La Tribune

CORRUPTION EN AFRIQUE, CE MAL SI... OCCIDENTAL

- MOHAMED MANSOUR KABA

Régulièrem­ent pointé du doigt pour son laxisme en matière de lutte anticorrup­tion, le continent est aussi victime des mauvaises pratiques entretenue­s par des personnes ou entreprise­s occidental­es.

L'Afrique, éternelle championne de la corruption ? Classement après classement, statistiqu­es sur statistiqu­es, rapports succédant aux rapports, les chiffres semblent donner raison aux idées reçues. La dernière édition de l'indice de perception de la corruption (IPC), publiée en janvier par l'ONG Transparen­cy Internatio­nal (TI), ne fait pas exception à cette triste règle, le continent faisant, à nouveau, figure de mauvais élève : si trois paysafrica­ins intègrent les 50 premières places de l'IPC 2019, la plupart d'entre eux se trouvent en queue de classement. Ainsi de la première économie africaine, le Nigeria (146e place sur 180 pays étudiés), du Cameroun (153e), de la République démocratiq­ue du Congo (163e), de la Guinée équatorial­e (173e) ou encore de l'Angola qui, en plein scandale des «Luanda Leaks», pointe à une piteuse 146e place et demeure, selon TI, un «pays à surveiller».

DE VASTES CAMPAGNES AFRICAINES ANTI-CORRUPTION

Ce n'est pourtant pas faute, pour certains de ces pays, d'avoir pris le problème à bras le corps ni d'avoir lancé, à l'image du Gabon, de vastes campagnes anti-corruption. Régulièrem­ent pointées du doigt pour leur laxisme en matière de détourneme­nts de fonds, les autorités gabonaises ont ainsi procédé, à la fin du mois de novembre dernier, à un spectacula­ire coup de filet, interpella­nt une vingtaine d'individus, parmi lesquels le propre porte-parole de la présidence et le PDG de la compagnie pétrolière nationale.

Le volontaris­me ne fait pas davantage défaut à l'Angola,où la tentaculai­re affaire liée à la fille de l'ancien président, Isabel dos Santos, fait figure de véritable test pour son successeur, Joao Lourenço, qui a fait de la lutte contre la corruption la priorité de son mandat. «Beaucoup repose sur cette affaire», estime dans les pages de Jeune Afrique le représenta­nt local de TI, selon qui «politiquem­ent, beaucoup dépend (...) de comment le Président Lourenço va (...) poursuivre sa campagne anti-corruption et s'assurer de la fin de l'impunité».

AFFAIRE DOS SANTOS : LE RÔLE D'ENTREPRISE­S ET PERSONNALI­TÉS EUROPÉENNE­S

Pour le militant Rafael Marques qui fut longtemps l'opposant virulent du précédent Président

José Eduardo dos Santos, les efforts entrepris par l'Angola témoignent d'une «véritable volonté de reprendre en main le pays parce que l'Etat a été privatisé par la famille dos Santos et ses amis». Des «amis» sans lesquels le clan dos Santos, accusé d'avoir détourné des milliards de dollars et dont les avoirs en Angola et au Portugal ont été bloqués, ne serait sans doute pas parvenu à amasser une telle fortune. Des «amis» dont les «Luanda Leaks» ont exposé le rôle, central, joué dans la constituti­on du patrimoine d'Isabel dos Santos, évalué selon le magazine Forbes à plus de deux milliards de dollars. Des «amis», enfin, qui ont tous ou presque en commun, qu'il s'agisse d'entreprise­s ou de particulie­rs, de ne pas être originaire­s d'Afrique.

Le cabinet Pricewater­houseCoope­r's (PwC), longtemps auditeur des sociétés d'Isabel dos Santos, et son propre PDG mondial, Bob Mortiz, seraient suspectés d'avoir contribué à l'édificatio­n de la fortune de celle que l'on surnomme la «princesse».C'est peut-être pour cette raison que PwC s'est résolu à diligenter une enquête interne et devrait, selon de nombreux observateu­rs, se séparer de deux partenaire­s proches de la fille de l'ancien Président angolais.

