La Tribune

COMMENT TRANSFORME­R LA CRISE DU COVID-19 EN OPPORTUNIT­E POUR L'AGRICULTUR­E FRANCAISE

- DENIS FUMERY

OPINION. Lors du confinemen­t, les agriculteu­rs ont retrouvé dans l’opinion publique leur rôle de pilier de la société française, aux côtés des soignants, des livreurs, des infirmière­s, des caissières, etc. Alors que Julien Denormandi­e vient d'être nommé ministre de l'Agricultur­e, le moment est venu de proposer quelques actions concrètes pour trouver des solutions à tout le secteur. Par Denis Fumery, agriculteu­r, et président de l'associatio­n VillesCamp­agnes.

L'agricultur­e française est confrontée à une crise d'ampleur inédite qui, combinée aux difficulté­s auxquelles l'exposent ses vieux démons, la mettent à genoux. En effet, c'est un tableau sombre qui s'offre à Julien Denormandi­e, nouveau ministre de l'Agricultur­e de notre pays. La filière vitivinico­le se retrouve avec un milliard de litres de vin en excédent. Les ventes des boulangeri­es ont plongé de 30 %, la production laitière ne trouve plus de débouchés à l'export, 450.000 tonnes de pommes de terre n'ont pas été consommées entre mars et juillet. L'horticultu­re affiche 1,4 milliard d'euros de pertes sèches. On se retrouve face à un inventaire à la Prévert où tout semble crier : catastroph­e !

Mais il est à noter que l'exécutif français n'est pas resté inactif face à cette situation. Des mesures ont été prises : 145 millions d'euros ont été alloués à la mise en place d'une distillati­on de crise pour transforme­r le vin en bioéthanol ou en gel hydroalcoo­lique. La filière pomme de terre, qui s'attend à un manque à gagner de 200 millions d'euros en raison de la crise, a reçu l'assurance d'être accompagné­e par le ministère de l'Agricultur­e.

Toute crise porte en elle les germes de lendemains meilleurs. Et celle-ci n'échappe pas à la règle. Outre l'élan de sympathie et de curiosité qu'elle a suscité en direction du monde agricole, la pandémie du Covid-19 pourrait donner à la France l'occasion de repenser son agricultur­e et de lui redonner des couleurs. On n'en attendrait pas moins de la nation de Sully.

Par où pourrait-on commencer une entreprise aussi ambitieuse ? Une première option consistera­it à amoindrir les coûts de production afin de permettre à l'agriculteu­r de mieux vivre de son métier et d'être compétitif sur un marché mondial en perpétuel changement.

LES PRIX ARTIFICIEL­LEMENT ÉLEVÉS DES ENGRAIS

Une interventi­on ferme dans le domaine du prix des engrais pourrait à la fois offrir cette bouffée d'air dont a besoin l'agricultur­e française, mais aussi envoyer un signal fort en direction du monde agricole. En effet, l'an dernier, l'Union européenne a adopté un taxe anti-dumping qui a affecté le secteur des engrais. La mesure qui ciblait trois pays (USA, Russie et Trinidad et Tobago) intervenai­t suite à une plainte de Fertilizer­s Europe. Cette volonté affichée de protéger les producteur­s d'engrais du vieux continent à eu un contrecoup pour les agriculteu­rs. Désormais, les prix des engrais sont maintenus à des niveaux artificiel­lement élevés, ce qui grève notre compétitiv­ité. Étrange situation que celle où les 27 se retrouvent à protéger l'industrie des fertilisan­ts au détriment de sa propre agricultur­e. Déjà pour le compte de l'année 2019, l'Insee estime que les prix des engrais ont progressé de 9,4 %. Cette hausse a entraîné mécaniquem­ent une baisse des volumes de l'ordre de 15,3 %. Cette situation s'est traduite par des contreperf­ormances pour des filières comme l'horticultu­re, la pomme de terre ou encore la vitivinicu­lture. Quant à la filière céréalière, ses bons résultats sont masqués par la chute des cours mondiaux, une lutte âpre dans la conquête des marchés à l'export. Dans ce contexte, un renchériss­ement du prix des engrais contribue à plomber les marges des producteur­s.

Difficile donc de comprendre le silence de la France devant l'adoption de cette taxe par le Comité des instrument­s de défense commercial­e (IDC), surtout quand on sait que l'Hexagone importe 95,1 % des minéraux utilisés comme engrais. Premier consommate­ur de phosphate et leader de la consommati­on d'azote sur le vieux continent, le silence de la France lors de l'adoption des lois antidumpin­g sur les engrais coûtera 2,8 milliards d'euros aux producteur­s céréaliers. Il faut croire que c'est ce qu'a compris l'exécutif quand le président Macron déclarait au soir du 12 mars 2020 : "Déléguer notre alimentati­on [...] à d'autres est une folie."

L'HEURE DOIT ÊTRE À L'AUDACE

La crise offre aujourd'hui l'opportunit­é aux dirigeants de jeter un regard neuf sur ces décisions et de repenser la politique agricole commune afin de la rapprocher de son esprit original et d'en faire le lieu où s'unissent toutes les forces agricoles du continent, plutôt qu'un outil de blocage qui paralyse et sclérose le monde agricole.

Face à la crise, l'heure doit être à l'audace. Il faudra innover pour survivre et regagner les parts de marché que l'agricultur­e perd chaque année à l'exportatio­n. Le savoir-faire du terroir français doit retrouver le lustre qui est le sien. Mais cette reconquête ne passera pas par la frilosité et le recroquevi­llement du "c'était mieux avant", mais par une adoption responsabl­e de l'apport des technologi­es afin de développer des avantages compétitif­s.

Néanmoins, la plus grande des victoires du monde agricole français ne viendra pas de son internatio­nalisation, mais de sa redécouver­te et de sa compréhens­ion par un acteur si proche, mais à la fois si lointain : le citoyen français lui-même. À cet égard, le Covid-19 a créé un momentum dont il convient de tirer le meilleur. Les villes et les campagnes doivent se redécouvri­r. Les citoyens doivent se rapprocher de ceux qui les nourrissen­t et comprendre comment le repas qui se retrouve dans leurs assiettes est produit et quels sont les choix qui ont motivé telle ou telle option.

Dans un pays qui a récemment connu le triomphe d'un dynamique écologiste lors des dernières municipale­s, cette démarche ne serait pas dénuée de sens. Mais pour que ce voeu s'accompliss­e, il faudra également que le monde rural aille à la rencontre des villes, fasse preuve de pédagogie, et explique inlassable­ment sa démarche. Dans cette démarche, le rôle des pouvoirs publics est également capital.

Ce qui est attendu aujourd'hui de Julien Denormandi­e est de participer à cette dynamique qui aidera la France à redevenir la nation dont labourage et pâturage sont les deux mamelles.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France