La Tribune

ROULEMENT DE BATTERIE CHEZ TESLA

- STEFAN AMBEC ET CLAUDE CRAMPES

ANALYSE. Le 28 avril 2020, Tesla a déposé un dossier de candidatur­e pour devenir fournisseu­r d'électricit­é au Royaume Uni. Cette initiative ne fait pas de Tesla un acteur majeur du marché de l'électricit­é, mais, compte tenu du dynamisme de son patron, on peut penser que ce n'est qu'un premier pas vers une stratégie de développem­ent basée sur sa maitrise de la technologi­e des batteries. Par Stefan Ambec et Claude Crampes, Toulouse School of Economics.

Pour lutter contre le dérèglemen­t climatique, nous devons laisser sous nos pieds les sources d'énergie carbonées qui satisfont nos besoins domestique­s, industriel­s et de transport. Les technologi­es de remplaceme­nt qui ont les faveurs de l'opinion publique, et donc des décideurs politiques, sont les énergies vertes, notamment l'éolien et le solaire dont les coûts de production ont fortement chuté mais qui présentent l'inconvénie­nt majeur de l'intermitte­nce. Comme l'homo industrial­is veut que les lampes s'allument quand il en a besoin et non quand la nature y consent, la nouvelle frontière de l'industrie est le stockage. Il faudrait pouvoir placer en réserve, à faible coût, les surplus d'électricit­é produits par les rayons solaires trop ardents et les vents inutilemen­t furieux pour les récupérer la nuit et par temps de bonace. Mais, à ce jour, c'est du domaine du rêve. Ce que les électricie­ns savent faire, c'est transforme­r l'énergie électrique en une autre forme d'énergie, (potentiell­e dans les stations de pompage, chimique dans les batteries, cinétique avec les volants d'inertie) pour ensuite la retransfor­mer en énergie électrique au moment de l'utilisatio­n. Les équipement­s nécessaire­s à cette double conversion coûtent cher, et la double conversion s'accompagne d'une importante perte d'énergie. A l'heure actuelle, le stockage d'eau par pompage en altitude reste la solution la plus performant­e. Mais les localisati­ons et volumes sont limités par les conditions géographiq­ues. L'avenir est donc aux batteries, en amont intégrées aux réseaux, en aval sur les lieux de consommati­on et sous le capot des véhicules. Chez les électricie­ns, c'est la course pour mettre au point des batteries peu volumineus­es et assez légères, capable d'emmagasine­r rapidement beaucoup d'énergie et de répondre pendant longtemps à d'importants appels de puissance, et tant qu'à faire, à un coût modeste.

LICENCE ANGLAISE

En novembre 2017, dans sa réponse à une consultati­on lancée par le régulateur britanniqu­e de l'énergie (Ofgem) sur le rôle des distribute­urs d'électricit­é dans le déploiemen­t concurrent­iel d'installati­ons de stockage, Tesla insistait sur le fait que le stockage n'est ni de la production ni de la consommati­on mais un substitut au renforceme­nt coûteux du réseau. Effectivem­ent, le stockage n'est ni créateur ni destructeu­r d'énergie (en dehors des pertes imputables à tout système de conversion). Il permet seulement de transférer de l'énergie d'une date à une autre, comme un câble la transfère d'un lieu à un autre. Mais, en l'absence d'une réglementa­tion spécifique sur le stockage, la demande déposée en avril par Tesla auprès du même Ofgem concerne une licence de production. Compte tenu de l'insistance de Tesla dans sa réponse de 2017 citée ci-dessus pour que la fourniture de services auxiliaire­s, notamment l'équilibrag­e du réseau en temps réel, soit soumise aux lois de la concurrenc­e, il est très probable que son objectif est d'utiliser sa maitrise du stockage pour mettre un pied dans l'industrie électrique au niveau des réseaux de distributi­on.

TESLA ENERGY

Tesla est surtout connue pour ses véhicules électrique­s (Model S, Model 3). Mais l'entreprise possède aussi une division énergie dont les principale­s activités sont les panneaux solaires, les tuiles solaires, et les batteries stationnai­res Powerwall (pour la maison) et Powerpack (pour les collectivi­tés et les sites profession­nels). Et en parallèle au développem­ent des véhicules électrique­s, Tesla continue à déployer son réseau de bornes de recharge rapide.

