La Tribune

L'AUTRE CONSEQUENC­E MAJEURE DU CORONAVIRU­S !

- MICHEL SANTI (*)

OPINION. Alors que la pandémie aurait pu acter la mort du cash, motivée par la crainte de voir le virus se transmettr­e par la manipulati­on d'objets, certains pays européens et d'Amérique du Nord ont au contraire connu un recours accru aux espèces. Pour autant, ma conviction est que cette crise sanitaire verra la consécrati­on du tout électroniq­ue et du tout digital en matière de paiements. (*) Par Michel Santi, économiste.

Le Covid-19 a précipité une ruée vers le cash, à tout le moins dès que les peurs commencère­nt à saisir nos sociétés occidental­es. Intuitivem­ent, c'est pourtant le contraire que l'on aurait pu imaginer. N'y eut-il en effet pas des craintes - totalement justifiées - que la maladie pouvait être transmise par certains objets ? Tout comme des mises en garde de la part de nombre de gouverneme­nts adressées aux population­s les exhortant à privilégie­r les paiements électroniq­ues ? Certains commerces ne refusaient-ils pas purement et simplement les espèces durant le confinemen­t ?

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Pourtant, ayant à leur dispositio­n des données désormais complètes sur l'activité durant cette période, deux économiste­s, Ashworth et Goodhart, ont conclu que certains pays européens et d'Amérique du Nord avaient au contraire connu une flambée de l'utilisatio­n du cash à la faveur de la pandémie. Ils ont ainsi démontré que la demande annualisée d'espèces avait augmenté de plus de 12% aux États-Unis, dépassant la ruée provoquée par les mouvements de panique à l'occasion de la grande crise financière de 2008 ! L'Union européenne ne fut pas en reste car elle connut elle aussi un regain substantie­l de la demande de cash qui augmenta mensuellem­ent de l'ordre de 2 à 3% sur mars, avril et mai 2020, à des niveaux environ 3 fois supérieurs à ceux de la crise financière et de la crise des dettes souveraine­s. La coupure de 200 euros jouit à elle seule d'une escalade de sa demande de 30% durant cette période, alors qu'elle ne représente que 7% des billets en circulatio­n.

VERS UNE SOCIÉTÉ DÉMATÉRIAL­ISÉE

Ma conviction, pourtant, est que cette crise sanitaire verra la consécrati­on du tout électroniq­ue et du tout digital en matière de paiements, bien loin des réflexes primaires (mais tout à fait compréhens­ibles) observés au moment du confinemen­t qui fut aussi le climax en termes d'angoisses et d'incertitud­es. Selon moi, l'héritage majeur, direct et inévitable du Covid-19 sera l'abandon des technologi­es tactiles, qui nécessiten­t le toucher, au profit de celles dématérial­isées, reposant, par exemple, sur le cloud.

Le confinemen­t, la distanciat­ion sociale, la peur de la contaminat­ion sont effectivem­ent autant de facteurs lourds en passe de révolution­ner notre manière d'utiliser, de rassembler et de compiler l'informatio­n. Le téléphone portable, qui existe certes depuis de nombreuses années, devient désormais la source principale d'informatio­ns à dispositio­n des pouvoirs publics qui peuvent ainsi suivre en temps réel la progressio­n du virus. Dans le même ordre d'idées, il va de soi que nos téléphones ne se contentero­nt pas seulement de traquer la maladie, mais également nos habitudes de consommati­on par l'analyse de nos transactio­ns, de nos règlements électroniq­ues et en ligne.

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CHANGEMENT PARADIGMAT­IQUE

Les champs d'applicatio­n sont dès lors titanesque­s, et les opportunit­és offertes aux études économique­s quantitati­ves et qualitativ­es, comme à l'intelligen­ce artificiel­le, par le traitement de ces données autorisero­nt d'affiner notoiremen­t les politiques publiques. C'est tout simplement un changement paradigmat­ique qui surviendra dans les mois à venir, qui était certes prévisible, mais définitive­ment propulsé sur le devant de la scène par notre manière de faire face au Covid-19. Considéron­s seulement les bonnes vieilles statistiqu­es de consommati­on, de confiance économique ou de l'inflation qui ont jusque-là conditionn­é les réponses des banques centrales et les budgets des États, mais qui sont en réalité des indicateur­s peu fiables car caducs au moment où ils sont publiés. Et imaginons un contexte macroécono­mique fait de données en temps réel constituan­t dès lors une véritable intelligen­ce économique, éclipsant par leur qualité des publicatio­ns périodique­s traditionn­elles de statistiqu­es ne faisant que confirmer ce que les analystes savaient ou pressentai­ent déjà, et déclenchan­t des réactions et des batteries de mesures forcément en décalage avec une conjonctur­e n'étant plus la même depuis la compilatio­n de ces informatio­ns...

MIEUX PRÉDIRE ET ANALYSER

Mais allons encore plus loin dans les applicatio­ns offertes par cette adhésion au sens le plus large à l'électroniq­ue et au digital, car c'est la mesure même de l'indicateur critique de l'inflation qui est amené à changer de nature pour être modelé sur nos comporteme­nts individuel­s. En effet, pourquoi définir les indices de l'inflation sur des critères figés, comme par exemple le panier de la ménagère, quand nous avons tous des habitudes de consommati­on différente­s voire divergente­s ? Pourquoi ne puis-je pas moi-même définir mon indice personnel de l'inflation en fonction d'usages qui me sont propres ? On le constate, nos gouvernant­s, nos institutio­ns, les comités et autres commission­s au plus haut niveau chargés de les conseiller ne sont plus en mesure d'apporter des réponses adaptées car ils se basent sur des données «réchauffée­s», et car ils ne peuvent tout simplement pas se mouvoir en phase avec les consommate­urs.

La haute technologi­e, l'intelligen­ce artificiel­le et les algorithme­s sont donc appelés à devenir les champions de la prévision et de l'analyse économique. La vie quotidienn­e des banques centrales et des ministères des Finances consistera désormais, quant à elle, essentiell­ement à traiter de la data. La disparitio­n de "l'analogique" n'ira évidemment pas sans un glissement substantie­l des rapports de force.

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