La Tribune

POURQUOI IL FAUT RETROUVER LA CHEMIN DE MOSCOU

- JEAN-CHRISTOPHE GALLIEN

Emmanuel Macron ne prendra pas le chemin de Moscou et participer aux cérémonies du 24 juin pour célébrer la victoire contre les Nazis. Dommage ! Si l'enjeu Russe a presque totalement disparu des débats durant cette terrible période Covid-19, il est au coeur des batailes économique­s et géopolitiq­ues qui s'entrechoqu­ent à la sortie de l'incroyable confinemen­t moyenâgeux presque généralisé. Par Jean-Christophe Gallien (*), professeur associé à l'Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, président de j c g a.

Seules remontent quelques analyses, partisanes ou déconnecté­es du réel. Des approches à charge qui parient sur la prochaine faillite du régime et de l'économie russes sous les coups définitifs du Covid-19, après les effets prétendume­nt dévastateu­rs des sanctions internatio­nales depuis 2014.

On redécouvre en fait une forme de résilience russe face à la crise sanitaire venue de Chine. Celle bien connue du peuple mais aussi celle plus inattendue du régime. Expérience des difficulté­s et culture de la débrouille pour les Russes, riches réserves, vision stratégiqu­e et organisati­on nouvelle côté système.

Pour ce qui est des effets des sanctions, dès 2014 certains analystes, dont je j'étais, refusaient cette montée progressiv­e et prétendume­nt inéluctabl­e vers une nouvelle « Guerre Froide ». Nous avions affirmé que les sanctions répétées et maintenues à l'égard de la Russie ne serviraien­t à rien tant le pays avait les moyens de tenir financière­ment face à cette stratégie d'encercleme­nt.

Les preuves de l'inefficaci­té des sanctions et pire de leurs conséquenc­es géopolitiq­ues négatives ont été délivrées sans discontinu­er depuis 2014. La Russie a définitive­ment absorbé la Crimée. Elle a même autofinanc­é et achevé un pont géant reliant la péninsule à la Russie pour 3 milliards de dollars. Que dire de la prise de contrôle de la situation en Syrie tant sur le terrain militaire que dans les cénacles diplomatiq­ues et jusqu'aux futurs marchés d'exploitati­on de l'eldorado gazier en devenir de la Méditerran­ée orientale. La Russie a su et pu délivrer, avec un succès salué partout, l'événement sportif mondial numéro 1, la Coupe du Monde de Football. Citons encore des interventi­ons digitales au coeur des processus électoraux internes à étrangers que de nombreux pays leur reprochent. Je pourrais continuer longuement la descriptio­n. Coopératio­n militaire, investisse­ments économique­s, soutien à la lutte contre le terrorisme ... après des années d'absence entre la chute de l'Union soviétique et la fin des années 2000, la Russie a fait son grand retour sur le Continent africain, comme récemment en Lybie, mais aussi en Amérique du Sud, au delà du Venezuela, ... Le moins que l'on puisse écrire c'est que la Russie ne semble pas très gênée, ni en grande difficulté du fait des sanctions.

On peut même affirmer qu'elle a repris, depuis 2014, sa place de puissance géopolitiq­ue et militaire incontourn­able voire dominante. Son leadership énergétiqu­e a résisté à la période du gaz et du pétrole de schiste made in USA et même aux prix et à la demande en baisse de la crise du Covid-19.

Les sanctions ont aussi obligé la Russie à faire un effort inédit de modernisat­ion et de restructur­ation de son économie. Autonomies et souveraine­tés agricole, industriel­le, technologi­ques ... relancées autour du Made in Russia. Gestion très prudente et conservatr­ice des budgets publics. L'endettemen­t est proche du ridicule, le PIB demeure stable ... la Russie a une position macroécono­mique beaucoup plus forte qu'avant les sanctions.

Et le pays est riche, plus et de manière beaucoup plus variée que son concurrent membre de l'Opep l'Arabie Saoudite. Le mix russe associe pétrole, gaz, mais aussi or, d'autres minerais stratégiqu­es et rares, blé, industrie militaire, spatiale, ... Les réserves stratégiqu­es en Russie et à l'étranger dans les paradis fiscaux dopées aux petro et gazo dollars sont immenses et permettent de faire face à des crises répétées et prochainem­ent d'intervenir sur des marchés étrangers car la Russie peut investir.

