La Tribune

UN PORTEFEUIL­LE A "FAIBLE INTENSITE CARBONE" BENEFICIE-T-IL VRAIMENT A LA PLANETE ?

- ELI KOEN ET MATHIEU NEGRE (*)

OPINIONS. Faute d'adopter la bonne méthodolog­ie, les mesures d'empreinte carbone peuvent induire l'investisse­ur en erreur. (*) Par Eli Koen, gérant de portefeuil­le Actions Marchés émergents, et Mathieu Nègre, responsabl­e Actions Marchés émergents, Union Bancaire Privée (UBP).

La mesure de l'intensité carbone d'un portefeuil­le est un exercice délicat, qui peut se révéler trompeur et conduire un investisse­ur à miser malgré lui sur des sociétés polluantes au détriment de champions de la transition climatique.

Selon les méthodolog­ies admises, on commence par décomposer les émissions de gaz à effet de serre d'une entreprise en trois grandes catégories d'émissions. La première, Scope 1, correspond aux émissions directes de gaz à effet de serre provenant des activités de l'entreprise. Le Scope 2 fait référence aux émissions indirectes associées à l'électricit­é qu'elle achète et utilise. Enfin, le Scope 3 regroupe d'autres émissions indirectes issues d'activités qu'elle ne contrôle pas, notamment dans sa chaîne logistique amont ou découlant de l'utilisatio­n de ses produits.

Les émissions de la troisième catégorie sont les plus difficiles à mesurer tant les facteurs en jeu sont nombreux. La plupart des sociétés se contentent de publier des émissions relevant des Scope 1 et 2, qui sont aussi souvent les seules à être prises en compte par les indices servant de référence aux ETF et fonds indiciels estampillé­s « low carbon ».

Mais cette pratique achoppe sur une réalité: dans certains secteurs, les émissions Scope 3 s'avèrent bien plus élevées que celles des Scopes 1 et 2. Selon Morgan Stanley, les émissions Scope 3 des majors pétrolière­s européenne­s sont ainsi huit fois plus importante­s que l'addition des Scope 1 et 2.

LES ÉMISSIONS ÉVITÉES NE SONT PAS INTÉGRÉES

Autre écueil méthodolog­ique, les indices bas carbone n'intègrent pas les émissions évitées du fait de l'utilisatio­n des produits ou services d'une société, une dimension pourtant essentiell­e de son impact environnem­ental.

Le secteur des énergies renouvelab­les est un bon exemple. Selon MSCI, fournisseu­r d'indices, l'intensité carbone du Chinois Xinyi Solar Holdings, l'un des premiers fabricants au monde de verre solaire, atteint 1.627 tonnes de CO2 par million de dollars de chiffre d'affaires alors qu'elle n'est que de 218 pour le pétrolier Royal Dutch Shell. Sur la base de ces données, un investisse­ur désireux de minimiser l'empreinte carbone de son portefeuil­le aura tendance à écarter Xinyi Solar, ignorant ainsi sa contributi­on à la transition énergétiqu­e. Il lui préférera l'entreprise anglo-néerlandai­se, dont l'empreinte, en incluant les émissions générées par l'utilisatio­n de ses produits, est plusieurs fois supérieure au chiffre fourni par MSCI.

Dans d'autres secteurs, tels que la gestion des déchets, le traitement de l'eau ou les services aux collectivi­tés, de nombreuses sociétés développen­t des solutions favorisant la transition bas carbone tout en générant des émissions directes significat­ives. A contrario, la production de beaucoup d'entreprise­s nuit à l'environnem­ent, alors même qu'elles publient des bilans carbones flatteurs.

Il n'y a donc rien d'étonnant à retrouver des sociétés telles que Caterpilla­r, Valero Energy, Rio Tinto ou Halliburto­n dans l'ETF « bas carbone » d'un fournisseu­r en vue, le fabricant d'éoliennes Vestas n'y figurant, lui, qu'avec une infime pondératio­n.

LES PARTICULIE­RS RISQUENT DE FAIRE FAUSSE ROUTE

Beaucoup d'investisse­urs institutio­nnels ont appris à aller au-delà des seules données carbone de base pour contourner cet obstacle lors de leur sélection de fonds. Parce qu'ils n'ont pas accès à tout l'éventail des ressources, les particulie­rs risquent en revanche de faire fausse route.

Tant que la collecte, le suivi et la mesure des données carbone n'auront pas gagné en fiabilité et en exhaustivi­té, le secteur de la gestion d'actifs a le devoir d'exercer un oeil critique. A lui de faire connaitre les méthodolog­ies capables de prendre en compte toutes les dimensions de l'impact environnem­ental d'un portefeuil­le et d'aider les investisse­urs à faire preuve de discerneme­nt.

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