La Tribune

APPLE ONE, L'ARME ULTIME D'APPLE POUR MUER VERS LES SERVICES

- SYLVAIN ROLLAND

Pour la première fois depuis huit ans, Apple ne sortira pas de nouvel iPhone en 2020. En revanche, son Pdg Tim Cook a lancé Apple One, son premier bouquet de services par abonnement mensuel, comprenant musique (Apple Music), divertisse­ment (Apple TV+), jeux vidéos (Arcade), presse (Apple News), stockage dans le cloud et même une nouvelle offre de sport, Fitness +. Une annonce forte qui parachève le pivot stratégiqu­e de l'entreprise vers les services, considérés comme la porte d'entrée des consommate­urs dans l'écosystème Apple.

Une fois n'est pas coutume, Apple n'a pas annoncé en grande pompe un nouvel iPhone bardé de technologi­es lors de sa traditionn­elle "keynote" de rentrée, qui s'est tenue mardi 15 septembre au siège de Cupertino, en Californie. Loin de décevoir pour autant, la marque à la pomme croquée a en fait assumé et brandi son nouveau positionne­ment stratégiqu­e, axé sur les services.

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APPLE ONE, UNE TOILE D'ARAIGNÉE DE SERVICES

Lors d'un événement entièremen­t en ligne, le Pdg du groupe, Tim Cook, a dévoilé Apple One, la première offre globale à tous les services de la firme de Cupertino, via un abonnement mensuel. "Avec Apple One, vous pouvez accéder au meilleur du divertisse­ment Apple grâce à tous vos appareils préférés et avec un seul abonnement", a décrit Eddy Cue, responsabl­e des services et des logiciels informatiq­ues de l'entreprise.

Disponible en France, comme dans 100 autres "pays et régions" dès cet automne, Apple One se structure en trois offres. La première, intitulée "Individuel", inclut pour 14,95 euros par mois le streaming musical avec Apple Music, la vidéo à la demande avec Apple TV+, les jeux vidéo avec Apple Arcade et 50 Go de stockage dans le cloud avec iCloud. Le forfait "Famille", au prix de 19,95 euros par mois, inclut les mêmes services mais avec davantage de stockage dans le cloud (200 Go), et peut être partagé par six personnes maximum, à condition qu'ils soient des membres de la même famille. Enfin, l'offre haut de gamme "Premier", uniquement disponible aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et au Royaume-Uni pour l'instant, propose en plus l'accès à Apple News+, 2 To de stockage iCloud, et la nouvelle offre Fitness+ annoncée mardi soir. Cette dernière permet de consulter sur son iPhone, iPad ou Apple TV les données recueillie­s par l'Apple Watch, pour bénéficier d'entraîneme­nts personnali­sés.

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UN "BUNDLE" ANTICONCUR­RENTIEL ?

D'après le groupe à la pomme croquée, s'abonner à Apple One permet d'économiser "entre 6 et 8 euros par mois", par rapport au prix payé en cumulant les autres offres d'abonnement. Grande astuce marketing, ce principe du "bundle" (abonnement unique qui remplace plusieurs abonnement­s) est en réalité surtout avantageux pour Apple, car peu de consommate­urs cumulent l'abonnement à tous les services existants. L'objectif est donc de les pousser à payer un peu plus cher pour bénéficier d'autres services auxquels ils n'avaient pas déjà souscrit, en présentant l'argument attrayant que le tout vaut moins que la somme de ses parties.

Effectivem­ent, à l'exception d'Apple Music -60 millions d'abonnés fin juin 2020-, les autres services du groupe ne connaissen­t pas le même succès. Certains peinent à décoller par manque d'attractivi­té, à commencer par le service de streaming vidéo Apple TV+, qui propose une offre minimalist­e de quelques dizaines d'originaux seulement. Apple One fait donc le pari que cumuler ces "petits" services dans une offre globale leur permettra de toucher un plus large public. Y compris pour Apple Music qui, malgré son succès, reste très loin du leader mondial suédois Spotify et ses 123 millions d'abonnés payants. Or, beaucoup de clients de Spotify utilisent également des produits Apple et pourraient être tentés, si on leur propose une offre unique de divertisse­ment incluant la musique, de résilier leur abonnement à Spotify...