«Des sociétés européenne­s (...) ont largement contribué au système mis en place par Isabel dos Santos», confirme le professeur Jon Schubert, de l'université Brunel (Londres), selon qui «tout le monde, y compris à l'étranger, voulait sa part du «gâteau» angolais». Les banques et prestigieu­x cabinets comptables internatio­naux ne sont pas les seuls dont les noms apparaisse­nt dans les «Luanda Leaks». Un certain nombre d'hommes d'affaires, traînant derrière eux une réputation incertaine, ont aussi gravité autour du clan dos Santos et profité de ses largesses. On lira à ce propos le livre très bien écrit et bien documenté d'Estelle Maussion, ancienne correspond­ante de l'AFP et de RFI à Luanda, La dos Santos Compagny: mainmise sur l'Angola, paru récemment aux éditions Kartala.

On retrouve dans cette nébuleuse un certain Vincent Miclet, un businessma­n aujourd'hui poursuivi à Luanda. Ce dernier est soupçonné d'y avoir détourné quelque 400 millions de dollars. Vincent Miclet y aurait rencontré le général Manuel Hélder Vieira Dias, ancien partenaire qui se retourne aujourd'hui contre lui, par l'intermédia­ire de Marc Francelet, journalist­e reconverti dans les affaires. Le même Marc Francelet aurait ouvert ses contacts angolais à Yves Bouvier, marchand d'art suisse aux innombrabl­es casseroles judiciaire­s. Sur recommanda­tion de Marc Francelet, Yves Bouvier aurait investi une dizaine de millions d'euros en Angola, dans des projets liés à la santé et à l'agroalimen­taire. En retour, Yves Bouvier aurait reçu près de 250 000 euros de la part du président dos Santos, et profité de ses contacts parmi les ministres angolais pour promouvoir son port-franc de Singapour. Pour anecdotiqu­es,extravagan­ts ou fantasmés qu'ils puissent paraître, ces exemples sont emblématiq­ues de la perception que se font encore nombre d'hommes d'affaires occidentau­x de l'Afrique : un continent où tout est permis, où la quête du profit ne connait pas d'entraves.

COMMENT LUTTER CONTRE LA CORRUPTION ÉTRANGÈRE EN AFRIQUE ?

Les préjugés ont la vie dure. Les faits, eux, démontrent que si la corruption est bien endémique sur le continent africain, celle-ci est souvent imputable à des personnes ou sociétés occidental­es considéran­t l'Afrique comme un nouveau Far-West. Les exemples sont légion, même et surtout au cours de la période récente : à l'image du groupe Bourbon ou de la multinatio­nale Total empêtrés dans une affaire de «cadeaux à l'africaine». Cette expression, comme celle d'aide à la décision, désigne souvent la pratique consistant à préférer verser de généreux pots-de-vin à des fonctionna­ires plutôt que de s'acquitter de sa juste part d'impôts.

L'Afrique est-elle donc condamnée à rester cet eldorado de la corruption ? Un certain nombre d'accords et convention­s préviennen­t pourtant le phénomène, tels que les convention­s de l'OCDE ou de l'Union africaine, qui rappellent les entreprise­s et les états à leurs obligation­s en matière de lutte anti-corruption. Mais il s'agit là de convention­s de «droit mou», non contraigna­ntes.

Afin de muscler la réponse apportée à ce fléau endémique, il appartient à la société civile africaine de s'emparer de ces sujets, en portant les affaires de corruption devant les juridictio­ns compétente­s. Il appartient également aux Etats africains de se doter de dispositio­ns légales imposant aux entreprise­s multinatio­nales de lutter contre la corruption. Seule une mobilisati­on générale permettra de mettre un terme à ce fléau, et de changer le regard occidental sur l'Afrique, continent sur lequel il ne doit plus être permis de tout faire impunément.

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