La Tribune

LA GUERRE CONTRE TIKTOK ET LA 5G CONTRARIE LES AMBITIONS DE LA TECH CHINOISE

- SEBASTIEN RICI, AFP

Smartphone­s, infrastruc­tures télécoms, jeux vidéo, e-commerce... les firmes chinoises de la Tech ont réalisé ces dernières années une percée fulgurante à l'internatio­nal. Mais elles se retrouvent également de plus en plus menacées, dans un contexte d'accusation­s d'espionnage et de tensions diplomatiq­ues dans un mouvement qualifié de "technonati­onaliste". Seront-elles contrainte­s de se recentrer sur leur seul marché domestique ?

La menace d'interdicti­on de TikTok aux Etats-Unis contraint les géants chinois de la tech à repenser leur développem­ent à l'internatio­nal, et risque de les obliger à se recentrer sur leur marché d'origine, estiment des experts.

Des smartphone­s aux infrastruc­tures pour la 5G de Huawei, en passant par les jeux vidéo du groupe Tencent -- dont le très populaire PUBG -- et pléthore d'applicatio­ns mobiles, les firmes chinoises ont réalisé ces dernières années une percée fulgurante à l'internatio­nal.

Mais elles se retrouvent également de plus en plus menacées, dans un contexte d'accusation­s d'espionnage, en particulie­r aux Etats-Unis, et de tensions diplomatiq­ues.

"La technologi­e devient de plus en plus un enjeu géopolitiq­ue" et pour un nombre croissant de pays "une priorité stratégiqu­e", déclare à l'AFP Dexter Thillien, analyste chez Fitch Solutions.

Ils "considèren­t que l'innovation et les technologi­es ont un impact direct sur la sécurité nationale, l'économie et la stabilité sociale", analyse Alex Capri, chercheur pour la Fondation Hinrich, un organisme indépendan­t qui suit les évolutions du commerce mondial.

Après un différend frontalier meurtrier en juin avec la Chine, l'Inde a interdit près de 180 applicatio­ns mobiles de son voisin, accusées d'être "préjudicia­bles à la sécurité de l'Etat".

La décision écarte de fait les firmes chinoises du second plus gros marché mondial de l'internet en termes d'utilisateu­rs.

"TECHNO-NATIONALIS­ME"

Chaque pays "prend des mesures pour se renforcer", fait remarquer M. Capri, qui qualifie ce phénomène de "techno-nationalis­me".

Aux États-Unis, le président Donald Trump accuse, sans preuve, l'applicatio­n de vidéos courtes TikTok d'espionnage potentiel au profit des services de renseignem­ents chinois.

Le locataire de la Maison Blanche menace de l'interdire aux États-Unis au nom de la "sécurité nationale", à moins que les activités de la plateforme dans le pays ne soient revendues à une société américaine.

TikTok est utilisée chaque mois par 100 millions de personnes aux États-Unis -- soit environ un tiers de la population.

Les firmes chinoises doivent ainsi trouver un difficile équilibre entre satisfaire les intérêts chinois et répondre aux exigences de pays étrangers, indique à l'AFP Larry Ong, analyste pour le cabinet SinoInside­r.

Inévitable­ment, "les entreprene­urs chinois risquent d'y réfléchir à deux fois avant d'envisager de se développer à l'internatio­nal", estime Nicolas Colin, co-fondateur de The Family, un incubateur de start-up européenne­s.

À la place, "plutôt que de risquer le même sort que TikTok, [ils] pourraient se recentrer sur le marché chinois", l'un des plus vastes et plus connectés au monde avec quelque 900 millions d'internaute­s, assure M. Colin.

Et ce spécialist­e du numérique y voit un atout: les géants chinois de la tech connaissen­t déjà très bien leur marché, grand comme celui des États-Unis et de l'Europe réunis, où l'usage d'internet est "radicaleme­nt différent".

En Chine, les principaux géants mondiaux du numérique (Google, Facebook, Twitter...) sont bloqués derrière une "Grande muraille informatiq­ue" qui censure tout contenu jugé politiquem­ent sensible.

TikTok a dans le pays une version spécifique, nommée Douyin. Son propriétai­re, ByteDance, espère doubler d'ici l'an prochain le chiffre d'affaires de cette véritable poule aux oeufs d'or, actuelleme­nt à 5,1 milliards d'euros, a rapporté mardi l'agence Bloomberg.

FREIN À L'INNOVATION

Certains domaines innovants dans lesquels la Chine est à la pointe (voitures autonomes, intelligen­ce artificiel­le, biotechnol­ogies) offrent également aux géants chinois des technologi­es de nouveaux vecteurs de croissance.

Le moteur de recherche Baidu a ainsi lancé la semaine dernière à Pékin un service de taxis sans conducteur­s, amené à révolution­ner les transports.

Mais compte tenu de la dégradatio­n des relations avec la Chine, les Etats-Unis vont probableme­nt encore "accentuer leur pression sur les entreprise­s technologi­ques chinoises", prévient Larry Ong.

Et compte tenu de leur dépendance aux technologi­es américaine­s, certaines firmes chinoises risquent de "se battre pour leur survie" si elles font l'objet de sanctions de Washington, assure M. Ong citant l'exemple de Huawei.

Depuis mardi, le groupe chinois, sur liste noire américaine, ne peut plus utiliser de puces Kirin (du fabricant taïwanais TSMC) -- qu'il ne sait pas fabriquer en interne -- pour ses smartphone­s haut de gamme.

"Pékin fera tout son possible" pour soutenir ses géants, veut croire M. Thillien, évoquant des investisse­ments massifs pour réduire la dépendance de la Chine aux technologi­es étrangères clés notamment les semi-conducteur­s.

Le président chinois Xi Jinping a annoncé en mai une gigantesqu­e enveloppe de 10.000 milliards de yuans (1.235 milliards d'euros) sur cinq ans à cet effet.

Mais la corruption et la faible protection de la propriété intellectu­elle en Chine sont "un frein à l'innovation", estime Larry Ong.

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