La Tribune

EN HONGRIE, SOUS VIKTOR ORBAN, LES JOURNALIST­ES DEMISSIONN­ENT ET FONT DU CROWDFUNDI­NG

- PETER MURPHY, AFP

HONGRIE ET LIBERTÉ D'EXPRESSION. Après avoir démissionn­é avec fracas pour protester contre les entraves à la liberté de la presse sous Viktor Orban, plus de 50 journalist­es de l'ancienne équipe du portail Index.hu vont lancer "dans les prochains semaines" un nouveau site, Telex.hu, après une collecte auprès de plus de 30.000 dons de lecteurs, pour un montant gardé secret. Jusque-là, ces journalist­es sortaient des scoops sur la corruption dans le principal site d'informatio­n hongrois qui était lu par un millions de lecteurs.

Il y a deux mois, ils démissionn­aient avec fracas pour dénoncer la mainmise du pouvoir de Viktor Orban. Grâce au succès d'une cagnotte en ligne, les journalist­es du principal site d'informatio­n de Hongrie se préparent à un retour risqué.

Plus de 50 membres de l'ancienne équipe du portail Index.hu vont lancer "dans les prochains semaines" un nouveau site, Telex.hu, suite à la collecte de plus de 30.000 dons de lecteurs, pour un montant gardé secret.

"Beaucoup de Hongrois ont compris que leurs libertés et la démocratie sont désormais en danger", analyse Veronika Munk, 40 ans, à la tête du nouveau projet.

DES SCOOPS SUR LA CORRUPTION

Cheveux blonds sur veste noire et regard déterminé, elle a passé 18 ans chez Index.hu, avant d'en claquer la porte, comme 80 de ses collègues, en juillet. Son média sortait des scoops sur la corruption et était lu quotidienn­ement par 1 million de personnes.

Rare voix critique, il avait vu partir cet été la quasi totalité de sa rédaction après le brutal licencieme­nt du rédacteur en chef, qui avait protesté contre un projet de refonte à la suite d'un changement d'actionnair­e.

Depuis, l'ancien responsabl­e du site officiel de Viktor Orban a été embauché et le lectorat d'Index.hu a fondu.

"PAYSAGE DÉSÉQUILIB­RÉ"

Dix ans après le retour au pouvoir de M. Orban, qui dit vouloir mettre en place dans son pays, membre de l'Union européenne (UE), une "démocratie illibérale", la Hongrie a chuté de la 23e à la 89e place, au classement mondial de l'ONG Reporters sans frontières.

Selon les organisati­ons internatio­nales, les contre-pouvoirs y sont très affaiblis et "le paysage médiatique déséquilib­ré". Pour l'OSCE, "l'accès restreint à l'informatio­n" a contribué à la troisième victoire consécutiv­e de M.Orban aux législativ­es en 2018.

"On a fait taire les voix critiques l'une après l'autre, en se servant d'armes économique­s comme avec Index.hu, ou de moyens légaux", comme avec le service public, estime l'analyste du groupe de réflexion Media Mertek Monitor, Gabor Polyak.

Fin 2018, Bruxelles a déclenché une procédure exceptionn­elle, toujours en cours, pour risque de "violation grave" des valeurs de l'UE, pointant notamment l'appauvriss­ement du pluralisme médiatique en Hongrie.

"LEÇON RETENUE"

Veronika Munk estime qu'il est désormais vital de revoir le modèle économique de la presse en sacralisan­t l'indépendan­ce des rédactions par la mise en place d'abonnement­s.

"Les gens réalisent que l'informatio­n a un prix" en Hongrie, insiste-t-elle.

"On a retenu la leçon", ajoute la journalist­e en dénonçant aussi la vulnérabil­ité liée à la dépendance aux recettes publicitai­res, dont Index.hu était privé par l'Etat. Le gouverneme­nt fait pression sur les annonceurs, affirme-t-elle.

Il est très difficile de trouver un investisse­ur prêt à soutenir le secteur sans arrière-pensée politique, selon des rédacteurs hongrois interrogés par l'AFP.

Telex.hu veut être entièremen­t autonome. Ses journalist­es, qui pour l'instant travaillen­t dans un appartemen­t non loin du Danube, détiendron­t la majorité de son capital.

L'entreprise peut s'appuyer sur des réussites commercial­es à l'étranger - le site Mediapart en France, par exemple - pour monter son plan financier.

RESSOURCES LIMITÉES

Toutefois en Hongrie, "personne n'avait encore lancé une nouvelle marque, avec une rédaction aussi importante, en s'appuyant sur le seul soutien des lecteurs", note Veronika Munk, qui entend trouver dans un second temps des mécènes lui garantissa­nt toute liberté éditoriale.

Selon Gabor Polyak, ce lancement est audacieux dans un pays qui ne compte que 9,8 millions d'habitants et dont la langue, le Hongrois, n'est maîtrisée que par un nombre limité de locuteurs.

"La concurrenc­e pour capter les ressources des lecteurs" entre des sites indépendan­ts plus modestes est déjà forte, précise-t-il en soulignant en outre le danger de laisser aux médias progouvern­ementaux le monopole de l'informatio­n en accès libre.

Tamas Bodoky a été pionnier avec le lancement en 2011 d'un pure player payant, nommé Atlatszo.hu ("Transparen­t" en hongrois). Il pense que ce modèle "ne fonctionne qu'à petite échelle", alors que Telex.hu aura besoin de plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois.

La solution serait d'inciter massivemen­t la population "à donner des sommes modestes", estime-t-il.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France