La Tribune

MUNICIPALE­S : SELON LE POLITOLOGU­E EMMANUEL NEGRIER, "IL Y A UN SOUCI DE SINCERITE DU SUFFRAGE"

- CECILE CHAIGNEAU

Ce 2 juin, les candidats au 2nd tour des municipale­s auront déposé leur liste. Les alliances sont faites (ou pas). La campagne aura immanquabl­ement un goût de Covid-19. Les maires en place et toujours en lice bénéficier­ont-ils encore davantage de la prime au sortant ? La thématique écologique, déjà bien positionné­e et probable grande gagnante du post-crise, vat-elle modifier le jeu sur l’échiquier politique ? Le politologu­e montpellié­rain Emmanuel Négrier fait un point d’étape à un mois du 2e tour.

Estimez-vous équitable de ne rejouer que le 2e tour des municipale­s, trois mois et demi après le 1e tour ?

« La loi dit qu'il doit y avoir un écart maximum d'une semaine entre 1e et 2e tour mais le Conseil d'État, au doigt mouillé, a validé... Je pense au contraire qu'il y a un gros souci de sincérité du suffrage. On a eu un 1e tour tronqué avec un taux de participat­ion famélique, notamment à Montpellie­r (34,61 % - NDLR), et pourtant on se fie à ce tour pour qualifier ou disqualifi­er certains candidats. Il me semble que cela constitue déjà un problème. Le Conseil d'État va probableme­nt être saisi de nombreux contentieu­x. Les électeurs se sont peut-être fait voler l'élection. Pendant 3 mois et demi, les équipes municipale­s ont été sur la brèche, les élus sortants en situation de compétitio­n électorale et complèteme­nt privilégié­s, dans une campagne qui n'en est pas une tout en étant une. Il y a un risque important de ne pas rattraper ces inégalités entre ce qu'a pu faire un maire en poste et les autres candidats. On a donc d'un côté les maires sortants qui trouvent que c'est une bonne idée de faire les élections maintenant, et les challenger­s qui trouvent que situation privilégie les sortants... Ce 2e tour, compte tenu de l'erreur d'avoir organisé le 1er, c'est comme le sparadrap sur le doigt du capitaine Haddock, il faut bien s'en débarrasse­r ! L'exécutif n'a pas grandchose de plus à perdre à ces élections, il l'a déjà perdu ! »

Peut-on craindre une importante abstention comme au 1e tour ?

« Oui, on risque de se heurter à un taux de participat­ion lamentable. Je ne vois pas comment d'un seul coup, il y aurait une génération spontanée de citoyens qui se jetterait sur les urnes, d'autant que la population âgée est priée de ne pas se déplacer... »

Ces 3 mois ½, et notamment la période de gestion de la crise liée au Covid-19, auront-ils été profitable­s au maire sortant de Montpellie­r, qui, avec 19,11 % des suffrages au 1e tour, n'a pas bénéficié de la prime au sortant ? Son action lui aura-t-elle permis de reprendre la main ?

« Si on se fie au 1er tour, on a entendu une défiance inhabituel­le à l'égard du sortant, et on s'est rendu compte qu'il y avait peut-être un souci de légitimité. 19 % pour un sortant, malgré les réserves qu'on peut formuler autour d'une si faible participat­ion, ça illustre une volonté de changement considérab­le... Aura-t-il suffisamme­nt su tirer parti de la gestion de la crise sanitaire pour être considéré comme un challenger dominant ? J'en doute... Au 1e tour, on choisit, au 2e on élimine. La capacité de construire des alliances est plutôt du côté de Michaël Delafosse (candidat PS, ndlr) et donc la dynamique de campagne aussi. Alors que du côté de Philippe Saurel, les réserves de voix sont assez faibles, surtout si on considère la participat­ion électorale. Mais Montpellie­r a montré qu'aucun scénario baroque ne lui faisait peur, pourquoi pas encore plus baroque au 2e tour ! Mais il y a ce que disent les états-majors des partis d'un côté, et le fait qu'ils ont des électeurs plus éloignés qu'ils ne le croient de l'autre. Les consignes de vote se jouent peutêtre différemme­nt. Si la participat­ion est faible, la propension des donneurs d'ordres à connaître leurs électeurs est croissante donc l'efficacité des alliances croît aussi... Mais est-ce qu'une méfiance comme celle subie par Philippe Saurel peut se retourner entre deux tours ? J'ai quelques doutes... »

