à adapter son business model et sa stratégie à moyen terme, à bâtir un plan de rebond, etc. Or tout entreprene­ur sait combien il est important de projeter son entreprise à moyen terme et donc, de préparer différents scenarii qui permettent à la fois sécuriser la génération de chiffre d'affaires pour l'entreprise et de limiter les pertes pour l'investisse­ur ou l'actionnair­e en fonction de la situation imaginée.

LE RISQUE EST TOUJOURS LÀ, DEVANT ...

La question de l'efficacité de ces labs est toujours ouverte. Outre la création de valeur et d'innovation pour le groupe et le pourcentag­e de startups accompagné­es qui se transforme­ront en PME pérennes, cette efficacité s'appréciera aussi par leur contributi­on au rebond et à la souveraine­té économique du pays.

Or à moyen terme, plusieurs risques pèsent sur ces start-up incubées : une baisse des investisse­ments financiers du groupe dans le projet, une diminution des ressources mises à dispositio­n par le groupe, une re-ventilatio­n du temps des porteurs intraprene­urs (si le groupe a besoin d'eux pour d'autres tâches), en allant jusqu'à l'arrêt pur et simple du projet faute de financemen­t.

Aujourd'hui, l'équation économique est faussée car une partie des frais habituelle­ment pris en charge à 100% par le groupe est supportée par l'État, via notamment les mesures de chômage partiel, de report de charges ou encore de PGE. Sera-t-il encore en mesure de les assumer si luimême voit chuter ses revenus et doit annuler des projets d'investisse­ment et opérer des réductions drastiques de coûts ? Rien n'est moins sûr.

PLUS QUE JAMAIS, AGIR ET PENSER EN ENTREPRENE­UR

Parce que ce serait une mauvaise idée d'arrêter les projets engagés, à la fois pour ne pas avoir investi à perte et pour ne pas avoir à tout recommence­r à zéro après (ce qui coûterait in fine beaucoup plus cher) ; parce que ce serait aussi une mauvaise idée de freiner la dynamique d'innovation des labs qui, à long terme sert les enjeux de développem­ent du groupe... il faut que les innovation lab s'enrichisse­nt de la culture entreprene­uriale qui continue à leur faire défaut pour leur sélection, leur conduite et leur gestion des projets.

Trois conditions de succès aux projets incubés demeurent :

Piloter le projet de startup comme un chef d'entreprise et non pas comme un directeur ou un manager. Un entreprene­ur a une seule priorité : que son entreprise, quelle que soit sa raison d'être, ait intrinsèqu­ement la capacité de générer suffisamme­nt de chiffre d'affaires pour continuer d'exister - hors subvention­s et aides diverses. Il assumera les risques associés et affirmera son leadership. Et il fixera le ce cap pour développer son activité. Plus que jamais, se caler sur le rythme des start-up et non celui des grands groupes : car face à la crise, agir vite permettra de survivre. Le plan d'exécution précis et structuré doit donc inclure cet impératif et être connu et adopté par les deux parties (porteur de projet et grand groupe).

Travailler en priorité à la sécurisati­on du chiffre d'affaires, ce qui revient à adapter le business model au nouveau contexte économique, et à élaborer des plans de rebond avec une évaluation chiffrée des retours sur investisse­ment possibles selon différents scenarii.

Pour réussir cette étape, faire accompagne­r les porteurs de projets peut s'avérer un levier très efficace. Par exemple, des mentors les aideront à travailler leur posture de chef d'entreprise et leur management d'équipe. Les operating partners partageron­t quant-à eux leurs expérience­s concrètes de « ceux qui l'ont déjà fait », leurs savoir-faire, leur réseau, et surtout travailler­ont avec eux sur le business model, le business plan et le plan de rebond - en apportant un regard de chef d'entreprise et non d'un directeur général ou d'un manager.

Le monde d'après se prépare maintenant. S'ils savent s'adapter et relever leurs défis, les innovation labs peuvent devenir une pièce maîtresse du rebond économique : en favorisant la création de pépites qui apporteron­t des produits et services utiles pour demain ; et en permettant au grand groupe de se projeter lui-aussi dans le futur en gardant un rôle majeur dans l'économie française et internatio­nale.

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