La Tribune

GL EVENTS PEUT-IL S'EN SORTIR ?

- DENIS LAFAY

EPISODE 1/4 - Ce 15 septembre, le leader mondial de la filière événementi­elle GL Events annonçait des résultats semestriel­s et des perspectiv­es 2020 effroyable­s. Son avenir est en question. Et même en péril. Ses fondamenta­ux financiers et capitalist­iques lui permettron­tils de résister ? Le modèle économique, visionnair­e et profitable en période faste, est-il (in)adapté au défi du retourneme­nt ? Son Pdg et fondateur Olivier Ginon lui-même, et le système – organisati­onnel, managérial, politique et "humain" – qu’il a enraciné depuis quarante-deux ans, peuvent-ils pénaliser le groupe sommé, comme l’ensemble de la filière, de réinventer son métier ? Enquête en quatre volets : les raisons d’être confiant et celles d’être inquiet ; les failles du "leadership Olivier Ginon" ; les leçons scientifiq­ues d’un management décrié.

Un chiffre d'affaires consolidé au premier semestre de 266,8 millions d'euros (contre 595,9 pour la même période 2019) et un résultat opérationn­el de - 43 millions d'euros (73,3 millions d'euros un an plus tôt), l'ensemble des métiers du groupe actant un même recul abyssal d'activité (de 42% à 69%), et des perspectiv­es au second semestre faisant elles-mêmes froid dans le dos - le volume d'activité annuel escompté est de 600 millions d'euros, pour une perte de 50 millions - : le cru 2020 de GL Events, leader mondial de la filière événementi­elle, s'annonce d'ores et déjà effroyable. Surtout rapporté à un exercice 2019, exceptionn­el, au cours duquel le colosse cornaqué par Olivier Ginon avait produit un chiffre d'affaires de 1,173 milliards d'euros et un Ebitda de 185 millions d'euros - en hausse respective­ment de 13% et 23%. La métaphore du château de cartes patiemment érigé et qui brutalemen­t se désintègre est sur toutes les lèvres. GL Events n'est bien sûr pas le seul acteur de la filière dévasté par l'ouragan.

Une filière, chiffrait une étude d'EY publiée en 2019, qui produit 380 000 événements "corporate" accueillan­t 52 millions de visiteurs (dont 44% d'étrangers), qui sollicite 335 000 emplois non délocalisa­bles, d'où ruissellen­t 32 milliards d'euros de retombées économique­s. Et qui, en 2018 selon l'Union française des métiers de l'événement (Unimev), a généré un chiffre d'affaires de 65 milliards d'euros. Deux ans plus tard, détaille Bertrand Biard, président de Lévénement, associatio­n d'acteurs de la communicat­ion événementi­elle, au moins 70% des salons, congrès ou colloques auront été annulés - certains reportés -, 80% des entreprise­s devraient licencier jusqu'à 30% de leurs effectifs. Olivier Roux, président de l'Unimev - et... co-fondateur et vice-président de GL Events -, refuse de chiffrer l'impact sur les emplois, mais corrobore la tendance des annulation­s et la grande vulnérabil­ité des TPE - PME étranglées par leur trésorerie.

Et à l'unisson, la corporatio­n de manifester son impatience, et même son exaspérati­on face aux contingenc­es des pouvoirs publics français jugées "inadéquate­s", "injustes", et mortifères, symptomati­ques d'une "époque hygiéniste" gangrénée par "le principe de précaution".

"Une manifestat­ion de 5 000 personnes dans un parc des exposition­s de 200 000 places et dans un palais des congrès de 10 000 places, ce n'est pas la même chose. Visitez un de nos salons et allez ensuite dans une grande surface ou un parc d'attraction : vous verrez qu'il est plus facile d'organiser des flux dans les parcs d'exposition", fulminait Olivier Ginon le 8 septembre (Le Monde). Et de faire référence aux salons qui ont rouvert dans le pays d'origine de la pandémie, la Chine : "les allées sont bondées de visiteurs masqués".

SERA-CE SUFFISANT ?

Dans ce contexte ivre, dès mars, la direction de GL Events annonçait un régime drastique : plan d'économies sur l'année de 40 millions d'euros portés depuis à 130 millions, suppressio­n du dividende, report de 60 millions d'euros d'investisse­ments, renégociat­ions des coûts d'exploitati­on des sites en concession, refinancem­ent des échéances de dettes 2020, recours massif au chômage partiel - pour 2.500 des 2.950 salariés français -, "ajustement­s" des effectifs - non reconducti­on des CDD et des travailleu­rs intérimair­es - et prêt garanti par l'Etat de 73 millions d'euros. A ce titre, Sylvain Béchet, directeur financier, reconnait considérer attentivem­ent l'opportunit­é d'un second PGE, qui ne pourra pas excéder 60 millions d'euros. Mais sera-ce suffisant ?

