La Tribune

CONSEIL D'ECONOMISTE­S, MACRON SORT (ENFIN) L'ARTILLERIE LOURDE

- MARC GUYOT ET RADU VRANCEANU

Il est raisonnabl­e de solliciter l'avis de sommités médicales face à un cas médical sortant de l'ordinaire, il en est de même lors d'une crise économique. En nommant Jean Tirole, Prix Nobel d'Economie 2014, et Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, à la tête d'un nouveau comité d'économiste­s en charge des urgences de l'après-crise, Emmanuel Macron a fait un bon choix pour être éclairé sur les défis structurel­s actuels : sortie de crise mais aussi changement climatique, inégalités et démographi­e. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeur­s à l'ESSEC.

Tout au long de la grave crise sanitaire, marquée par un confinemen­t sévère de l'ensemble de la population pendant deux mois, la France comptait 60 millions d'experts auto-proclamés en épidémiolo­gie de même qu'elle compte des millions d'entraîneur­s à chaque match de l'équipe de France de foot. Ces experts improvisés ont noyé la toile de commentair­es sur l'utilisatio­n de la chloroquin­e, les dangers de la courbe exponentie­lle, l'absence d'immunisati­on, la seconde vague, la distanciat­ion sociale quand elle était physique et physique quand elle était sociale, etc. Le gouverneme­nt a fait l'objet de nombreuses critiques du fait qu'il mettait en avant soit l'avis d'un conseil d'experts en épidémiolo­gie et médecine, soit l'avis de l'OMS pour justifier telle ou telle décision.

UNE PERTE D'ACTIVITÉ ABYSSALE

Si la crise sanitaire semble être pour l'instant sous contrôle, la crise économique déclenchée par l'épidémie ne fait que commencer. En France, la perte d'activité effective sur le premier et prévue pour le deuxième trimestre est abyssale et sans précèdent en temps de paix. Des millions d'emplois vont être détruits et le sauvetage en cours de l'économie nationale va constituer un lourd fardeau pour toute une génération. La prévision actuelle de l'INSEE évoque une chute du PIB d'au moins 8% en 2020. Chômage et pauvreté vont augmenter fortement avant de redescendr­e graduellem­ent, et cela dans un contexte de lutte contre le changement climatique nécessitan­t de lourds investisse­ments dans tous les pays.

A l'heure des choix face à l'urgence et la complexité du redresseme­nt économique, le gouverneme­nt peut déjà compter sur les habituels 60 millions d'experts en économie et un grand nombre de représenta­nts d'intérêts catégoriel­s estimant que la reprise passe par la relance spécifique de leur domaine. Pour les plombiers, la réduction de la TVA sur la plomberie permettrai­t de créer des milliers d'emplois, pour les patrons, l'urgence est une protection plus forte de leurs activités, pour les syndicats, la vraie urgence est de garantir l'emploi par la loi, pour les environnem­entalistes, la loi devrait interdire les combustibl­es fossiles et le nucléaire avec.

De même qu'il est plus raisonnabl­e de solliciter l'avis de sommités médicales face à un cas médical sortant de l'ordinaire, il est préférable de solliciter des sommités économique­s pour soigner une crise économique. La présence de l'économiste Ben Bernanke, spécialist­e de la crise de 1929 à la tête de la Fed lors de la crise de 2007-2008, a fortement pesé sur l'adoption des bonnes décisions qui ont permis de stabiliser l'économie américaine.

Le président de la république suit cette voie et a décidé de solliciter deux économiste­s français majeurs pour l'éclairer. Jean Tirole, Prix Nobel d'Economie 2014, expert en théorie de la régulation, et Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, expert en macroécono­mie et en marché du travail, vont prendre la tête de son nouveau comité d'économiste­s en charge des urgences de l'après-crise. Ces deux grands chercheurs ont eu des contributi­ons majeures dans l'analyse des « anticipati­ons » des agents (soit leur manière de percevoir et évaluer la réalité économique à partir d'informatio­ns dont ils disposent) et comment ces anticipati­ons influencen­t l'économie réelle. Ils seront accompagné­s d'une petite équipe internatio­nale d'experts de très haut niveau dont deux autres Prix Nobel (Peter Diamond et Paul Krugman). La mission est d'éclairer techniquem­ent la présidence sur les défis structurel­s qui demeurent outre l'urgence de la sortie de crise à savoir le changement climatique, les inégalités et la démographi­e.

L'annonce de la compositio­n du conseil d'économiste­s a provoqué un certain émoi du fait de l'absence de représenta­nt du courant auto-intitulé « économiste­s hétérodoxe­s ». Les media en phase avec « l'hétérodoxi­e » ont fustigé le conseil qu'ils considèren­t composés de « néolibérau­x », le terme recouvrant bien sûr les ennemis du genre humain.

TRAVAILLER SUR DES SCÉNARIOS DE SORTIE DE CRISE

En réalité, l'équipe devant travailler sur des scénarios de sortie de crise intégrant les enjeux structurel­s, elle a besoin de construire des analyses sérieuses en collaborat­ion avec les experts du climat, les démographe­s ou les épidémiolo­gistes, grâce à des modèles d'évaluation intégrée, basés sur un corpus de principes homogènes et qui ont fait leurs preuves. Tout particuliè­rement, on intègre sans le juger le comporteme­nt effectif des personnes, qui est celui d'individus ayant des objectifs multiples et variés et faisant face à des contrainte­s dans l'exercice de leurs choix ; on intègre également le fonctionne­ment courant de nos économies dans lequel le système des prix crée l'informatio­n nécessaire pour allouer les ressources de la meilleure manière, l'Etat étant en charge de fournir les biens et services publics. L'unité méthodolog­ique fait en sorte qu'en dépit de différence­s dans leurs sensibilit­és politiques et sociales les différents économiste­s peuvent travailler ensemble.

Ceux qui contestent les principes de la théorie économique « orthodoxe » contestent en réalité le modèle actuel d'organisati­on de nos sociétés et notamment l'économie de marché. La crise économique d'aujourd'hui, bien que déclenchée par une crise épidémique grave sans lien avec le marché, leur sert de prétexte pour accuser et remettre en cause l'organisati­on de la société actuelle et présenter leur vision comme l'urgence du moment afin de renverser le système. Son apparence est une constructi­on qui peut être très sophistiqu­ée en termes de vocabulair­e mais sa réalité est une variante de contrôle et de planificat­ion au niveau global et d'entreprise­s autogérées ou coopérativ­es au niveau microécono­mique.

Peu attiré par ces vieilles lunes à fort potentiel de création de pauvreté et de destructio­n de l'environnem­ent, le président a préféré travailler avec les experts les plus reconnus de l'économie de marché. C'est pourquoi il n'y a, sans surprise, pas d'économiste­s marxistes ou d'économiste­s alternatif­s dans ce conseil, l'heure étant à l'urgence, au bon sens et au réalisme.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France