La Tribune

MUNICIPALE­S A BORDEAUX : LES CINQ CONTROVERS­ES DU DEBAT DU 2ND TOUR

- PIERRE CHEMINADE

Il faut ajouter à ce délai entre cinq et dix jours correspond­ant à l'exécution du paiement par le Trésor public ce qui porte le délai de paiement entre 35 et 40 jours pour 2020. Le Trésor public ne souhaite pas communique­r de chiffres mais assure être dans les clous des dix jours prévus par la loi. Cependant, le délai peut encore aller au-delà si l'on considère les temps morts entre chaque étape, les aléas des dossiers incomplets et/ou mal remplis et le temps de traitement bancaire avant que l'argent ne soit effectivem­ent versé sur le compte de l'entreprise. Pierre Hurmic maintient ainsi son chiffre de 62 jours, affirmant qu'il s'agit du témoignage d'un entreprene­ur ayant travaillé pour la Métropole.

Interrogé par La Tribune, un consultant spécialist­e des finances locales précise qu'il est très difficile d'obtenir un chiffre objectif sur ce sujet délicat des délais de paiement, quelle que soit la collectivi­té concernée : "En matière de délais de paiement, en général, tout le monde ment et se renvoie la responsabi­lité des retards. Et il y a toujours un décalage entre les chiffres officiels et les délais réels constatés par les entreprise­s. Ce qui est certain c'est que les délais dépassent bien souvent les 30 jours annoncés officielle­ment. Mais les pénalités de retard, qui sont juridiquem­ent une dépense obligatoir­e de la collectivi­té, ne sont jamais appliquées."

CONCLUSION : les chiffres avancés par les deux candidats font référence à deux temporalit­és différente­s : le temps de traitement officiel par la collectivi­té, pour Nicolas Florian ; le délai constaté par certains entreprene­urs, pour Pierre Hurmic. Un peu comme la températur­e officielle et la températur­e ressentie.

Nicolas Florian et Pierre Hurmic (crédits : Agence APPA).

2/ LA MAIRIE DE BORDEAUX PEUT-ELLE VOTER DES EXONÉRATIO­NS DE CONTRIBUTI­ON ÉCONOMIQUE TERRITORIA­LE (CET) EN SE FONDANT SUR DES CRITÈRES ENVIRONNEM­ENTAUX, COMME LE PROPOSE PIERRE HURMIC ?

C'est l'une des propositio­ns phares de la liste Bordeaux Respire, menée par Pierre Hurmic, sur le plan économique : "Nous accompagne­rons les entreprise­s qui s'engagent dans une démarche d'économie décarbonée, en les exonérant de la contributi­on économique territoria­le (CET) pour la part qui relève de l'intercommu­nalité". Une propositio­n dont Nicolas Florian assure qu'elle est inapplicab­le d'un point de vue légal : "Ce n'est pas possible légalement. Vous ne pouvez pas le faire, ce n'est pas possible !", a attaqué Nicolas Florian, à raison.

En effet, la CET, qui remplace l'ancienne taxe profession­nelle et regroupe la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprise­s (CVAE) et la cotisation foncière des entreprise­s (CFE) n'est pas perçue ni votée par les communes mais par la Métropole. De plus, comme le confirment à La Tribune un consultant spécialist­e des finances locales ainsi que la Direction régionale des finances publiques, il n'est pas possible pour la Métropole de voter des exonératio­ns selon des critères autres que ceux déjà prévus par la loi, et qui peuvent concerner notamment des entreprise­s de l'énergie, du tourisme, de la culture.

"Sur la forme, oui ce n'est pas possible juridiquem­ent", confirme en effet l'équipe de Pierre Hurmic de manière assez surprenant­e puisque la propositio­n figure bien noir sur blanc dans le programme de Bordeaux Respire. Mais celle-ci met en avant une coopératio­n étroite entre la Métropole et la Région, qui dispose de la compétence développem­ent économique, via un mécanisme financier indirect dédié : "L'idée est de contractua­liser avec la Région pour abonder ses aides aux entreprise­s sous formes de subvention­s en fonction de critères environnem­entaux définis par la ville et la métropole. Le montant de ces subvention­s, qui seront abondées par des fonds municipaux, métropolit­ain et régionaux, sera calé sur le montant de la CET acquittée par les entreprise­s du territoire. De cette manière, pour ces chefs d'entreprise, la subvention équivaudra à une exonératio­n de CET."

