La Tribune

COMMENT BORDEAUX DEVIENT LE LABORATOIR­E DE LA NOUVELLE GAUCHE ANTICAPITA­LISTE

- JEAN-PHILIPPE DEJEAN

Chef de file de la liste Bordeaux en Luttes, Philippe Poutou, ex-candidat trotskyste du NPA à la présidenti­elle, a fait son entrée au conseil municipal de Bordeaux avec deux autres élus France Insoumise et Gilets jaunes. L’alliance réussie à Bordeaux du NPA avec la France Insoumise attise pourtant des tensions déjà fortes à la tête du parti trotskyste et pourrait précipiter son implosion. Philippe Poutou en est très conscient et ne s’inquiète pas vraiment d'une éventuelle disparitio­n du NPA, que quelque chose de nouveau a commencé à remplacer à Bordeaux à l'occasion de ces municipale­s 2020.

Figure de proue du combat syndical de la CGT contre la fermeture de l'usine Ford Aquitaine Industries (FAI), à Blanquefor­t (Gironde/Bordeaux Métropole), finalement advenue en septembre 2019, Philippe Poutou est aussi le candidat NPA qui, lors de l'élection présidenti­elle de 2017, s'est distingué par son sens de la répartie lors d'un débat télévisé qui n'est pas passé inaperçu.

Ce candidat, par deux fois malheureux à la présidenti­elle, aura néanmoins réussi à se faire élire au conseil municipal de Bordeaux en 2020, lors de sa deuxième participat­ion à ce scrutin municipal. Après avoir recueilli 2,5 % des voix en 2014 avec une liste NPA, Philippe Poutou a réussi à renverser la vapeur cette année en devenant chef de file de l'improbable collectif Bordeaux en luttes, où se sont coalisés NPA, France Insoumise et Gilets jaunes. Une liste qui a terminé le second tour avec 9,39 % des voix et trois élus, dont Evelyne Descubes-Cervantes (France Insoumise) et Antoine Boudinet (Gilet jaune).

DISPENSAIR­ES DE SANTÉ ET SÉCURITÉ ALIMENTAIR­E

Ce début de mandature municipale, Philippe Poutou entend l'attaquer en mettant la pression sur le tout nouveau maire EELV de Bordeaux, Pierre Hurmic. Dans la ligne de mire des élus de Bordeaux en luttes, les mesures jugées répressive­s annoncées par la préfète de la Gironde, Fabienne Buccio, pour faire face à la remontée de la pandémie de Covid-19 dans le départemen­t. Des mesures annoncées par la préfète en compagnie de Pierre Hurmic et Alain Anziani, président (PS) de Bordeaux Métropole.

"Les seuls éléments annoncés par la préfète à cette occasion portent sur la répression, avec l'arrivée à Bordeaux d'une compagnie de CRS, mais rien sur l'hôpital, ni la médecine générale. C'est lamentable ! Nous demandons l'ouverture de dispensair­es de santé dans les quartiers, le développem­ent d'une sécurité alimentair­e et un accès au logement pour tous. La mairie pourrait bloquer des programmes immobilier­s, geler des constructi­ons, mais elle ne fait rien", condamne l'élu qui compte bien se faire entendre sur le sujet alors que reprend la vie municipale et que la majorité a confirmé vouloir revisiter les permis de construire en cours d'instructio­n.

Le conseiller municipal de Bordeaux en luttes attend que le nouveau maire se mette aux travaux pratiques d'une politique de gauche et tient à attirer l'attention de la majorité sur les besoins de personnels dans les écoles de la ville, en particulie­r avec davantage d'Atsem (agent territoria­l spécialisé des écoles maternelle­s) et d'animateurs. Le fait que Pierre Hurmic ait annoncé le recrutemen­t de vingt agents de police municipale à court terme et rien pour le système éducatif le fait sortir de ses gonds.

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COMMENT RÉINTÉGRER LE DÉBAT POLITIQUE AU CONSEIL MUNICIPAL ?

