La Tribune

LA DIFFICILE HARMONISAT­ION EUROPEENNE DE L'ETIQUETAGE ALIMENTAIR­E

- CHRISTOPHE NOURISSIER (*)

OPINION. Problémati­que fondatrice de l'unificatio­n européenne, l'agricultur­e demeure centrale dans les politiques de l'Union européenne. L'objectif productivi­ste de l'après-guerre ayant été atteint, l'UE cherche désormais à améliorer qualitativ­ement l'alimentati­on de ses citoyens, via une production plus respectueu­se de l'environnem­ent, mais aussi grâce à une meilleure informatio­n des consommate­urs. À ce titre, l'harmonisat­ion de l'étiquetage nutritionn­el demeure une pierre d'achoppemen­t, malgré une volonté partagée par les instances dirigeante­s de l'UE. Par Christophe Nourissier, analyste politique, conseiller en stratégie et président de l'associatio­n la France et le Monde (*).

Qui se souvient de la ruée sur les pâtes qui a eu lieu lors des premiers jours de l'annonce du confinemen­t, en mars dernier ? Un petit mouvement de panique chez des consommate­urs, qui craignaien­t qu'un arrêt si brutal de l'activité d'un continent tout entier affecterai­t profondéme­nt l'approvisio­nnement alimentair­e. Cette crainte fut néanmoins de courte durée, et le secteur agricole européen a, durant toute la crise, prouvé sa solidité. Une solidité soutenue par des actions au niveau européen : la Commission a anticipé certains paiements prévus au titre de la politique agricole commune (PAC), flexibilis­é les règles de concurrenc­e et de stockage, et a ouvert des « couloirs verts » permettant aux camions de marchandis­e de franchir sans difficulté des frontières qui étaient alors devenues étanches.

Néanmoins, si, sur le plan alimentair­e, l'Europe produit assez ; la crise du Covid-19 n'a fait que renforcer l'idée qu'elle doit produire mieux. En effet, selon la Commission, plus de 950. 000 citoyens de l'Union européenne seraient décédés en 2017 à cause d'un mauvais régime alimentair­e, et 33 millions d'Européens n'auraient pas les moyens de s'offrir un repas de qualité par jour. Une insécurité alimentair­e qui menace de s'accentuer avec la perspectiv­e d'une crise économique causée par le Covid-19. C'est pour répondre à cette problémati­que que la Commission a présenté, le 20 mai dernier, deux stratégies conjointes visant à « renforcer la résilience de l'Europe en enrayant l'appauvriss­ement de la biodiversi­té et en mettant en place un système alimentair­e sain et durable ».

La question du régime alimentair­e des Européens déjà au coeur du Pacte vert européen — qui vise par ailleurs à la neutralité carbone de l'agricultur­e européenne à l'horizon 2050 — reste donc l'un des enjeux majeurs du plan de relance présenté par la Commission pour aider l'UE à sortir de la crise. Avec la stratégie « De la ferme à la table », la Commission entend s'attaquer à la sécurité alimentair­e et à la réduction de l'empreinte climatique du système alimentair­e. Deux grands principes qui se concrétise­nt par le développem­ent de l'agricultur­e biologique, des réseaux locaux, la lutte contre le gaspillage et le bien-être animal ; ainsi qu'à travers la réduction de l'usage des pesticides et des emballages, l'accessibil­ité des produits et des informatio­ns de meilleure qualité pour les consommate­urs.

