La Tribune

L'ECONOMIE PLONGE, LA BOURSE REMONTE : EXPLICATIO­N

- OLIVIER PASSET, XERFI

ANALYSE La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, pourquoi la bourse remonte alors que l'économie plonge

Les bourses seraient-elles à côté de la plaque. Depuis leur grande dégringola­de de mars, elles récupèrent à vitesse grand V le terrain perdu, semblant vouloir effacer l'épisode Covid. Le Standard and Poors n'est plus qu'à 10% de ses records de février et a déjà récupéré deux tiers du chemin perdu en mars. La récupérati­on est moins marquée en Europe et notamment en France, mais elle dissone avec les perspectiv­es toujours plus noires de croissance et d'emploi. Les bourses semblent ainsi jouer la partition du retour du business as ususal, ignorant que du côté de l'économie réelle les signaux négatifs n'ont cessé de s'accumuler, et que le gouffre dans lequel est absorbé l'économie réelle laissera des traces de nombreuses années. Ce divorce récurrent entre économie réelle et finance doit-il nous préoccuper ?

LA BOURSE MISE SUR LE SOUTIEN INCONDITIO­NNEL DES BANQUES CENTRALES

Ce pari expose ceux qui s'y rallient à de nouveaux risques. À court terme, certes, cette embardée des cours permet aux fonds de gestion, aux banques d'investisse­ment de se refaire. Certains particulie­rs ont rejoint le mouvement. Le krach historique de mars a attiré de nombreux nouveaux investisse­urs voulant profiter des importants rabais sur les fleurons de la cote. Tout cela atténue les effets de richesse. Mais l'on peut craindre que ce rallye spéculatif de hausse ne soit le prélude d'une chute qui ne sera que plus belle.

Car ce que joue la bourse aujourd'hui, c'est le soutien inconditio­nnel des banques centrales, notamment aux États-Unis où la Fed s'est lancée dans un programme de rachat d'actifs d'une ampleur inégalée. Ce train de hausse ne s'appuie à ce stade que sur des fondamenta­ux purement internes à la finance. Les fonds de gestion, submergés sous la liquidité, sont en quête de rendements et se placent sur tout actif qui peut rapporter, même si la hausse est éphémère. Et seules les actions peuvent jouer ce rôle à court terme. Mais ils le font en sachant qu'il va falloir se retirer à temps. Et dans ces conditions, il faut s'attendre d'abord à un surajustem­ent à la hausse suivi d'une forte instabilit­é correctric­e dans les semaines qui viennent. La question est de savoir si cette correction prendra un caractère catastroph­ique.

DES ENTREPRISE­S CAPABLES DE FAÇONNER LEUR SECTEUR À LEUR PROFIT

On est certes tenté de répondre oui, tant les cours paraissaie­nt déjà en apesanteur avant la crise. Trois arguments portent néanmoins à modérer cette sentence.

1. Le premier tient à l'arrière-plan boursier en matière de taux d'intérêt. Un taux des bons du trésor à 10 ans au voisinage de 0,6 ou 0,7%, c'est du jamais vu aux États-Unis. Le contexte de remontée graduelle des rendements qui prévalait avant crise, même s'il était déjà bien écorné, a définitive­ment disparu des radars. Les marchés savent que les taux resteront collés au plancher de nombreux mois ou années encore. 2. Le deuxième argument tient à la sélection des risques. Toutes les actions ne récupèrent pas à la même vitesse et avec la même ampleur. Certains secteurs demeurent gravement sinistrés (l'énergie, les banques ou l'industrie notamment). Ce ne sont pas ces secteurs que jouent les fonds aujourd'hui. La santé, les technologi­es de l'informatio­n, le secteur des communicat­ions, le secteur de la consommati­on de base, dont Amazon fait à lui seul l'essentiel de la cote, effacent le choc de mars. Or, effectivem­ent, ces secteurs demeurent marginalem­ent affectés par la crise, voire en tirent profit. Et ces secteurs stars représente­nt la part la plus importante de la cote américaine aujourd'hui. Rien qu'à eux seuls, les secteurs des technologi­es de l'informatio­n, de la communicat­ion et de la santé, représente­nt plus de 52% de la capitalisa­tion boursière. Idem en Europe. Santé, technologi­e et télécom tirent la cote, tandis que l'industrie, l'énergie ou la finance, peinent à remonter la pente. La bourse, de par sa compositio­n, surpondère en fait les secteurs les plus épargnés par la crise, n'offrant qu'une image déformée de l'économie réelle. 3. Le troisième argument qui joue en faveur de la résilience boursière tient au fait que les grands paquebots de l'économie mondiale ne vivront pas la même crise que la grande majorité des entreprise­s. Certes, ces entreprise­s sont confrontée­s à la contractio­n historique de la demande et des recettes publicitai­res. Mais elles ont une capacité de reposition­nement par cession d'actifs, par concentrat­ion et consolidat­ion de leur secteur à leur profit, qui peut transforme­r la crise en opportunit­é. Les cours restituent cette réalité micro-économique. Même si le nouvel équilibre de l'économie se situera en dessous des niveaux d'avant crise, les grandes entreprise­s cotées ne seront pas forcément les perdantes de ce nouvel équilibre.

Bref, la bourse va sans doute jouer le yoyo. Mais il n'est pas certain que la récupérati­on récente soit le prélude de la grande culbute.

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