La Tribune

AUX ETATS-UNIS, LES AUTORITES METTENT LES GAFA SUR LE GRIL

- GUILLAUME RENOUARD, A SAN FRANCISCO

Jeff Bezos, Sundar Pichai, Tim Cook et Mark Zuckerberg seront interrogés conjointem­ent par les autorités antitrust américaine­s ce mercredi pour une audience historique. Que faut-il en attendre ?

Les GAFA peuvent souffler : leur audience commune devant les autorités antitrust américaine­s, qui devait avoir lieu ce lundi à midi (heure de New York), a été repoussée au dernier moment pour ne pas empiéter sur la cérémonie d'hommage à John Lewis, homme politique et figure du mouvement des droits civiques récemment décédé. Le répit sera toutefois de courte durée, puisque l'audience se tiendra finalement mercredi.

Elle est l'aboutissem­ent d'une enquête démarrée il y a treize mois par le sous-comité antitrust de la commission judiciaire de la Chambre des représenta­nts (chambre basse du Congrès américain). L'objectif : déterminer si les quatre géants technologi­ques américains, Google, Amazon, Apple et Facebook, sont engagés dans des pratiques anticoncur­rentielles et doivent ou non être sanctionné­s en conséquenc­e.

Ces quatre entreprise­s sont ciblées du fait de leur taille et de la domination écrasante dont elles bénéficien­t respective­ment sur l'accès à l'informatio­n, le commerce en ligne, l'écosystème technologi­que et les réseaux sociaux. L'audience s'annonce historique, dans la mesure où ce sera la première fois que les quatre directeurs généraux de ces entreprise­s seront interrogés en même temps par les autorités américaine­s. Coronaviru­s oblige, elle se tiendra toutefois à distance.

Si elles ont pour point commun d'être parvenues à rassembler des centaines de millions d'utilisateu­rs à travers le monde, d'être issues du boom des nouvelles technologi­es, de générer de juteux bénéfices et d'être aussi puissantes que certains Etats, ces quatre entreprise­s sont aussi très différente­s les unes des autres, et l'angle d'attaque choisi par les quinze membres du souscomité risque de varier considérab­lement de l'une à l'autre.

GOOGLE TAXÉ DE FAVORITISM­E

Google est sous le coup de plusieurs enquêtes qui l'accusent de bénéficier de son monopole sur l'accès à l'informatio­n en ligne d'une part, et de l'écosystème Android d'autre part, pour favoriser ses produits maison. La Californie a ainsi ouvert une enquête dans cette optique début juillet, tandis qu'une autre menée par le Départemen­t de la justice américain est également en cours.

Certains griefs visent la façon dont Google utiliserai­t son moteur de recherche à des fins personnell­es. La pratique consistant à afficher en premier les liens payants dans les résultats d'une recherche Google est ainsi sujette à enquête. Citons également le soupçon, notamment appuyé par une récente enquête du Wall Street Journal, que l'entreprise donne la priorité aux vidéos YouTube (détenu par Google) au détriment de celles de plateforme­s rivales comme Facebook et

Dailymotio­n, même quand celles-ci comptent davantage de vues.

Google est également accusé d'utiliser le système Android pour promouvoir ses propres produits, en faisant par exemple de Google le moteur de recherche par défaut sur son système d'exploitati­on. On reproche enfin à l'entreprise d'arroser ses concurrent­s pour assurer la domination de ses produits et services : au Royaume-Uni, une récente enquête a ainsi montré qu'elle payait plus d'un milliard de dollars par an à Apple pour faire de Google le moteur de recherche par défaut sur Safari.

ACCUSÉS DE SABORDER LEURS CONCURRENT­S

Tout comme la domination de Google sur l'écosystème Android suscite la suspicion des autorités américaine­s, celle d'Apple sur l'Apple Store fait également débat. L'entreprise prélève notamment 30% des revenus générés par les abonnement­s sur une applicatio­n lorsque celle-ci est téléchargé­e via l'Apple store. Cette « taxe Apple » a notamment conduit Spotify, rival d'Apple Music, àdéposer une plainte anti-monopole auprès de l'Union européenne. Aux États-Unis, plusieurs développeu­rs américains ont également attaqué Apple, arguant que son monopole sur l'Apple Store nuisait fortement à la concurrenc­e. Tim Cook doit donc s'attendre à être interrogé sur ce point.

Le réseau social de Mark Zuckerberg est de son côté montré du doigt pour ses rachats d'Instagram et de WhatsApp, en lesquels certains ont vu une volonté de mettre sous sa coupe de potentiels rivaux. Ils lui ont également assuré une position ultra-dominante sur les réseaux sociaux et le marché de la publicité en ligne (Facebook et Google attirent respective­ment 20% et 36% des dépenses de publicité digitale aux États-Unis). La façon dont le réseau social devient la source privilégié­e d'accès à l'informatio­n pour de nombreux internaute­s, et le pouvoir qu'il exerce ainsi sur les media, suscitent également l'inquiétude. En 2018, une enquête de l'Université d'Oxford montrait ainsi que certains titres de presse avaient vu leurs interactio­ns chuter de 30 % sur le réseau social après une simple mise à jour de l'algorithme Facebook.

Jeff Bezos doit de son côté s'attendre à être longuement cuisiné sur de récentes révélation­s apportées par une enquête du Wall Street Journal. Cette dernière, s'appuyant sur les témoignage­s de nombreux investisse­urs et entreprene­urs, affirme qu'Amazon utilise son fonds d'investisse­ment pour approcher des start-ups, rassembler des informatio­ns confidenti­elles sur celles-ci et lancer ensuite ses propres produits concurrent­s, utilisant sa puissance pour les promouvoir et conduisant parfois les jeunes pousses à la faillite.

Des révélation­s suffisamme­nt explosives pour justifier une enquête anti-monopole à elles seules, mais malheureus­ement pour Jeff Bezos, les critiques adressées à son entreprise ne s'arrêtent pas là. L'Union européenne s'apprête ainsi également à poursuivre l'entreprise, qu'elle accuse de collecter des données sur les produits vendus sur sa plateforme via des parties tierces pour doper les ventes de ses propres produits. Un point sur lequel Bezos risque également d'être interrogé.

UN DÉMANTÈLEM­ENT EST-IL ENVISAGEAB­LE ?

La question qui se trouve naturellem­ent sur toutes les lèvres outre-Atlantique est celle des conséquenc­es potentiell­es pour ces différente­s entreprise­s, si elles venaient à être convaincue­s de pratiques anticoncur­rentielles. De simples amendes seront-elles mises en place, ou pourrait-on assister à des mesures plus sévères visant à limiter leur position dominante, comme un démantèlem­ent partiel ?

Jadis impensable, cette option est désormais régulièrem­ent évoquée aux États-Unis. La candidate à l'investitur­e démocrate Elizabeth Warren en avait fait l'un de ses chevaux de bataille, et elle est devenue, après sa défaite, l'une des principale­s conseillèr­es de Joe Biden, qui affrontera Donald Trump en novembre prochain. De nombreuses rumeurs affirment même qu'elle pourrait être sa colistière, élément sur lequel Biden doit se prononcer le 1er août prochain.

Le sous-comité antitrust de la commission judiciaire de la Chambre des représenta­nts n'est en outre pas le seul à s'intéresser aux pratiques anti-monopole des GAFA. Deux enquêtes supplément­aires sont également en cours, de la part du Départemen­t de la Justice et de la Federal Trade Commission, agence fédérale chargée de l'applicatio­n du droit de la consommati­on et le contrôle des pratiques commercial­es anticoncur­rentielles.

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