LA QUESTION DE L'ÉTIQUETAGE ALIMENTAIR­E EN SUSPENS

Alors que l'Allemagne a pris les rênes de la présidence tournante du Conseil de l'UE le 1er juillet 2020, sa ministre de l'Agricultur­e Julia Klöckner a affirmé que les priorités de Berlin pour les 6 prochains mois étaient les négociatio­ns sur la PAC, la numérisati­on des zones rurales, l'étiquetage relatif au bien-être animal, ainsi que l'étiquetage nutritionn­el paneuropée­n. Une importance toute particuliè­re devrait être apportée à ces deux derniers éléments, Madame Klöckner souhaitant mettre en oeuvre une étiquette normalisée en matière de bien-être animal, et ce, à travers toute l'Europe. Tout en évoquant la « création d'étiquettes nutritionn­elles exhaustive­s afin de mieux guider les consommate­urs dans leurs achats », la ministre allemande a toutefois précisé qu'elle n'était pas certaine du format de cette étiquette. À ce sujet, aucun consensus ne s'est en effet dégagé au sein des instances européenne­s, la commissair­e européenne à la sécurité alimentair­e, Stella Kyriakides ayant affirmé que « La stratégie (...) favorisera l'harmonisat­ion des étiquetage­s, mais n'imposera pas d'étiquette type ». Le problème est, comme souvent, un problème d'harmonisat­ion, divers systèmes d'étiquetage étant actuelleme­nt en vigueur au sein des États membres.

Deux systèmes d'étiquetage sortent du lot, mais ne parviennen­t pas, pour le moment, à s'imposer : Nutriscore et Nutrinform. Nutriscore est un système de notation proposé par la France, qui classe les aliments sur une échelle allant de A à E avec un code couleur allant du vert au rouge. Il attribue des points en plus en fonction de la teneur en protéines, en fruits en en fibres ; ou en moins en fonction de la présence de sucres ou de graisses saturées. Nutrinform est quant à lui défendu par l'Italie et montre l'apport énergétiqu­e des produits ainsi que leurs valeurs nutritionn­elles en fonction des apports journalier­s recommandé­s, à l'aide d'un graphique représenta­nt une petite batterie affichant le pourcentag­e d'énergie et de nutriments d'un apport quotidien recommandé dans une seule portion.

Deux modèles différents, qui cristallis­ent les rapports de force au sein de l'UE : alors le modèle français a su séduire l'Allemagne (qui l'adoptera dans les prochains mois), la Belgique et le Luxembourg (qui l'ont déjà adopté, comme la France), le système italien a désormais la préférence et le soutien de la Roumanie et de la Grèce voire même potentiell­ement de Chypre qui sembleraie­nt vouloir prendre son parti dans les prochaines semaines.

Ce désaccord sur l'étiquetage et les modes de notation qui va bien au-delà de simples considérat­ions esthétique­s. En effet, ce sont les modes de consommati­on, les cultures gastronomi­ques et des filières agroalimen­taires des différents pays européens qui sont en jeu : le code couleur de Nutriscore est plus instinctif et plus lisible par le consommate­ur, mais les critères retenus ont tendance à favoriser les régimes carnés riches en protéines, au détriment de la gastronomi­e méditerran­éenne traditionn­ellement riche en huile d'olive ou en fromages tels que le parmesan. Une situation problémati­que quand on connaît l'impact néfaste de la consommati­on de viande sur l'environnem­ent (déforestat­ion et émission de gaz à effet de serre) et les bienfaits mondialeme­nt reconnus du « régime crétois » sur la santé - mais qui s'explique par le fait que Nutriscore donne des informatio­ns « brutes » sur les aliments. Pour Nutrinfom, en revanche, aucun n'aliment n'est bon ou mauvais en soi, tout est question de proportion­s. Si les deux systèmes ont leurs vertus, les européens n'ont en revanche rien à gagner à une cacophonie où il faudra en permanence recontextu­aliser ses achats.

Il conviendra donc aux autorités européenne­s de trancher entre ces deux approches. Un choix qui peut sembler anecdotiqu­e, mais qui répondra, pour les années à venir, à une problémati­que essentiell­e de santé publique et d'informatio­n des consommate­urs.

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(*) Par Christophe Nourissier, analyste politique, conseiller en stratégie et président de l'associatio­n la France et le Monde.

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