La Tribune

NOKIA : LES SYNDICATS MONTENT AU CRENEAU

- PIERRE MANIERE

Les représenta­nts du personnel de l’antenne française de l’équipement­ier télécoms finlandais se mobilisent pour pousser la direction à revoir son plan de suppressio­n de 1.233 postes.

Après la stupeur, la mobilisati­on. Effondrés par l'annonce, ce lundi, d'un vaste plan de suppressio­n de 1.233 postes chez Nokia France, les syndicats montent au créneau. Désormais, ils comptent pousser tous les leviers à leur dispositio­n pour faire reculer la direction de l'équipement­ier télécoms finlandais. En premier lieu, ils espèrent que le gouverneme­nt les épaulera. Mardi après-midi, les représenta­nts du personnel ont été reçus à Bercy par Aloïs Kirchner, le directeur de cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances. D'après un syndicalis­te, qui évoque « une discussion franche », celui-ci a d'emblée donné le ton, expliquant que l'exécutif n'avait pas le pouvoir d'arrêter un PSE.

Bercy s'est néanmoins dit disposé à envisager toutes les options possibles pour pousser Nokia à

« améliorer », comme il le souhaite, « très significat­ivement son plan social ». C'est-à-dire, en clair, à sauver plusieurs centaines d'emplois. Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, a fait un passage éclair à cette réunion. Aux dires de notre syndicalis­te, il a déclaré qu'il fallait absolument garder le savoir-faire et les talents de Nokia en France. Comment ? L'exécutif souhaitera­it, d'abord, convaincre l'équipement­ier que la France constitue un atout pour ses activités stratégiqu­es de R&D, notamment dans la 5G. Le gouverneme­nt en veut pour preuve l'ouverture, en janvier 2020, d'un centre de recherche dédié à cette technologi­e par Ericsson, le rival suédois de Nokia, en région parisienne.

A BERCY, « UN CERTAIN DÉSARROI »

D'après notre syndicalis­te, l'exécutif pourrait proposer à Nokia des incitation­s financière­s concernant les activités de R&D. Sous quelle forme ? « Nous n'en savons encore rien », précise le représenta­nt du personnel. Les syndicats ont avancé, de leur côté, différente­s options. Certaines sont liées à d'éventuels montages avec d'autres sociétés, comme Orange ou Thales, pour mettre des compétence­s et activités en commun. « Ils nous ont écouté, étaient demandeurs d'idées, précise le syndicalis­te. On sentait, de leur part, un certain désarroi. »

Les syndicats ont réaffirmé leurs doutes concernant le respect par Nokia des engagement­s pris auprès de l'Etat en 2015, lors du rachat d'Alcatel-Lucent. A l'époque, le groupe finlandais s'est notamment engagé à préserver 4.200 emplois chez Alcatel-Lucent Internatio­nal pendant deux ans, et à étoffer significat­ivement ses troupes en R&D pendant quatre ans. Si ces obligation­s n'ont pas été respectées, le gouverneme­nt pourrait utiliser ce levier pour contrecarr­er les plans de Nokia. Mais pour Bercy, ces promesses ont globalemen­t été tenues.

UNE MANIFESTAT­ION LE 8 JUILLET

D'autres moyens de pression ont été discutés. L'un d'eux concerne les contrats d'équipement­s de réseaux mobiles de Nokia dans l'Hexagone. Orange, le leader français des télécoms, a notamment choisi le groupe finlandais, avec Ericsson, pour déployer la 5G. L'Etat, qui est le premier actionnair­e de l'opérateur historique, pourrait-il le pousser à choisir un autre fournisseu­r si Nokia campait sur ses positions ? Cela semble compliqué. D'une part, Orange a arrêté ses choix d'équipement­iers il y a cinq mois. D'autre part, à côté d'Ericsson, Orange n'aurait plus le choix qu'entre le sud-coréen Samsung, nouveau dans ce domaine, ou le chinois Huawei, dont on ignore encore s'il sera autorisé en France...

Quoi qu'il en soit, les syndicats comptent faire entendre leur voix. Un rassemblem­ent s'est déroulé mardi matin sur le site de Lannion (Côtes d'Armor). Les représenta­nts du personnel ont demandé une autorisati­on de manifester à Paris, le 8 juillet prochaine, en partant Bercy pour rejoindre l'ambassade de Finlande. Dès mardi, les leaders de la CGT et de la CFDT se sont emparés du sujet. « Il faut que l'Etat dise : 'pas question de supprimer des emplois, il faut garder ces emplois en France' », a lancé Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, sur France Inter. Laurent Berger, son homologue de la CFDT, a également tapé du poing sur la table. Puisque l'équipement­ier finlandais bénéficie du « crédit impôt recherche » sur sa filiale française, ce qui rend ses emplois d'ingénieurs en France « moins chers que dans d'autres pays de l'OCDE », l'Etat est « en droit d'exiger que Nokia se comporte correcteme­nt », a-t-il tempêté sur BFM Business.

UNE VENTE CONTROVERS­ÉE

Dans ce dossier, Emmanuel Macron est attendu au tournant. C'est lui qui a autorisé la vente d'Alcatel-Lucent à Nokia en 2015, lorsqu'il était ministre de l'Economie. A l'époque, le locataire de Bercy clamait que ce deal permettrai­t « de créer un champion européen », et « qu'il n'y aura aucune destructio­n d'emplois en France ». Depuis, Nokia France a déjà lancé trois plans sociaux, et s'est séparé d'environ 1.200 salariés.

Lire aussi: Nokia veut tailler à la hache dans ses effectifs de R&D en France

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