La Tribune

LA CRISE, UNE OCCASION DE REPENSER LE COLLECTIF DE TRAVAIL

- PASCAL JUNGHANS ET DENYS NEYMON

OPINION. A l'heure où les partenaire­s sociaux entament des négociatio­ns sur le télétravai­l, qui a été plébiscité par les salariés, comment récréer des collectifs de travail à distance ? Par Pascal Junghans, enseignant à l'université de Paris-Dauphine et chercheur au Centre de recherche en gestion (EA CNRS), et Denys Neymon, ancien DRH de grands groupes, fondateur et dirigeant de MentoRH.

La pandémie a montré, sondages à l'appui, l'appétence des salariés pour le télétravai­l, favorisée par la multiplica­tion, la puissance et la facilité d'usage des outils numériques. Cette crise sera, comme d'autres, un accélérate­ur de tendances de fond. Le travail à distance de longue date était en germe dans la forte progressio­n du travail collaborat­if, du travail mobile. Il était poussé par les demandes d'autonomie venant des salariés et par les démonstrat­ions convaincan­tes d'entreprise de la nouvelle économie. Bill Gates ne disait-il pas : « Les leaders du nouveau siècle seront ceux qui rendent les autres autonomes » ? Et que dire des exigences écologique­s visant à limiter les déplacemen­ts ?

Demain, plus de travail à distance ? Oui, mais pas sans risque : le collectif de travail, rassemblé physiqueme­nt, reste très efficace pour produire biens et services car il génère plus de créativité, plus d'émotion, plus d'envie de collaborer, permet l'identifica­tion à l'entreprise à sa raison d'être, il est plus efficace pour mettre le client au centre..., le travail à distance rend plus difficile le management qui s'individual­ise sans l'effet de lissage des comporteme­nts et la tension vers le but commun qui sont des fruits de la vie en commun. Il induit des comporteme­nts très variés : plus de temps pour faire le travail, de la sur-qualité éventuelle, un désintérêt pour le sens.

UNE OPPORTUNIT­É

Nous l'avons tous appris : la crise est une opportunit­é. Celle-ci doit être l'occasion de repenser l'intelligen­ce collective. Dès aujourd'hui, les dirigeants des petites et grandes entreprise­s doivent se demander comment créer du collectif dans un autre contexte de travail.

La première réponse réside dans les outils informatiq­ues et leur maîtrise, dont les blockchain­s qui commencent à être utilisés pour permettre le travail en commun à distance. Ces outils, certes indispensa­bles, ne suffisent pas, car ne sont pas pertinents pour tous les métiers et ne garantisse­nt pas par eux-mêmes l'efficacité du management à distance.

La deuxième piste consiste donc à revoir la place, le rôle et les fonctions du manager, moins porteur de l'autorité mais plus entraineur, connecteur d'idées, lien entre les personnes et avec le top management.

Il faudra également et peut être surtout commencer par le soin extrême à apporter aux relations sociales. Les syndicats sont critiqués et souvent ignorés par les salariés. Ils ne touchent pas ou peu les TPE, les PME les indépendan­ts. Alors comment un dirigeant peut comprendre les mouvements collectifs, et même simplement en être informés ? Comment désamorcer les fausses rumeurs, la « giletjauni­sation » de quelques groupes ? Avec qui gérer les crises déclarées ? Des innovation­s peuvent leur redonner du crédit comme le chèque syndical, permettant à l'entreprise de payer une partie de la cotisation syndicale d'un salarié. Il serait aussi possible, pour éclairer le dialogue social, de donner une voix consultati­ve aux nouveaux collectifs qui émergent comme ceux des femmes ou d'installer des instances de dialogue de projet ou d'écosystème, déjà expériment­ées, et permettant d'inclure la voix de toutes les parties prenantes à la vie de l'entreprise, qu'elles soient ou non salariées de celle-ci.

ETABLIR LA CONFIANCE

Plus globalemen­t, une des clés pour associer efficacité et travail à distance réside dans la confiance. Or, celle-ci fait défaut dans nos entreprise­s comme à tous les niveaux de notre société, à la différence de beaucoup d'autres pays. Or, la confiance est la clé de voute du travail à distance. Elle permet de surcroit une plus grande réactivité et réduit la complexité. Plusieurs conditions sont nécessaire­s pour la favoriser : créer de la sécurité psychologi­que et managérial­e pour que les collaborat­eurs puissent s'exprimer. Faire en sorte que chacun sache à tout moment ce que le dirigeant attend de lui, faire partager beaucoup plus largement l'informatio­n sur les objectifs, la stratégie, et les tactiques mais aussi les difficulté­s de l'entreprise.

Ainsi, cette crise nous place face à un challenge : inventer de nouvelles méthodes de management, de nouvelles façons d'être patron et, au fond, une réinventio­n de l'entreprise.

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