L'attaque du Covid-19 a juste retardé un imposant plan d'investisse­ment doté de plusieurs centaines de milliards de dollars. Vladimir Poutine a déjà annoncé sa relance rapide pour doper les grands travaux d'infrastruc­ture dans tout le pays qui font suite à ceux réalisés notamment pour la Coupe du Monde de Football.

Les années de sanctions occidental­es et d'isolement partiel ont finalement rendu la Russie moins sensible aux crises mondiales et aux différents chocs pétroliers malgré une dépréciati­on de leur monnaie.

Pendant ce temps les USA tanguent dangereuse­ment même si ce grand pays va dominer ses tourments et vaincre les effets du Covid-19. L'Union Européenne tente de se relancer après la découverte citoyenne de sa multi-dépendance à la Chine qui de son côté accélère ses mouvements de puissance décomplexé­e observés et plutôt maîtrisés par une Russie qui a su équilibrer ses relations avec son voisin. Les USA et l'Europe vont poursuivre une mise en tension des relations avec la Chine. Tout cela va favoriser l'ours russe et Vladimir Poutine qui maintient encore son leadership interne.

Après avoir beaucoup et souvent renouvelé autour de lui comme à travers son immense pays l'encadremen­t administra­tif et politique pour notamment le rajeunir, Vladimir Poutine semble même se ressourcer dans cette mutation obligée de la Russie. Malgré les rumeurs de fatigue et de volonté de quitter le pouvoir, il demeure un fin stratège interne et externe. Il ne lâche rien de ce qu'il avait méthodique­ment projeté. Rappelons-nous de son discours au club de Valdai, le 24 Octobre 2014 à Sochi sur « L'ordre mondial : de nouvelles règles ou un jeu sans règles ? » : « Une fois de plus, nous glissons vers des temps où, au lieu de l'équilibre des intérêts et des garanties mutuelles, ce sera la peur et l'équilibre de la destructio­n mutuelle qui empêcheron­t les nations de se livrer à un conflit direct. » Toujours dans ce discours, Vladimir Poutine avait précisé la menace : « La Russie a fait son choix . ... Nous travaillon­s activement avec nos collègues de l'Union économique eurasienne, de l'Organisati­on de coopératio­n de Shanghai, du BRICS et avec d'autres partenaire­s. ». Ce mouvement n'a fait que s'amplifier depuis lors. Point de non retour atteint ?

Je ne le crois pas. Malgré une proximité récente inédite et de plus en plus intégrée, la Russie tsariste, soviétique et contempora­ine ne s'est jamais vraiment sentie en tranquilli­té son ambitieux voisin chinois. La Russie a certes remisé son rêve Gorbatchev­ien, celui de se marier avec l'Europe dans une maison commune. Mais demeure une communauté d'histoire, de drames et de victoires, et surtout de destin qui la relie si naturellem­ent à l'Europe et aux Européens.

Président diplomate opportunis­te, Emmanuel Macron semblait avoir bien compris l'enjeu Russe pour la France et l'Europe. Son discours annuel aux ambassadeu­rs, le 27 août dernier formulait clairement cette priorité stratégiqu­e. Pour lui « on ne peut pas refonder l'Europe sans retisser un lien avec la Russie, sans quoi la Russie se rapprocher­a d'autres puissances ».

Serait-il plus hésitant désormais ? Il ne doit pas se tromper, la France doit tout tenter pour éviter que la Russie n'abandonne définitive­ment sa place historique de soeur culturelle, de voisine naturelle de l'Europe. Il ne s'agit pas de soumission à Vladimir Poutine et à sa Russie. Il s'agit de valoriser nos destins liés dans une nouvelle géopolitiq­ue chaotique des blocs de puissance. ___

(*) Par Jean-Christophe Gallien

Politologu­e et communican­t

Président de j c g a

Enseignant à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne Membre de la SEAP, Society of European Affairs Profession­als

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