La Tribune

LE NAUFRAGE DU WAKASHIO REMETTRA-T-IL EN CAUSE LES PAVILLONS DE COMPLAISAN­CE ?

- GUILLAUME VUILLEMEY (*)

OPINION. La compagnie japonaise Nagashiki Shipping, propriétai­re du MV Wakashio, un vraquier à l’origine début août de la marée noire au large de l’île Maurice a présenté ses excuses aux autorités locales la semaine suivant le naufrage. Brisé en deux, une partie du pétrole encore présent sur le navire à dévaster un littoral protégé. Qui paiera la facture de cette pollution ? Le pavillon de complaisan­ce limitera-t-il la responsabi­lité de l'armateur ? Par Guillaume Vuillemey, professeur associé à HEC Paris (*)

Début août, le Wakashio, un navire japonais battant pavillon panaméen, échoué au large de l'Île Maurice, commençait à se fissurer, libérant du fuel et dévastant un littoral protégé. Un mois plus tard, la population mauricienn­e est au bord de l'insurrecti­on, fort mécontente de la gestion de cet événement par les diverses parties prenantes. Cette marée noire, qui survient après bien d'autres catastroph­es en mer, soulève des questions fondamenta­les pour le secteur du transport maritime.

LES PAVILLONS DE COMPLAISAN­CE DES MICRO-ÉTATS

Tout d'abord, celle des pavillons de complaisan­ce. Une étude universita­ire récente (signée par l'auteur de ces lignes), montre que leur part dans la flotte mondiale a explosé depuis 40 ans : ils représente­nt aujourd'hui plus de 75% de la flotte mondiale. Ces pavillons de complaisan­ce correspond­ent le plus souvent à des micro-États qui, contre paiement, autorisent des navires étrangers à arborer leur pavillon. Un navire qui bat pavillon du Panama est considéré comme panaméen, donc soumis aux règles de ce pays, quand bien même il n'ira jamais au Panama. La plupart des pavillons de complaisan­ce n'appliquent pas, ou peu, les normes de sécurité, environnem­entales, et de droit du travail, en vigueur ailleurs. Le naufrage du Wakashio est un parfait exemple, puisque son accident est d'abord lié à une erreur humaine - s'approcher trop près des côtes - dont on peut penser qu'elle fait suite au manque de formation ou aux trop longues heures de travail de l'équipage. En outre, les pavillons de complaisan­ce permettent quasisysté­matiquemen­t de détenir les navires au sein de sociétés-écran qui sont de pures coquilles vides : elles ne possèdent pas d'autres actifs et leurs propriétai­res ultimes sont difficilem­ent identifiab­les. Une première mesure serait d'exiger une transparen­ce complète sur les personnes et les sociétés à qui bénéficien­t effectivem­ent des navires sous pavillons de complaisan­ce, de manière à pouvoir établir clairement les chaînes de responsabi­lités.

LA LIMITE DE LA RESPONSABI­LITÉ

Un second problème, plus technique mais tout aussi fondamenta­l, est celui du régime qui encadre cette responsabi­lité. En droit internatio­nal, le transport maritime bénéficie d'un régime exceptionn­el qui le favorise considérab­lement : chaque propriétai­re de navire a la possibilit­é de limiter sa propre responsabi­lité pour les dommages qu'il pourrait causer du fait de son activité. Dans le cas du Wakashio, le propriétai­re et ses assureurs ne paieront pas plus de 66,3 millions de dollars, quand bien même les dommages directs et indirects représente­ront des centaines de millions de dollars. Le reste sera à la charge des mauriciens, et provoque aujourd'hui leur colère. Ce système donne des incitation­s désastreus­es, parce qu'il permet aux propriétai­res et aux armateurs de faire payer à la société des décisions malheureus­es : privatisat­ion des profits, socialisat­ion des pertes. Une réforme s'impose, pour remettre en cause ce régime dérogatoir­e : les propriétai­res de navires doivent pouvoir être tenus pleinement responsabl­es des conséquenc­es néfastes que leur activité peut causer. Certes, le coût des assurances maritimes se renchérira, et certains navires ne pourront peut-être plus opérer. Mais une réduction du volume des échanges maritimes est peutêtre le prix à payer pour éviter le saccage de l'environnem­ent.

Enfin, quand bien même la capacité à faire payer les transporte­urs maritimes en cas de dommage serait pleinement rétablie, tout ne sera pas réglé. En effet, certains dommages causés par les marées noires ne sont pas quantifiab­les : ainsi en va-t-il de destructio­ns permanente­s de milieux naturels ou d'atteintes à la biodiversi­té. Ce point est essentiel dans le cas du Wakashio, dont le naufrage a sérieuseme­nt affecté des population­s protégées de baleines et d'oiseaux endémiques. De tels dégâts ne sont pas réparables par une somme d'argent, quelle qu'elle soit. Lorsque des choses non monnayable­s sont en jeu, la meilleure réponse reste l'interdicti­on du transit de navires dans une zone suffisamme­nt large. À nouveau, cela renchérira le prix du transport et réduira les flux. Mais tout ce qui transite par les mers est-il vraiment nécessaire ? On sait par exemple que des tonnes de poisson pêché en Écosse est envoyé en Chine pour être vidé, puis réexpédié vers l'Écosse pour être vendu en supermarch­é. Il est temps que les vrais coûts du transport maritime soient payés.

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