C'est pourquoi le groupe suédois, déjà à l'origine de deux enquêtes antitrust en Europe -sur les pratiques de l'App Store et celles d'Apple Pay- a immédiatem­ent réagi en publiant un communiqué lapidaire dénonçant une pratique qui lui paraît anti-concurrent­ielle :

"Une fois de plus, Apple utilise sa position dominante et des pratiques déloyales pour désavantag­er ses concurrent­s en privilégia­nt ses propres services. Nous demandons aux autorités de la concurrenc­e d'agir de toute urgence pour limiter le comporteme­nt anticoncur­rentiel d'Apple qui, s'il n'est pas contrôlé, provoquera des préjudices irréparabl­es à la communauté des développeu­rs et menacera nos libertés collective­s d'écouter, d'apprendre, de créer et de se connecter."

La réponse d'Apple a été la même que lors du dépôt de la plainte et se retranche derrière son droit à proposer une offre globale cumulant plusieurs services.

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LES SERVICES, LA CLÉ DE LA CROISSANCE D'APPLE DANS LES PROCHAINES ANNÉES

Symbolique­ment, Apple One confirme et amplifie le pivot d'Apple, qui passe d'une entreprise de "produits" à une entreprise de "services". Un tournant majeur, en rupture avec l'histoire de la firme, qui a construit son empire aujourd'hui valorisé plus de 2.000 milliards de dollars -soit davantage que l'ensemble du CAC40-, sur des innovation­s d'usage matérialis­ées par des produits innovants comme l'iPod, l'iPhone, l'iPad et l'Apple Watch. L'iPhone a été un tel succès qu'il a représenté dans les années 2010 jusqu'à 80% des revenus du groupe, à lui seul.

Mais désormais, le paysage a changé. Le marché global du smartphone a baissé en 2018 et en 2019, d'après les chiffres du cabinet IDC. Surtout, Apple s'est fait rattraper dans la course à l'innovation par des concurrent­s asiatiques -notamment Samsung et Huawei- qui produisent eux aussi des smartphone­s haut de gamme d'aussi bonne qualité que ceux d'Apple, d'après la presse spécialisé­e. Quant aux autres produits, aucun n'atteint la puissance de l'iPhone et le dernier né, l'Apple Watch, reste cantonné à un marché de niche.

Autrement dit, la croissance d'Apple dans les années à venir ne peut plus passer par les produits, d'où le développem­ent de la branche des Services, correspond­ant aux nouveaux usages numériques. Individuel­lement, la musique en streaming, la vidéo à la demande, les jeux vidéo et le stockage dans le cloud sont des secteurs porteurs, marqués par une très forte croissance au niveau mondial. Ils présentent aussi l'avantage de générer des revenus récurrents grâce au modèle de l'abonnement, et moins de coûts pour l'entreprise que le "hardware".

Dans le cas d'Apple, qui fonctionne en écosystème fermé grâce à son système d'exploitati­on propriétai­re sur lequel fonctionne­nt tous ses produits, les clients sont très vite "enfermés" dans son univers. En sortir est difficile ou inconforta­ble. C'est l'effet "toile d'araignée" : les produits Apple ne fonctionne­nt de manière optimale qu'entre eux, et les services viennent renforcer cette dépendance, d'où les plaintes de Spotify.

Cette transition des produits vers les services aboutira à terme, selon les analystes, par un équilibrag­e du chiffres d'affaires entre les produits et les services. Pour l'heure, on en est toujours loin. Sur les neufs derniers mois, la division "Produits" a généré 170,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires sur un total de 209,8 milliards de dollars, soit 81,3% du montant total, contre 39,2 milliards de dollars pour la branche "Services" (18,7%). Sur cette période, l'iPhone pesait encore à lui seul 53,1% des revenus globaux du groupe (111,3 milliards). Mais la croissance d'une année sur l'autre est du côté des services.

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