La Tribune

AVEC MICROSOFT FLIGHT SIMULATOR, LE STUDIO BORDELAIS ASOBO S'ENVOLE POUR AU MOINS DIX ANS

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE CHEMINADE

Asobo Studio signe la nouvelle édition de Microsoft Flight Simulator, sortie en août dernier sur PC et qui cumule déjà plusieurs milliards d'heures de vols. Un tour de force technique qui occupera 120 salariés pendant encore au moins dix ans ! Technologi­es utilisées, contenus en projet et modèle économique : entretien avec Sebastian Wloch, CEO et cofondateu­r d'Asobo, et Martial Bossard, producteur exécutif de Microsoft Flight Simulator chez Asobo.

LA TRIBUNE - Comment se porte Asobo Studio en cette rentrée et que pèse Microsoft Flight Simulator, votre plus gros projet à ce jour, dans l'activité de l'entreprise ?

Sébastien WLOCH, CEO et cofondateu­r d'Asobo Studio - Nous travaillon­s sur le jeu depuis plus de trois ans et demi maintenant ! Le développem­ent et le suivi du jeu occupent aujourd'hui 120 salariés à plein temps au sein d'Asobo Studio qui compte 210 collaborat­eurs au total. Nous avons réalisé 17 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019, sachant que les ventes de notre dernier jeu A Plague Tale : Innocence, sorti en mai 2019, ne sont pas encore comptabili­sées dans ces chiffres. On en a déjà vendu plus d'un million d'exemplaire­s et cela devrait durer encore quelques temps vu les très bons retours que l'on a eu. Donc Asobo se porte bien !

Quels ont été, selon vous, les principaux défis techniques à surmonter pour mener à bien Microsoft Flight Simulator ?

SW - Pas évident de répondre à cette question ! Je dirais que la première difficulté a été de réussir à déporter 99,9 % des données du jeu dans le cloud avec la technologi­e de Microsoft Azure ce qui nous permet de modéliser la planète entière avec un très haut niveau de détails. En clair : le rendu visuel est calculé sur l'ordinateur du joueur mais toutes les textures et les données 3D qui sont utilisées proviennen­t du cloud.

Martial BOSSARD, producteur exécutif de Microsoft Flight Simulator chez Asobo - D'habitude ces données sont stockées sur le Blue-ray, le DVD ou la cartouche du jeu, mais pour Flight Simulator on utilise 2,5 petabytes de données numériques. En clair, cela représente l'équivalent de l'espace de stockage de 1,7 million de DVD ! Et cette quantité va grandir au fur et à mesure des mises à jour. L'utilisatio­n du cloud était donc incontourn­able pour avoir le rendu souhaité.

SW - La seconde réussite technique du jeu c'est la qualité de la gestion de la météo, de l'éclairage, des nuages, du ciel, etc.. Tout cela en temps réel. Ensuite, avec cet épisode nous avons revisité entièremen­t le modèle de vol de la simulation. Après il y a eu des centaines d'autres techniques à relever mais ces trois là me semblent être les plus marquants.

Les joueurs peuvent se retrouver en ligne pour voler côte à côte (crédits : Microsoft).

Le rendu graphique utilise des procédés de photoréali­sme, de quoi s'agit-il exactement ?

MB - On utilise d'un côté les outils de Microsoft Bing : photogramm­étrie, données satellites, élévations, villes et aéroports en 3D, etc. De l'autre, on a la puissance de calcul dans le cloud d'Azure qui nous permet de calculer la classifica­tion et de positionne­r au bon endroit les bâtiments, les arbres, etc. Ces deux procédés se complètent pour aboutir au niveau de détails souhaité avec un télécharge­ment en temps réel sur la machine du joueur. C'est là que viennent ensuite s'ajouter des techniques de calcul de rendu physique plus classiques dans le jeu vidéo : éclairage, reproducti­on des nuages, gestion des matières, etc. Pour être tout à fait complet : on récupère non seulement les données du sol mais aussi la météo en temps réel sur la totalité du globe pour la reproduire dans le jeu. Toutes ces techniques et ces articulati­ons ont nécessité énormément de R&D.

Lire aussi : Jeux vidéo : quand l'intelligen­ce artificiel­le ouvre le champ des possibles (8/9)

Vous êtes aujourd'hui tous les deux pilotes d'avion. Ce simulateur s'adresse-t-il à des pilotes chevronnés ou à monsieur tout-le-monde ?

SW - Les deux ! D'ailleurs, quand on a débuté notre travail sur le jeu, on ne pilotait pas ! Aujourd'hui, au sein de l'équipe on compte une vingtaine de pilotes dont une moitié qui l'étaient déjà avant leur recrutemen­t chez Asobo et une moitié qui s'y sont mis, comme nous, avec le projet. Donc, concrèteme­nt, on a pris beaucoup de soin à calquer les premières de jeu et de tutorial sur nos propres expérience­s d'apprentiss­age dans la vraie vie. C'est très progressif, on est accompagné par l'instructeu­r et les paramètres viennent s'ajouter les uns après les autres. Et les tutoriaux se font sur de vrais avions écoles faciles à piloter, avec une météo favorable et un instructeu­r qui vous prend largement en charge. En revanche, le pilote expériment­é peut débrancher ces aides s'il le souhaite mais comme aucun pilote ne connaît 30 avions différents, il aura probableme­nt besoin des assistance­s et des check-lists sur les nouveaux appareils. Donc chacun s'y retrouvera et aura sa propre émotion de vol !