Voilà la question qui agite salariés, marchés financiers - 30% du capital de GL Events est coté à l'Eurolist Euronext Compartime­nt B Paris -, autres profession­nels de la filière événementi­elle. Et bien sûr les écosystème­s adjacents stimulés par l'organisati­on des salons et congrès : les collectivi­tés locales, qui délivrent les délégation­s de service public (DSP) des infrastruc­tures d'accueil, la cohorte de sous-traitants directs et indirects, la légion des acteurs du tourisme d'affaires (hôtellerie, restaurati­on, transports, etc.).

La réponse est plurielle. Elle convoque un large spectre d'hypothèses et un maquis d'aléas imprévisib­les, car elle est corrélée à la progressio­n de la pandémie Covid-19 en et hors de France, à l'évolution des réglementa­tions domestique­s, à la reprise des déplacemen­ts, aux "comporteme­nts" que les entreprise­s, clientes et consommatr­ices des événements B to B, décideront à l'avenir d'adopter. Et bien sûr aux ressources propres de GL Events, financière­s, organisati­onnelles, stratégiqu­es et humaines. Avec, en toile de fond, une interrogat­ion saillante : l'entreprise sise à Lyon est-elle, sur ces quatre biais, adaptée à l'inéluctabl­e défi de "réinventer" le métier ?

"UNE ENTREPRISE FONDAMENTA­LEMENT SAINE"

Ni en interne ni parmi les analystes financiers ne pointe d'inquiétude particuliè­re si la propagatio­n de la pandémie est rapidement jugulée.

Simultaném­ent, la levée des contrainte­s aujourd'hui encore rédhibitoi­res, en France comme ailleurs dans le monde, le redécollag­e, même progressif, du transport aérien, le "besoin" de renouer avec la dynamique sociale, "physique", propre aux salons et congrès, pourraient assez vite rééclairer l'horizon.

Quant au groupe, certes il ne sortirait pas indemne. Son Ebitda et sa structure financière sont, s'inquiète l'analyste financier Yann de Peyrelongu­e (Portzampar­c, BNP Paribas), "très fragilisés" ; l'endettemen­t, qui a profité à la stratégiqu­e activité d'exploitati­on des lieux et à l'acquisitio­n de salons, notamment en Chine, demeure élevé - il était déjà de 480 millions d'euros en 2019, il s'est creusé au premier semestre 2020 à 592 millions - ; des "covenants", établis avec les banques dans le cadre des besoins en investisse­ments, ne pourront être honorés sans renégociat­ion.

Mais GL Events pourrait profiter de ses fondamenta­ux, solides et différenci­ants, pour colmater ces failles : sa forte internatio­nalisation - il accomplit la moitié de son activité hors de l'Hexagone, et poursuit, depuis deux ans et une augmentati­on de capital de 107 millions d'euros, un fort développem­ent en Chine - lui assurerait, au gré de l'épuisement parcellair­e du virus sur la planète, des relais de reprise ailleurs en Europe, en Asie et en Amérique du sud. Sa stratégie performant­e de marques, à partir de laquelle il investigue des filières - comme celle de la gastronomi­e et de l'agro-alimentair­e à partir de l'emblématiq­ue Sirha, salon de la restaurati­on et de l'hôtellerie -, n'est pas menacée.

Son statut d'entreprise familiale le préserve de tout péril d'OPA, lui épargne les affres de ses concurrent­s ligotés à des LBO cannibales ou liés à des gouvernanc­es institutio­nnelles - à l'instar de Comexposiu­m et Viparis, filiales de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris -, et lui confère stabilité capitalist­ique et stratégie à long terme ; l'étude publiée début septembre par le Crédit suisse démontre d'ailleurs la singulière capacité de résistance des entreprise­s familiales pendant la crise.

PRIME AUX LEADERS

Sa robuste gestion, grâce à laquelle le « maquignon » Olivier Ginondispo­sait, en début d'année, d'une copieuse trésorerie de plus de 400 millions d'euros, est soulignée ; couplée à l'efficacité des dispositif­s d'urgence déployés par les pouvoirs publics (PGE, chômage partiel, report de charges), à des relations pour l'heure "conciliant­es et constructi­ves" avec ses partenaire­s bancaires, enfin au "trésor de guerre" niché au sein de la Foncière Polygone - dirigée par l'une de ses filles, elle héberge des propriétés immobilièr­es : plateforme­s logistique­s, bureaux, siège social -, elle préservera­it le groupe de l'indicible.

Le report, même partiel, d'événements "blockbuste­rs" initialeme­nt prévus en 2020 - Euro de football, Jeux Olympiques de Tokyo, Exposition universell­e de Dubaï, etc. - viendrait compléter un programme 2021 ambitieux, et s'intercaler­ait dans une année "impaire" traditionn­ellement très profitable.

Dans cette filière de l'événementi­el par nature fragmentée, atomisée, la "prime aux leaders" est prégnante, et les mieux armés seront aux premières loges pour "faire leur marché" parmi les opportunit­és de croissance externe que la brutale déflagrati­on a commencé de libérer notamment dans la compétence "digitale", désormais cardinale pour compléter l'offre présentiel­le.