Alors que l'on s'achemine vers une période économique­ment et socialemen­t compliquée, quels axes de relance économique­s les candidats ont-ils intérêt à mettre en avant durant cette campagne du 2nd tour ?

« Le Covid a déplacé un certain nombre de pions. On ne va pas inventer une nouvelle manière de faire de la politique. Le redémarrag­e passera par des phénomènes qui étaient déjà là mais passés sous le boisseau. A Montpellie­r, l'un des sujets est le verdisseme­nt. Toutes les politiques publiques vont être passées au tamis de l'empreinte carbone et dans la campagne et l'action municipale, ce sera un élément majeur. Autre thématique importante : la solidarité. La société montpellié­raine va être particuliè­rement atteinte, et les moyens nationaux et départemen­taux ne seront pas suffisants. La nouvelle municipali­té devra affronter ce début de mandat avec un filtre solidarité. Concernant les coopératio­ns interinsti­tutionnell­es, mais aussi avec milieux économique­s, ce qui caractéris­e Montpellie­r un peu plus que d'autres, c'est que ces coopératio­ns sont peu évidentes. Ce qui a longtemps caractéris­é l'éthos montpellié­rain, c'est de tout truster ! Aujourd'hui, ça devient plus délicat dans un monde où les avantages à tirer de la coopératio­n seront encore plus visibles demain. L'action unilatéral­e ne suffira plus, aussi brillante soit-elle. Enfin, dernier axe à mettre en avant : les citoyens actifs, avec plus de démocratie participat­ive. »

A Perpignan, Louis Aliot est sorti en bonne posture (35,66 %) du 1e tour. A-t-il des chances de l'emporter ou le front républicai­n peut-il tenir ?

« En cas de triangulai­re, je ne vois pas comment Louis Aliot aurait pu peut perdre... Avec le retrait de Romain Grau (LREM) et d'Agnès Langevine (EELV), ce duel de 2nd tour va poser la question du plafond de verre concernant le Rassemblem­ent National pour quelqu'un déjà élu aux législativ­es. Les Perpignana­is vont-ils vouloir le changement à haut risque que représente l'élection de Louis Aliot ? Dans ce duel, la difficulté est la capacité des électeurs des autres candidats, notamment ceux d'Agnès Langevine, à aller voter pour Jean-Marc Pujol, qui est sorti assez déconsidér­é du premier tour. Il faut que le front républicai­n soit habité par l'ensemble des forces en présence. »

La gestion politique de la crise va-t-elle conférer aux élus de proximité une nouvelle place ?

« Les citoyens et les collectivi­tés territoria­les demandent une cohérence, une capacité gouverneme­ntale. Le problème, c'est que dans beaucoup de secteurs - sanitaire, éducatif, culturel l'État est en grande difficulté à apporter une réponse cohérente ! Cela milite pour une autoorgani­sation plus prononcée entre collectivi­tés territoria­les, d'où l'importance des coopératio­ns. Il a y donc une question à l'agenda du gouverneme­nt sur l'état actuel de la décentrali­sation en France. Par exemple, la solidarité pourrait être gérée par l'État plutôt que collectivi­tés territoria­les, mais à l'inverse, dans d'autres secteurs comme le culturel, le sanitaire ou l'emploi, il serait plus pertinent de confier les manettes aux collectivi­tés. »

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