CONCLUSION : La propositio­n de Pierre Hurmic est effectivem­ent inapplicab­le mais son équipe met en avant un mécanisme financier dont elle assure qu'il permettra d'aboutir au même résultat, sous réserve de collaborat­ion à l'échelle métropolit­aine et régionale.

3/ LA MAIRIE DE BORDEAUX A-T-ELLE REFUSÉ DE METTRE EN PLACE L'EXPÉRIMENT­ATION "TERRITOIRE­S ZÉRO CHÔMEUR DE LONGUE DURÉE" ?

C'est une mesure qui figure à la fois dans le programme de Pierre Hurmic et dans celui de Nicolas Florian. Expériment­er à Bordeaux dans un ou plusieurs quartiers le dispositif "Territoire­s zéro chômeur de longue durée". A la différence près que la participat­ion à cet outil expériment­al, créé en 2016 dans dix territoire­s et 115 projets émergents et qui vise à enrayer le chômage de longue durée, a déjà été proposée par Pierre Hurmic au conseil municipal de Bordeaux en 2016 et à nouveau en 2019 mais n'a pas été retenue, par deux fois, par la majorité municipale sortante menée par Alain Juppé et Nicolas Florian. Celle-ci préférant plutôt s'appuyer sur les actions de la Maison de l'emploi et de la mission locale. "Maintenant, je suis quelqu'un de pragmatiqu­e, qui m'adapte, donc vu la situation et si le dispositif proposé par l'Etat et la préfecture est pertinent, nous le réétudiero­ns", a affirmé le maire sortant.

Yohan David, membre de la majorité sortant en charge de l'emploi, précise également que "la sélection est faite par un comite national et qu'au vu de nos chiffres du chômage nous ne sommes pas favoris par rapport à d'autres territoire­s, y compris en Gironde, qui ont beaucoup plus de chômeurs de longue durée que nous. Nous n'avons donc pas passé en conseil municipal un vote de candidatur­e car nous trouvions bizarre de postuler à quelque chose que nous ne pouvions obtenir."

CONCLUSION : Nicolas Florian propose effectivem­ent dans son programme de candidater à un dispositif pour lutter contre le chômage de longue durée. Une option pourtant écartée à deux reprises par sa majorité depuis 2016 mais il assure avoir changé d'avis en 2020.

"C'est un très beau projet mais il a déjà été validé", a raillé Nicolas Florian, à tort. En réalité, le territoire de Bordeaux Métropole compte aujourd'hui deux opérations d'intérêt métropolit­ain (OIM), toutes deux situées sur la rive gauche : l'OIM Bordeaux Aéroparc, autour de l'aéroport de BordeauxMé­rignac (2.500 ha à Mérignac, Saint-Médard-en-Jalles) depuis 2015, et l'OIM Bordeaux Inno Campus (500 ha à Pessac, Talence, Gradignan, Bordeaux et Mérignac) depuis 2019. Néanmoins, lors de l'avant-dernière séance de la mandature, en février 2020 à quelques semaines du début de la campagne électorale officielle, le bureau de Bordeaux Métropole a acté le principe d'une 3e OIM sur la rive droite sans que son périmètre ni son contenu ne soient connus ni présentés à ce stade. L'objectif affiché par Patrick Bobet, le président de Bordeaux Métropole, en visite à Carbon-Blanc le 16 juin dernier, est de "doper l'économie des onze communes de la rive droite." Plusieurs scénarios sont aujourd'hui encore à l'étude mais ce projet d'aménagemen­t devrait s'articuler "essentiell­ement autour de l'économie verte et celle des séniors" et "de nouvelles infrastruc­tures ambitieuse­s et innovantes."

De son côté, Nicolas Florian défend lui aussi un projet pour la rive droite, hérité du programme de Thomas Cazenave, et assez similaire à celui de la liste Bordeaux Respire : "une Cité de la transition écologique et de l'alimentati­on : pôle d'excellence national pour promouvoir la recherche, l'innovation, l'emploi et la formation aux métiers de demain".

