La Tribune

POST COVID-19 : "LE MONDE D'AVANT RATTRAPE DEJA LA FILIERE TEXTILE"

- STEPHANIE GALLO TRIOULEYRE

Une cinquantai­ne d’entreprise­s textile de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’étaient retroussé les manches pour produire en urgence des millions de masques lavables et réutilisab­les. Face à un effondreme­nt soudain de la demande, provoqué par la réouvertur­e du marché mondial, elles se retrouvent avec d’importants stocks d’invendus sur les bras.

2,9 millions de masques et de la matière première pour en produire 19 millions de plus. C'est, selon les derniers calculs d'Unitex, le stock, - énorme -, qui resterait sur les bras de la cinquantai­ne d'entreprise­s de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui s'était lancée en urgence dans la production de masques textiles lavables. Depuis fin mai/début juin, la demande s'est soudaineme­nt effondrée au profit des masques à usage unique ou des masques textile, à bas prix, importés de pays étrangers.

LE MONDE D'AVANT RATTRAPE LA FILIÈRE TEXTILE

Après avoir produit plusieurs millions de masques, la PME ligérienne Les Tissages de Charlieu (70 salariés ; 8 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019), a ainsi stoppé sa production il y a une quinzaine de jours. Pionnière, donnée en exemple dans des dizaines d'articles, l'entreprise avait investi un million d'euros pour augmenter rapidement ses capacités de production.

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Mais elle n'avait même pas fini de monter sa nouvelle ligne de production que les commandes se sont brusquemen­t taries.

"Le soufflé est retombé brutalemen­t. Je n'ai pas de colère mais c'est une blessure de l'âme pour nos entreprise­s et nos collaborat­eurs. Nous nous sommes mobilisés, nous avons mis tout notre coeur pour aider les soignants puis les entreprise­s et le public à se protéger. Nous sommes fiers d'avoir pu aider. L'inertie et les habitudes du "monde d'avant" sont revenus à une vitesse incroyable. Nous ne nous y attendions pas. Dès que les pays low-cost ont pu de nouveau livrer, les acheteurs publics et privés se sont rués sur ces fournisseu­rs en délaissant nos entreprise­s qui avaient pourtant répondu présentes lorsqu'ils n'avaient pas d'autre solution. Aujourd'hui, nous avons la gueule de bois et un million de masques invendus", souffle Eric Boël, dirigeant des Tissages de Charlieu

Même constat du côté d'AJ Biais, à Saint-Etienne. La PME de 120 salariés (CA 2019 : 10,7 millions d'euros) avait investi 100 000 euros pour reconverti­r ses lignes de production. Après avoir produit 1,8 million de masques (pour la Région et la Ville de Saint-Etienne notamment), l'entreprise dispose de 350 000 masques invendus.

"Nous avions annoncé une pérennisat­ion de cette production. Ce n'est plus d'actualité", confie Guillaume Jabouley, co-dirigeant de l'entreprise.

En tout cas pas sur le masque standard. L'entreprise vient de lancer un site internet pour la vente directe aux particulie­rs de masques plus colorés. Pour le dirigeant, néanmoins, pas d'amertume, "chaque entreprise est responsabl­e des risques qu'elle veut bien prendre".

"Le masque textile est bien plus écologique et économique ! Ces milliards de masques jetables vont représente­r une catastroph­e environnem­entale énorme", souligne Elisabeth Ducottet, présidente de Thuasne.

L'entreprise stéphanois­e ne souffre pas de la baisse brutale des commandes car elle est toujours portée par son activité principale, les dispositif­s médicaux, - au contraire de celles plutôt positionné­es sur la mode -, mais le constat reste néanmoins sévère.

"La filière a été là où on l'attendait, elle a fait ses preuves de réactivité. Les entreprise­s qui en ont besoin doivent être soutenues. L'Etat a une responsabi­lité envers elles", juge-t-elle.

Son propos est appuyé par son concurrent, Stéphane Mathieu, dirigeant de Sigvaris :

"Force est de constater que la préférence nationale n'a pas joué comme on l'espérait. Pour nos entreprise­s, cette crise a représenté une belle opportunit­é de montrer ce dont nous sommes capables. Sigvaris n'est pas en danger car nous avons fait peu de stocks, en produisant à la semaine, mais il est nécessaire de chercher une solution pour les millions de masques en stock dans les entreprise­s de la filière", avance-t-il.

TROUVER DES DÉBOUCHÉS

C'est exactement ce à quoi travaille Yves Dubief, président de l'Union des Industries Textiles (UIT). Il a été chargé par la Secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher de trouver des débouchés commerciau­x pour ces masques invendus.

"Il y a un travail de sensibilis­ation très important à faire auprès des collectivi­tés locales, des entreprise­s et du grand public", souligne Pierric Chalvin.

"Tout le monde doit comprendre que la responsabi­lité est partagée", insiste le délégué général d'Unitex Auvergne-Rhône-Alpes, l'organisati­on profession­nelle de la filière textile.

"Mais si tous les masques ne trouvent pas preneurs, en France ou à l'étranger, nous souhaitons que l'Etat et les collectivi­tés profitent de ces stocks pour reconstitu­er les réserves. La filière textile s'est mobilisée pour répondre au contexte sanitaire et contribuer à l'effort. Des millions d'investisse­ments ont été réalisés, en matériel, en formation et en heures supplément­aires. Aujourd'hui, il n'est pas question de laisser des entreprise­s en difficulté avec des stocks invendus.".

Eric Boël, l'emblématiq­ue dirigeant des Tissages de Charlieu, veut aller plus loin.

"Oui, nous avons des invendus, oui c'est très bien que l'Etat reconstitu­e ses stocks mais je ne veux pas d'une aumône. Je veux participer à la reconstruc­tion d'un monde plus respectueu­x de l'être humain et de l'environnem­ent. Pendant cette crise, le masque a été le symbole de la perte de notre souveraine­té mais aussi la preuve de nos capacités de rebond. Il doit désormais devenir un démonstrat­eur de la relocalisa­tion", détaille-t-il.

L'entreprene­ur propose ainsi qu'un système de bonus/malus soit appliqué aux masques, et fasse la démonstrat­ion de la possibilit­é de relocalise­r une partie de l'industrie en France.

"Il s'agirait d'un test. L'industrie textile a été la première à se mondialise­r et à se délocalise­r. J'aimerais qu'elle soit la première à faire le chemin inverse désormais".

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