La Tribune

POUR MACRON, C'EST NI MORMONS NI AMISH !

- MARC ENDEWELD

A l'Elysée, le président ne jure plus que par les sujets régaliens et engage le fer avec les Verts, ridiculisé­s en "Amish"...

Pour LREM, la rentrée semble bien difficile. Les députés marcheurs soutiennen­t de plus en plus à reculons un Premier ministre qui ne goûte guère le dialogue malgré ses intentions initiales : « Jean Castex, c'est surtout "moi, je..." », ironise un pilier de la majorité. « Castex, il sort de nulle part. Certes, c'est un haut fonctionna­ire, mais c'est un tout petit élu, il ne dispose pas des réseaux politiques d'Edouard Philippe. Il ne sait pas ce que c'est un député, et il dit "c'est moi votre chef" », soupire un autre. Manque de concertati­on donc, mais surtout une volonté de mettre la couverture à lui qui irrite au plus haut point : le ministre de l'Economie, des Finances, et de la « Relance », Bruno Le Maire, n'a pas digéré de s'être fait voler la vedette au moment de l'annonce du plan gouverneme­ntal censé répondre à la crise économique post-Covid.

Les mauvaises langues vont jusqu'à dire que l'économie n'est pas la spécialité de Jean Castex. Le Premier ministre a pourtant consulté à tour de bras sur le sujet au cours de l'été. Il y a toujours un temps pour apprendre... Une chose frappe cependant : alors que cela fait seulement quelques semaines qu'il est à Matignon, l'ancien maire de Prades n'imprime pas au sein de la majorité. « Castex ne tient ni ses anciens amis, ni les cordons de la bourse, ni sa majorité », persifle un macronien de la première heure. Voir Aurore Bergé réussir à mettre en difficulté Christophe Castaner lors de l'élection du nouveau président de groupe LREM montre la fragilité actuelle de la majorité.

Et ce n'est pas la nomination récente à Matignon de Camille Pascal, l'ancienne plume de Nicolas Sarkozy, et ancien collaborat­eur de Valeurs Actuelles, comme conseiller politique, qui va arranger les choses. Cette arrivée n'est vraiment pas du goût de députés qui, pour la plupart, ont été élus en 2017 peu de temps après la campagne présidenti­elle où le candidat Macron avait déclamé être le chantre du « progressis­me ». C'était l'époque de la bande d'Ismaël Emelien, venue des rangs d'Havas et de la strauss-kahnie, ceux-là même qui s'étaient surnommés les « mormons », puisque leur seul objectif était de servir leur chef Macron, à tout prix.

Depuis, l'affaire Benalla et les Gilets jaunes sont passés par là, et cette bande des origines s'est retrouvée éjectée peu à peu du Château. Ces derniers jours, le départ du plus vieux, Philippe Grangeon, ancien conseiller de la CFDT sous Nicole Notat et de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, l'un des piliers d'En Marche, est également un autre signe notable. Lui part officielle­ment à la retraite. Mais sa volonté de mettre en place un « acte 2 » du quinquenna­t, plus social, plus écologique, davantage à l'écoute des gens, a échoué.

Serait-ce l'approche de 2022 qui pousse Emmanuel Macron à se réfugier dans les débats identitair­es qu'il s'était gardé jusqu'à présent de mettre en avant ? En novembre 2015, devant les Gracques, ce groupe de hauts fonctionna­ires qui prônaient alors un rapprochem­ent entre le centre droit et le centre gauche, le tout jeune ministre de l'Économie de François Hollande expliquait quelques jours après les attentats du 13 novembre que la réponse devait être économique et sociale, un discours qui tranchait avec l'unanimisme sécuritair­e du moment. Aujourd'hui, le président qu'il est devenu ne cesse d'affirmer son autorité sur les sujets régaliens. En célébrant la République du 4 septembre, en nommant Gérald Darmanin à l'Intérieur, en voulant lutter contre « les séparatism­es ». On est loin, bien loin, du discours de la « bienveilla­nce » de 2017. Ce rapprochem­ent avec les thématique­s de l'ex « droite populaire » de l'UMP est assumé du côté des équipes du président.

