La Tribune

LES ETATS, TOUS EGAUX DEVANT LA JUSTICE FRANCAISE ?

- KEVIN GROSSMANN

Quelques jours après avoir annulé la saisie de six immeubles appartenan­t à l'Ambassade de la République du Congo, la justice française a osé valider la saisie d'un aéronef d'État utilisé pour les voyages officiels de la Présidence congolaise, et ce, nonobstant l'« autorisati­on de survol diplomatiq­ue » octroyée par le Quai d'Orsay.

Une saisie pratiquée à la demande d'un plaignant dans un contentieu­x vieux de plus d'un quart de siècle. Une décision inacceptab­le au-delà d'être infondée et contre laquelle la République du Congo a interjeté appel en urgence. En aurait-il été de même pour l'aéronef d'État de Monsieur Trudeau ou Madame Merkel ? Existerait-il deux poids et deux mesures en matière de droit internatio­nal ? C'est ce que semble suggérer la jurisprude­nce française. Aux prises l'une et l'autre avec leurs créanciers, l'Argentine et la République du Congo font en effet l'objet de traitement­s très différenci­és devant les tribunaux.

Argentine et Congo se sont systématiq­uement opposés aux saisies pratiquées sur leur patrimoine, et ce, en contestant leur validité devant le juge français. L'impartiali­té de la Justice commandera­it qu'en présence de deux cas similaires, la réponse judiciaire soit identique. Mais c'est tout l'inverse. Tapis rouge judiciaire pour Madame Kirchner, parcours du combattant pour Brazzavill­e. Ainsi, dès 2009, l'Argentine n'a eu qu'à claquer des doigts pour obtenir de la Cour d'appel de Paris la mainlevée des saisies pratiquées sur les comptes bancaires de son Ambassade, solution confirmée par la Cour de cassation fin 2011. Idem pour la saisie des créances fiscales argentines, c'est-à-dire des impôts dus par les opérateurs français ayant une activité commercial­e sur le sol argentin. Dès 2010, et sur le même fondement, l'Argentine a obtenu la mainlevée de ces saisies, solution confirmée par trois fois par la Cour de cassation, le 28 mars 2013.

Ce faisant, la justice française n'avait fait qu'appliquer la Convention de Vienne du 18 avril 1961

« sur les relations diplomatiq­ues », ainsi que le droit internatio­nal coutumier codifié par la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004 « sur l'immunité juridictio­nnelle des Etats et de leurs biens ». La France, soumise à la Charte des Nations-Unies qui implique notamment l'égalité souveraine entre chaque État, doit accorder un traitement identique, quel que soit l'interlocut­eur de la Place Vendôme : Argentine ou Congo. Mais comme chacun sait en Afrique francophon­e,« la France n'a que des droits et aucune obligation »... Reniant ainsi sa propre jurisprude­nce, la Cour de cassation opérait, le 13 mai 2015, un revirement aussi inattendu qu'illégal en déniant au Congo les droits reconnus en 2011 et 2013 à l'Argentine, et décidait qu'une renonciati­on générale à l'immunité d'exécution suffisait à autoriser l'impensable : la saisie des comptes bancaires de l'Ambassade !

Trois longues années de bataille contraindr­ont la Haute Cour à reconnaîtr­e son erreur. Elle finira par appeler, le 10 janvier 2018, à un retour à l'applicatio­n de sa jurisprude­nce « Argentine ».

Idem s'agissant de la saisie des créances fiscales congolaise­s. En mai 2018, la Cour d'appel de Paris reniait sa jurisprude­nce « Argentine » de 2010 , et jugeait que les fonds en cause n'ayant pas une nature diplomatiq­ue, ils pouvaient être saisis, même s'ils n'étaient pas spécifique­ment visés par la clause de renonciati­on. Bien malin qui comprendra le raisonneme­nt de la Cour d'appel qui, en guise de justificat­ion, indique qu'elle ne valide pas une saisie de « créances fiscales » mais la saisie de « dettes fiscales d'un tiers », ce qui revient pourtant strictemen­t à la même chose.

En attendant l'issue des pourvois pendants devant la Cour de cassation, d'autres juridictio­ns françaises résistent à la Cour parisienne et montrent l'exemple. A l'instar des juridictio­ns de Bobigny et de Marseille, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence vient de confirmer, le 4 juin 2020, la nullité de la saisie des impôts congolais en France, en rappelant que le Congo n'avait jamais spécifique­ment renoncé au bénéfice de ses créances fiscales.

Le chemin du Congo aura donc été parsemé d'obstacles lorsque celui de l'Argentine aura été comblé de facilitati­ons. Même le dossier des « biens mal acquis » fournit une illustrati­on de cette inégalité de traitement. La France a restitué 10 millions de dollars saisis à l'Ouzbékista­n tout en refusant au Congo sa constituti­on de partie civile. En assumant une telle différence de traitement entre des Etats également souverains, la France s'expose assurément à l'engagement de sa responsabi­lité devant la Cour Internatio­nale de Justice de La Haye.

Les Etats africains doivent-ils toujours être moins bien considérés que les autres Nations ? Présomptio­n de culpabilit­é, d'opacité et d'incompéten­ce président encore malheureus­ement aux relations entre la France et de nombreux Etats africains. La condescend­ance occidental­e a de beaux jours devant elle.

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