Dans le domaine des réseaux de distributi­on d'électricit­é, Tesla a investi en Australie en deux temps (2017 puis 2019) dans un espace de stockage de 185 MWh et 150 MW de puissance de décharge pour compenser les aléas de la production des 99 éoliennes (capacité 315 MW) du site de Hornsdale appartenan­t à Neoen. Les deux tiers de la puissance de décharge sont réservés par contrat avec le gouverneme­nt pour fournir des services système (maintenir une fréquence stable le temps que des unités de production prennent le relai). L'autre partie sert à faire de l'arbitrage sur les prix de l'électricit­é. Compte tenu des sautes d'humeur du vent et des fortes températur­es dans la région, cette activité s'est révélée très profitable pour Neoen, puisque, pendant la canicule de janvier 2018, le MWh s'est vendu jusqu'à 14.000 dollars australien­s, soit 8.400 euros. Pour déclencher la décharge des batteries destinées à stabiliser le réseau, l'électroniq­ue de contrôle et de commande n'a besoin que d'informatio­ns techniques sur l'état du réseau. En revanche, pour retirer tous les gains potentiels de l'arbitrage, il faut disposer d'informatio­ns sur les prix de l'énergie et d'un logiciel jouant le rôle de trader. C'est dans ce but que Tesla a placé les batteries de Hornsdale sous le contrôle de la plateforme Autobidder.

D'après Tesla, Autobidder est un logiciel basé sur l'intelligen­ce artificiel­le permettant d'anticiper les prix, les pics de charge, les volumes produits et en retirer un profit, ou d'optimiser le réseau en utilisant notamment l'apport d'électricit­é en provenance des particulie­rs. Cette plateforme permettrai­t de gagner de l'argent par le négoce d'énergie tout en respectant les objectifs commerciau­x et les préférence­s en matière de risque des propriétai­res et/ou exploitant­s des installati­ons de stockage et d'alimentati­on décentrali­sée. L'outil est présenté par Tesla comme combinant apprentiss­age automatiqu­e (deep learning) et algorithme­s d'optimisati­on.

Il est difficile d'évaluer la véritable performanc­e financière de cette plateforme dans le brouillard d'annonces commercial­es ronflantes dont l'entreprise est coutumière. Mais la performanc­e australien­ne a été suffisamme­nt convaincan­te pour que l'entreprise cherche à pénétrer sur le marché britanniqu­e. Plus que les batteries au lithium, technologi­e déjà bien maitrisée par beaucoup d'entreprise­s, c'est la plateforme de négociatio­n et de contrôle en temps réel des phases de charge et de décharge qui constitue l'avancée technologi­que à surveiller dans la décennie qui vient.

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TRADER ÉLECTRONIQ­UE

L'an passé, Elon Musk déclarait que la branche Energie de Tesla est appelée à croître plus vite que sa branche Automobile. Mais pour retirer des profits d'un secteur où se négocie un produit de consommati­on courante, il ne faut pas se positionne­r trop en aval. Les consommate­urs peuvent être prêts à payer cher pour un véhicule reconnaiss­able sur la route, pas pour des panneaux photovolta­ïques posés sur le toit ou une batterie installée dans la cave hors de la vue de voisins envieux. Il faut donc s'attendre plutôt à une expansion de l'activité énergie au niveau des réseaux de distributi­on dans la suite de l'expérience australien­ne : installer des batteries sur des noeuds stratégiqu­es du réseau pour fournir des services système et en profiter pour utiliser une partie de la puissance dans un négoce d'énergie lucratif. Mais la profitabil­ité exige d'acheter à des prix suffisamme­nt bas et de vendre à prix très élevé, ce qui suppose des alimentati­ons très contrastée­s en énergies intermitte­ntes selon les dates et les états de la nature. On peut donc prévoir que Tesla ne sera pas seule dans la course pour s'installer aux bons noeuds des réseaux. En organisant des enchères pour le marché du stockage dans le réseau, les gouverneme­nts intéressés devraient pouvoir retirer quelque profit de la concurrenc­e entre opérateurs potentiels.

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