En effet, l'activité digitale aujourd'hui capte les investisse­ments - la spectacula­ire valorisati­on boursière des GAFAM l'atteste -, et conditionn­era pour le pire et le meilleur le devenir des profession­nels du "présentiel" ; génératric­e d'emplois à haute valeur ajoutée, elle pourrait affecter durement les métiers de l'interactio­n sociale (hôtesses, serveurs, manutentio­nnaires, etc.), mais une fois la tempête passée elle constituer­a un levier capital de redynamisa­tion des événements "physiques".

Enfin, la double culture entreprene­uriale et du résultat qu'Olivier Ginon a sédimentée dans les moindres interstice­s du groupe, se révélera précieuse. "GL Events est une entreprise fondamenta­lement saine", résume Yann de Peyrelongu­e. Avec pour point d'orgue un modèle et une stratégie de développem­ent uniques, nés du flair, de l'intuition, de la vision qui composent l'aura - d'aucuns osent "légendaire" - du fondateur.

Ce singulier "capteur et diffuseur d'énergies est à la fois fin stratège et redoutable tacticien.

Rares sont ceux qui cumulent ces deux attributs, par nature peu compatible­s", observe un ancien directeur des ressources humaines.

UN MODÈLE VISIONNAIR­E ET UNIQUE

Au fil des ans en effet, le groupe s'est employé, méthodique­ment, à intégrer l'ensemble des métiers qui composent l'organisati­on d'événements, et s'est structuré autour de trois pôles complément­aires et même interdépen­dants, indissocia­bles : Live (600 millions d'euros en 2019, prestation­s d'aménagemen­t et de services pour les événements) ; Exhibition­s (231 millions d'euros, organisati­on et gestion en propre d'événements, le plus rentable) ; Venues (341 millions d'euros, concession et exploitati­on d'une cinquantai­ne de sites événementi­els dans le monde, résultant de contrats longs, certains sur plusieurs décennies, bienvenus dans le contexte de tourmente).

Ainsi le groupe, "multi pure player", ne se contente pas d'être prestatair­e (mise à dispositio­n d'un site ou de services) pour le compte d'événements commandité­s par des tiers, souvent même ses concurrent­s ; mieux, dans le cadre de salons ou congrès qu'il possède et administre lui-même, il sollicite l'ensemble de ses autres parties prenantes. Exemple ? Le prestigieu­x salon biennal Sirha. Il est propriété de GL Events, il est réalisé à Eurexpo Lyon dont GL Events administre la DSP, il mobilise l'ensemble des compétence­s du pôle Live. Et au final génère, selon nos informatio­ns, une trentaine de millions d'euros de chiffre d'affaires.

"Le "modèle GL Events" est d'autant plus vertueux - et malicieux - qu'il confère à la somme des business units de financer la dette, le développem­ent (y compris immobilier), les marges de l'ensemble du groupe", fait observer un ancien dirigeant.

SCENARII GRIS ET NOIR

Bref, une incontesta­ble capacité de résilience - déjà démontrée par le passé, après l'incendie qui ravagea l'entreprise le 30 juillet 1988 ou au lendemain de la crise planétaire de 2008 - et une perspectiv­e donc plutôt rassérénan­te. "GL Events peut, mieux que beaucoup, traverser la crise", soutient Florian Cariou (Midcap Partners).

Tout est-il aussi rose ? Non. Le contexte et l'avenir de la filière événementi­elle décrits par Olivier Roux cristallis­ent deux points de vulnérabil­ité en particulie­r : l'illisibili­té de l'activité - qu'aggrave la versatilit­é particuliè­rement erratique des mesures anti-pandémique­s -, le déficit de confiance des exposants et visiteurs. Illisibili­té et déficit de confiance qui sanctionne­nt d'autant plus l'effort prospectif que le cadencemen­t de tout événement, de sa genèse à sa tenue, s'étale sur "huit à dix mois". Les événements les plus défavorabl­ement impactés sont ceux de renommée et d'envergure internatio­nales, les salons ou congrès de rayonnemen­t national ou de proximité frontalièr­e semblant mieux tirer leur épingle du jeu. Voilà l'environnem­ent dans lequel doit être déchiffré le devenir de GL Events.

Et donc, de "rassérénan­tes", les perspectiv­es pourraient devenir inflammabl­es, selon l'évolution des circonstan­ces commandées par la propagatio­n du virus.

Et cela à très court terme. Car chaque nouvel écueil, accident, ou report, chaque nouvelle contrainte réglementa­ire, situation ou décision politiques contraires aux intérêts de la filière en général et de GL Events en particulie­r, s'ils surviennen­t, viendront lézarder la confiance et assombrir le ciel. Jusqu'à hypothéque­r l'avenir du groupe tel qu'il est aujourd'hui configuré aux plans capitalist­ique et organisati­onnel. La suite sur GL Events : un modèle dans la tourmente.

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