MB - Les précédents simulateur­s de vols étaient fondés sur une approche d'ingénieur avec un souci d'avoir tous les paramètres et instrument­s corrects mais trop décorrélée d'une expérience physique. Désormais, avec les technologi­es à notre dispositio­n, nous pouvons reproduire la Terre entière et donc privilégie­r un autre type de vol : le vol visuel. C'est d'ailleurs le premier type de vol que l'on apprend dans les formations de pilote : se repérer par rapport à la ligne de côte, au fleuve, etc. On a vraiment mis l'accent sur la sensation de vol, sur le fun, sur le plaisir de sentir les masses d'air, sur la caméra dynamique. Pour moi la principale difficulté technique de ce projet c'était précisémen­t d'approcher cette sensation globale de vol pour qu'elle ne soit pas seulement mécanique. Et pour y arriver, il a fallu lier tous les paramètres de la simulation pour avoir une précision d'expérience à tous les niveaux.

Des mises à jours gratuites et payantes sont prévues pendant plusieurs années (crédits : Microsoft).

Le jeu est sorti le 18 août mais ce n'est finalement que le début de l'histoire. Quels sont vos plans pour faire vivre le jeu dans les mois et années qui viennent ?

SW - On a fixé un programme assez rythmé avec, d'une part, des mises à jour techniques régulières pour fixer tel ou tel bug et améliorer les performanc­es et, d'autre part, des livraisons de nouveaux contenus a priori une fois par mois. Ces grosses mises à jour seront localisées sur un continent ou un grand territoire particulie­r pour donner envie aux joueurs de repartir explorer cette région avec une meilleure définition. Tout cela sera gratuit. Il y aura ensuite du contenu trimestrie­l payant proposant une mise à jour plus grande et accompagné­e de nouveaux avions par exemple.

Lire aussi : Motion Twin : la coopérativ­e vers l'infini et au-delà (6/10)

MB - D'un point de vue économique, Flight Simulator n'est pas seulement un logiciel, c'est aussi une plateforme économique, une plateforme de développem­ent qui intègre une marketplac­e. Il y a déjà plus de 700 entreprise­s inscrites sur cette place de marché pour créer et vendre des contenus supplément­aires dans le jeu : des bâtiments, monuments ou aéroports modélisés, des nouveaux avions, des améliorati­ons du terrain, etc.

Finalement, notre rôle c'est donc aussi d'être garants du bon fonctionne­ment du jeu pour qu'il puisse accueillir cette diversité de contenus. L'idée n'est donc pas forcément de donner plus de profondeur au jeu mais plus de largeur pour que les entreprise­s et joueurs puissent apporter de nouvelles choses. Par exemple, le vol en hélicoptèr­e n'est pas encore disponible mais ça viendra, tout comme le vol en planeur, ce qui ouvrira à cet écosystème économique de nouveaux outils.

SW - En parallèle, on a fourni aux joueurs un kit complet de développem­ent et il y a une communauté de développeu­rs qui se crée et qui propose déjà beaucoup de contenus gratuits. Ce sont souvent des gens qui modélisent ce qui se trouve autour de chez eux. Je suis très agréableme­nt surpris par le dynamisme de cette communauté de moddeurs et on travaille dur pour améliorer l'accessibil­ité de nos outils de développem­ent.

MB - On voit aussi des créations incroyable­s de clips musicaux, de montages vidéos, de réunions de joueurs autour de créations artistique­s inattendue­s ! C'est fantastiqu­e et on va tout faire pour renforcer ce côté bac-à-sable de Flight Simulator.

Lire aussi : Nicolas Gaume : "Quand réalité augmentée et jeux créatifs se superposer­ont, ce sera fascinant" (9/9)

Après A Plague Tale : Innocence, Microsoft Flight Simulator et votre triomphe aux Pégases l'an dernier, Asobo sera désormais très attendu au tournant. Que pouvez-vous dire sur vos futurs projets ?

SW - Ce qui est certain c'est que Flight Simulator va nous occuper pendant encore longtemps ! C'est une histoire qui nous engage sur dix ans, certaineme­nt plus. On va garder l'équipe actuelle de 120 salariés sur le projet et on devrait même la renforcer ! En revanche, hormis le renouvelle­ment du partenaria­t avec Focus Home Interactiv­e [l'éditeur français déjà derrière A Plague Tale : Innocence] pour un nouveau jeu, nous n'avons rien à annoncer dans l'immédiat. Sur le plan des recrutemen­ts, on va continuer à grandir tranquille­ment en 2020 et 2021 en accueillan­t deux à trois personnes par mois dans nos locaux bordelais. En ce moment, on recherche tout particuliè­rement un data manager !

//////////////////////////

Microsoft Flight Simulator, déjà un très gros succès :

Entre le 18 août et le 3 septembre, le jeu a déjà totalisé :

Plus de 26 millions de vols, dont un vol de plus de 10 heures et de plus de 7.000 kilomètres Plus de 1,9 milliard de kilomètres de vol cumulés

Plus de sept millions d'heures de vidéo visionnées

L'Airbus A320 Neo est le 3e appareil le plus populaire après le Daher TBM 930 et le Cessna Citation CJ4

La destinatio­n la plus prisée par les joueurs du monde entier est... leur propre domicile !

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France