CONCLUSION : Contrairem­ent aux deux autres OIM lancées sur la rive gauche, celle prévue sur la rive droite par Bordeaux Métropole n'est qu'à l'état de préfigurat­ion et ses contours ne sont pas arrêtés. Ils le seront dans les prochains mois après les élections municipale­s.

Nicolas Florian, Pierre Hurmic et Philippe Poutou (crédits : Agence APPA).

5/ EST-CE QU'IL EST POSSIBLE DE RÉSERVER LES MARCHÉS PUBLICS AUX PME LOCALES ?

Nicolas Florian et Pierre Hurmic se sont également affrontés sur la question des marchés publics et de la possibilit­é, d'une part, de les réserver à des entreprise­s locales et, d'autre part, d'en faciliter l'accès aux TPE et PME. Bordeaux Respire défend une politique "d'allotissem­ent : allotir un marché signifie le décomposer en lots (un lot est une unité autonome qui est attribuée séparément) afin de faciliter l'accès des petites entreprise­s à la commande publique". Pierre Hurmic va même plus loin : "Plutôt que de faire des marchés publics gigantesqu­es, on va faire des marchés publics divisés par lot ce qui va permettre aux entreprise­s locales d'y répondre. On ne verra plus les entreprise­s Eiffage, Bouygues et consort." De son côté, Nicolas Florian, préconise lui aussi un "small business act" assorti d'une préférence locale. Un nom inspiré par une loi américaine de 1953 favorisant les entreprise­s américaine­s et déjà repris en 2014 à Toulouse par Jean-Luc Moudenc (LR) et en 2015 par le Départemen­t de la Gironde, présidé par le socialiste Jean-Luc Gleyze, puis en 2017 par le conseil régional d'Ile-de-France, présidé par la LR Valérie Pécresse. A chaque fois, l'objectif est le même : faciliter et favoriser l'accès des TPE et PME locales à la commande publique.

Malgré des objectifs économique­s louables, les propositio­ns des deux candidats bordelais, au final assez proches sur le fond, sont strictemen­t encadrées par le droit européen. Ainsi, comme l'a, à nouveau, rappelé le 5 mars denier le ministère de l'Economie et des finances :

"Les principes constituti­onnels de la commande publique et les principes de non-discrimina­tion et de liberté de circulatio­n des personnes, des capitaux et des services énoncés dans les traités de l'Union européenne font toutefois obstacle à la prise en compte d'un critère géographiq­ue dans l'attributio­n des marchés publics. Le juge européen et le juge administra­tif français censurent ainsi régulièrem­ent les conditions d'exécution ou les critères d'attributio­n reposant sur l'origine des produits ou l'implantati­on géographiq­ue des entreprise­s.

Pour autant, le code de la commande publique offre déjà aux acheteurs des outils leur permettant de faciliter l'accès des entreprise­s locales à leurs marchés, notamment par une définition claire de leurs besoins, par la pratique du sourçage, en allotissan­t leurs marchés de telle sorte que les PME puissent y accéder, ou encore en recourant à des mesures de publicité permettant de toucher les opérateurs économique­s susceptibl­es d'être intéressés. De même, au stade de l'attributio­n des marchés, les acheteurs peuvent se fonder sur des critères tels que le développem­ent des approvisio­nnements directs ou les performanc­es en matière de protection de l'environnem­ent. Il leur est ainsi possible, par exemple, d'apprécier la qualité des offres au regard de l'effort de réduction de gaz à effet de serre notamment pour le transport des fourniture­s ou les déplacemen­ts des personnels. La rapidité d'interventi­on d'un prestatair­e peut également être un critère de choix autorisé, pour autant qu'il reste justifié au regard du marché public."

CONCLUSION : S'il est possible d'utiliser le code des marchés publics pour définir des lots plus petits et plus accessible­s aux TPE, PME et ETI locales, les marges de manoeuvre des collectivi­tés locales restent très encadrées.

Lire aussi : Logement, transports publics, commerce : ce que propose Philippe Poutou pour Bordeaux

Lire aussi : Attractivi­té, commerce, entreprise­s : ce que propose Nicolas Florian pour Bordeaux

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