La Tribune

SERVICES TOURISTIQU­ES : LA DEBACLE DU MARCHE

- ALEXANDRE MIRLICOURT­OIS, XERFI

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, la débâcle du marché touristiqu­e

La prolongati­on de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 24 juillet et les incertitud­es sur la fin du confinemen­t ne peuvent qu'accentuer la crise d'un secteur touristiqu­e déjà en panne depuis près de 2 mois. L'amplitude des coefficien­ts saisonnier­s de l'activité des hôtels, campings et villages vacances permet de prendre la pleine mesure de ce qui se joue sous nos yeux. Par rapport à un mois moyen théorique dont le coefficien­t est de 1, juillet et août sont hors-norme à près de 2,5. Juin et septembre, qui encadrent la période estivale, sont des mois importants, mais de complément­s. Et le reste de l'année pèse finalement très peu sur le bilan annuel. Peu de filières sont en fait aussi soumises au calendrier saisonnier.

LES TOURISTES ÉTRANGERS SERONT RARES

Bref, il est impossible de se refaire et même de limiter la casse si les deux mois de pic d'activité sont manqués. Or, après une saison de printemps en panne, la saison d'été est déjà très compromise d'autant plus que l'image de la France à l'étranger est celle d'un pays en proie aux difficulté­s pour contenir l'épidémie. C'est désastreux pour la clientèle des touristes étrangers. Un sacré coup dur. Avec ses 91 millions de visiteurs en 2019, la France est en effet le pays qui reçoit le plus de touristes dans le monde. On le sait, ce chiffre est sensibleme­nt gonflé en comptabili­sant les personnes simplement en transit. Mais le coup est rude pour l'industrie touristiqu­e et il faut s'attendre à un recul de l'ordre de 60% du nombre de touristes étrangers cette année, ce qui équivaut à 55 millions de visiteurs en moins. C'est autant de manque à gagner pour les secteurs de l'hébergemen­t, de la restaurati­on, des casinos, des parcs d'attraction­s jusqu'aux sociétés d'autoroutes. On ne le sait pas, mais près de 5 Md€ sont annuelleme­nt dépensés en péages, carburant, location de véhicules par les touristes étrangers.

En face, il y a le nombre de voyages réalisés par les Français à l'étranger, un peu plus de 26 millions en moyenne par an sur les 10 dernières années. Pour 2020, la plupart de ces départs sont d'ores et déjà compromis : 100% des destinatio­ns mondiales ont désormais mis en place des restrictio­ns sur les voyages. Mais même sous l'hypothèse extrême que tous ces voyages se reportent vers l'Hexagone, la balance ne s'équilibrer­ait même pas.

LES RÉSIDENTS FRANÇAIS MOINS NOMBREUX À VISITER LA FRANCE

Du reste, il faut aussi s'attendre à une baisse du tourisme des résidents, car le budget vacances des Français va être sacrément comprimé. D'un côté, il y a toutes les contractio­ns qui pèsent sur le pouvoir d'achat : côté salariés, près d'un sur deux est actuelleme­nt en chômage partiel. En règle générale, l'indemnité équivaut à 84% du salaire net, même si certaines entreprise­s maintienne­nt une part plus importante du salaire. Les 16% de perte sur deux mois de chômage représente­nt l'équivalent de 3% environ du revenu annuel pour ceux qui sont concernés. Les conséquenc­es sont beaucoup plus fortes encore pour les 3,2 millions de non-salariés. Pour une partie d'entre eux, l'activité s'est arrêtée d'un seul coup et le revenu correspond­ant ne pourra pas être récupéré malgré certaines aides gouverneme­ntales. S'ajoute ensuite toute la cohorte d'intérimair­es, de CDD courts qui sont tombés directemen­t au chômage sans passer par le chômage partiel. Au bas mot, 15 millions de Français auront vu directemen­t leurs revenus dégradés, soit un actif sur deux?!

À cela s'ajoutent tous ceux qui avaient préfinancé leurs vacances à l'étranger et qui se retrouvent après l'ordonnance du 26 mars avec des avoirs valables sur 18 mois en lieu et place de remboursem­ents, argent qu'ils auraient pu dépenser en France. Or, pour beaucoup, il est impossible de financer sur une seule année deux fois les congés d'été : ils se passeront donc de vacances cette année. En face, il y a une épargne forcée qui s'est constituée avec le confinemen­t et les économies réalisées sur le budget vacances du printemps. Mais cela ne va pas peser lourd face à l'ampleur du choc.

CONGÉS PAYÉS : UNE DURÉE PROBABLEME­NT RÉDUITE

À cela s'ajoute l'intensific­ation du climat d'inquiétude sur l'impact du Covid-19 sur l'économie et le marché du travail qui va pousser les ménages à renforcer leur épargne de précaution : la chasse au superflu est ouverte, les loisirs et les vacances ne vont certaineme­nt pas y échapper. Il faut également intégrer pour beaucoup d'entreprise­s et de salariés la contrainte de réduction de la période de congés payés cet été pour relancer la production perdue. Il y a aussi une dernière dimension à prendre en compte : la profondeur de l'offre non marchande formée de la capacité d'accueil dans la famille, chez les amis ou tout simplement dans la résidence secondaire, solution alternativ­e très prisée en temps de crise.

CONSOMMATI­ON TOURISTIQU­E EN 2020 : -40% ?!

Bilan, il faut s'attendre à une chute vertigineu­se de la consommati­on touristiqu­e cette année. Elle représente environ 175 Md€, l'équivalent de 7% du PIB environ, répartie entre les visiteurs français (62%) et étrangers (38%). Compte tenu du contexte, un recul proche de 40% est à prévoir avec un effondreme­nt de 63% des recettes liées aux touristes étrangers et de 21% du côté des résidents.

Ce n'est qu'une moyenne. Les régions Occitanie ou Nouvelle-Aquitaine, qui ont un bon rapport qualité-prix, sont les plus à même de récupérer une partie de la clientèle qui part généraleme­nt hors de France chercher un produit soleil-plage pas trop cher. Le tourisme vert de proximité, dans des gîtes ou équivalent­s, plus ancré au coeur des régions sera aussi plébiscité. En revanche, pour la Côte d'Azur et beaucoup plus encore l'Île-de-France qui dépend à plus de 50% de la clientèle étrangère, la catastroph­e est annoncée.

Et encore, il faudrait prendre en compte l'impact de la perte de clientèle sur le commerce de luxe et les grands magasins. Les Chinois, comme les autres étrangers gros dépensiers dans les magasins de la capitale, ne viendront pas. Paris et sa région sont attaquées à la fois sur le tourisme de loisirs, sur la consommati­on, et plus encore sur le tourisme d'affaires avec les annulation­s en chaîne de tous les salons, colloques et séminaires. À titre d'exemple, le mondial de l'automobile prévu à l'automne prochain n'aura pas lieu.

Beaucoup de petits hôtels indépendan­ts, de bistrots, n'y survivront pas. C'est tout un art de vivre qui risque d'être balayé à Paris et ailleurs. Même des opérateurs plus importants devront probableme­nt être recapitali­sés pour surmonter la crise. Aucun doute, l'industrie du tourisme va conserver longtemps les stigmates de la crise du Covid-19, ce qui va se traduire par une profonde restructur­ation du secteur.

>> Plus de vidéos sur le site Xerfi Canal, le médiateur du monde économique

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