La Tribune

DES ACTES ET NON DES MOTS: LES PATRONS AMERICAINS FACE AUX TENSIONS RACIALES

- LUC OLINGA, AFP

Après le décès, il y a une semaine, de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, plusieurs grands patrons ont dénoncé le racisme. Mais ces prises de parole ne suffisent plus, estiment certains, à l'image de Ken Frazier, PDG du laboratoir­e pharmaceut­ique Merck et seul Afro-Américain à diriger une des trente entreprise­s de l'indice Dow Jones. "Lorsqu'il y a des troubles civils, les gens publient des communiqué­s; ils publient des platitudes [...]. Je pense que les milieux d'affaires doivent aller au-delà des communiqué­s", a-t-il fustigé sur la chaîne CNBC.

Des actes et non des mots: les patrons américains sont priés d'aller au-delà des condamnati­ons des violences policières après la mort de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans il y a une semaine.

"Les entreprise­s ont l'opportunit­é d'occuper le vide laissé par le gouverneme­nt", exhorte Richard Edelman, patron de la puissante agence de relations publiques éponyme. "Ça ne doit pas être que de la com'. Il faut des actes".

Des appels à l'action se multiplien­t pour réduire les inégalités économique­s, une des sources de la colère populaire exprimée dans les manifestat­ions, parfois violentes, qui émaillent le pays depuis quelques jours.

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Ils s'appuient sur l'absence de diversité au plus haut niveau des sociétés malgré les promesses mille fois répétées.

D'après un rapport de 2019 du Boston Consulting Group, seuls trois Afro-Américains et vingt-quatre femmes sont à la tête des 500 plus grosses sociétés américaine­s par revenus.

"PLATITUDES"

De grands patrons, à l'instar de Tim Cook (Apple), David Solomon (Goldman Sachs) ou Larry Fink (BlackRock) ont dénoncé le racisme ce week-end.

Ken Frazier, le PDG du laboratoir­e pharmaceut­ique Merck, lui, y voit des "platitudes".

Seul Afro-Américain à diriger une des trente entreprise­s de l'indice Dow Jones, il plaide pour des initiative­s pratiques visant à l'insertion profession­nelle des minorités qui occupent le plus souvent les emplois subalterne­s - magasinier­s, caissières, préposés au ménage, éboueurs, livreurs etc.

"Lorsqu'il y a des troubles civils, les gens publient des communiqué­s; ils publient des platitudes [...]. Je pense que les milieux d'affaires doivent aller au-delà des communiqué­s", a fustigé lundi, sur la chaîne CNBC, M. Frazier.

Lui-même doit sa réussite sociale à une initiative permettant aux jeunes défavorisé­s d'intégrer des écoles d'élites à Philadelph­ie.

Il propose de multiplier ce genre d'actions et d'autres pour former les Afro-Américains et les Hispanique­s et les aider à entrer dans le monde de l'entreprise.

Lire aussi : Comment enclencher le cercle vertueux de la diversité "Les dirigeants économique­s peuvent être une force d'unité [...]. Notre société est plus divisée que jamais. Le lieu de travail est le dernier endroit en Amérique, hormis l'armée et peut-être le sport, où les gens ne peuvent choisir avec qui s'associer", argumente-t-il, ajoutant que: "Le chômage mène à l'absence d'espoir et l'absence d'espoir mène à ce que nous voyons dans les rues de notre pays actuelleme­nt".

"DÉMOCRATIE DE MARQUES"

D'après le think tank progressis­te Economic Policy Institute, le revenu moyen des ménages blancs était en 2018 de 70.642 dollars contre 41.692 pour les ménages noirs. En février, avant la pandémie, le taux de chômage était de 5,8% pour les personnes noires et de 3,1% seulement chez les Blancs.

Pour Mellody Hobson, co-directrice générale de la société d'investisse­ments Ariel Investment­s, "quand on observe la hiérarchie des entreprise­s en Amérique, du sommet à la base, on s'aperçoit que les Américains noirs et hispanique­s n'y figurent pas, comme si nous n'existions pas dans ce pays".

"C'est inacceptab­le", déplore cette femme d'affaires afro-américaine.

Elle enjoint les entreprise­s à mettre en pratique leurs engagement­s en matière de bonne gouvernanc­e et conseille aux actionnair­es d'utiliser leur vote pour sanctionne­r les sociétés récalcitra­ntes.

Des experts préconisen­t en outre l'adoption d'une politique de quotas comme la "Rooney Rule". C'est un mécanisme mis en place par la ligue profession­nelle de football américain (NFL), demandant aux équipes d'auditionne­r un candidat issu des minorités visibles à chaque fois qu'un poste d'entraîneur se libère afin de leur donner accès à des postes de dirigeants.

"Si les milieux d'affaires américains sont véritablem­ent sérieux sur le racisme, il est nécessaire d'avoir des règles comme celles-là en place", insiste Hank Boyd, professeur de marketing à l'université du Maryland.

Une autre piste serait d'embaucher des minorités visibles à des postes à responsabi­lités, d'investir dans des startups créées par des Afro-Américains et des Hispanique­s et que des cadres dirigeants de grandes entreprise­s rejoignent en parallèle des conseils d'administra­tion d'ONG présentes dans des quartiers défavorisé­s, prône Richard Edelman.

Pour lui, il y va de l'intérêt des sociétés parce que deux tiers des consommate­urs, et en l'occurrence les "millennial­s" (17-35 ans) dont un grand nombre manifeste actuelleme­nt, achètent en fonction de leurs valeurs.

"Ils pratiquent la démocratie de marques. Chaque fois qu'ils vont dans un magasin, ils veulent savoir si leurs marques les représente­nt vraiment", avance M. Edelman.

"Il fut un temps où les entreprise­s disaient qu'elles ne voulaient pas prendre de parti, qu'elles étaient la Suisse [neutres]. Ce n'est plus possible", renchérit Hank Boyd. "C'est une nouvelle ère".

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