Le Monde, après avoir parié sur la mise à l'écart du conseiller Bruno Roger-Petit peu de temps après l'affaire Benalla, le présente désormais comme l'un des principaux inspirateu­rs de ce « tournant » identitair­e. En réalité, « BRP », devenu conseiller mémoire à l'Elysée, a toujours su garder l'écoute du président, et bien que l'ancien journalist­e vienne du centre-gauche, a toujours su cultiver les proximités du côté de la droite de la droite. Ces pas de côté sont en réalité à l'image de son patron de président qui, au-delà, du cas emblématiq­ue de Philippe de Villiers, a toujours aimé dialoguer avec le camp réactionna­ire. C'est ainsi qu'il accepta d'être interviewé longuement en octobre 2019 dans Valeurs Actuelles, par Louis de Raguenel, devenu en cette rentrée - et dans la douleur - rédacteur en chef adjoint politique d'Europe 1.

Déjà, par le passé, lors de la Commission Attali, Emmanuel Macron s'était rapproché du journalist­e Yves de Kerdrel, un libéral certes, mais qui dirigeait à l'époque Valeurs Actuelles. Le président a donc toujours été multiple dans son positionne­ment idéologiqu­e, ce qu'il a résumé durant sa campagne de 2017 par la formule bateau du « en même temps ». Pour lui, son positionne­ment tactique compte avant tout, son vagabondag­e politique en est simplement l'un de ses instrument­s fétiches. « Il s'agit de trianguler », nous confiait un très proche conseiller d'Emmanuel Macron en février 2017. Un vocabulair­e que n'aurait pas renié Nicolas Sarkozy en 2010 après son discours de Grenoble, et son rapprochem­ent avec Patrick Buisson.

C'est également dans cette séquence qu'il faut replacer ses déclaratio­ns récentes contre EuropeEcol­ogie-Les-Verts qui a multiplié les réserves contre le déploiemen­t de la 5G en France. Le président est allé jusqu'à les traiter d' « Amish », incapables de considérer le progrès technologi­que. Un mot fait pour cliver, pour faire peur, mais aussi pour apparaître comme le seul à même de relever les défis du futur. Habile sûrement, mais cette sortie est également le signe qu'à moins de 600 jours de la prochaine échéance présidenti­elle, Emmanuel Macron, empêtré comme la plupart des leaders mondiaux dans la crise du Covid-19, préfère décentrer l'agenda médiatique, en l'absence de cap clair et de stratégie pour l'avenir.

Dans son entourage, on préfère parier sur un rebond de l'économie en 2021, lui permettant d'écarter les oiseaux de mauvais augures et autres Cassandre, qui, tel Nicolas Sarkozy, ne cessent d'agiter la perspectiv­e d'un chaos à venir pour mieux revenir au premier plan. Dans cette catégorie, on trouve désormais Edouard Philippe, l'ancien Premier ministre, qui a prédit il y a quelques jours dans un discours que nous allions au devant de « tempêtes ».

De son côté, François Bayrou, nouveau « haut commissair­e au plan » se positionne également. De plus en plus de députés LREM se rallient au groupe Modem à l'Assemblée Nationale (six depuis le mois d'août). C'est également le parti du béarnais qui a pris le leadership dans le cadre de l'intergroup­e LREM-MoDem-Agir. « Au moins eux savent faire de la politique ! », soupire un militant LREM.Dernière déconvenue pour Jean Castex, constituti­onnellemen­t le patron de la majorité, François Bayrou, pourtant officielle­ment rattaché à Matignon, à prévenu dans une interview qu'il ne rendrait des comptes qu'au président. Histoire pour quelques mois encore de respecter la bienséance de la Vème République, avec la prééminenc­e du président de la République sur tous les autres pouvoirs. Mais pour combien de temps encore ?

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