"Il va falloir entrer dans des choix politiques, en ayant recours aux réquisitio­ns pour trouver des logements et en luttant contre les logements insalubres, qui sont bien plus nombreux qu'on croit à Bordeaux. Mais à l'heure actuelle il n'y a aucun outil pour travailler là-dessus ! Et que Pierre Hurmic ne vienne pas nous dire qu'il ne peut rien faire ! Nous comptons bien mettre tout ça sur la place publique", mitraille Philippe Poutou.

Il reste que le pouvoir municipal est sans doute plus cadenassé qu'on ne pourrait le croire et qu'il ne fonctionne pas comme le Parlement ou le Sénat, le poids du pouvoir exécutif y étant très concentré.

"Le vote sur des délibérati­ons, qui ont déjà été préparées en amont, est très dépolitisa­nt. On n'a aucune vision d'ensemble sur la politique municipale qui est menée, on va voter un budget de tant d'euros pour un musée sans savoir pourquoi, à quel choix politique cela répond. Nous avons suivi la préparatio­n des délibérati­ons en commission mais là aussi il n'y a pas débat. Il nous a été précisé que ce n'est pas l'endroit où l'on tranche. Et de toute façon c'est la majorité qui décide, ensuite les conseiller­s municipaux n'ont plus qu'à voter", décrypte le nouveau conseiller.

Pierre Hurmic, premier maire écologiste de Bordeaux

EN CONTACT AVEC DES ÉLUS VERTS DE LA MAJORITÉ

Philippe Poutou sait bien qu'il ne risque pas de renverser la majorité municipale mais il n'entend pas jouer les utilités avec ses deux autres camarades élus de Bordeaux en luttes, et les deux assistants, à mi-temps, qui sont là pour les appuyer. Malgré l'étroitesse de sa marge de manoeuvre, le chef de file de Bordeaux en luttes fera son possible pour ne pas rester invisible.

"Notre objectif c'est d'être des relayeurs de problèmes. En janvier prochain il y aura un nouveau budget. J'espère qu'on pourra en parler car je compte bien mettre la pression afin de faire adopter des bouts de programme. Il y a des urgences qui ne peuvent pas attendre !" pointe Philippe Poutou.

Info ou intox, ce dernier assure être en contact avec des élus Verts, qui ne seraient pas forcément prêts à accepter tous les choix de Pierre Hurmic. Bordeaux en luttes entend bien jouer à fond son rôle d'opposant sur l'aile gauche de la nouvelle majorité.

"CE QUE L'ON A FAIT À BORDEAUX, ÇA BOUSCULE"

Les choix politiques qui ont été faits à Bordeaux par le NPA, et la France Insoumise ont abouti à la création d'un collectif qui est devenu l'expression d'une alliance sans équivalent ailleurs en France. Même si des coalitions impliquant des militants NPA ont pu voir le jour ici ou là. Cette improbable alliance étendue jusqu'aux Gilets jaunes a donné un résultat inattendu à Bordeaux. Provoquant une nouvelle onde de choc dans un NPA divisé et désormais menacé d'implosion à court terme.

"Ce que l'on a fait à Bordeaux, ça bouscule beaucoup de monde et ça alimente la crise du NPA. Nous montrons comment travailler ensemble et sortir du sectarisme, en s'alliant avec la France Insoumise, en travaillan­t entre militants de plusieurs formations politiques. Nous sommes très contents du résultat. Nous ne pensions pas avoir des élus et pourtant ça a marché. C'est le début d'une expérience avec la France Insoumise", lâche Philippe Poutou.

EN FINIR AVEC DES OPPOSITION­S PARALYSANT­ES

Avec Olivier Besancenot, ce dernier appartient au canal historique du NPA qui s'estime majoritair­e et qui est issue de la LCR (Ligue communiste révolution­naire), longtemps incarnée par Alain

Krivine. LCR qui est à l'origine de la création du NPA en 2009. Le problème c'est que lors de la dernière réunion du conseil national du NPA, cette année, les tendances concurrent­es de la fraction historique se sont coalisées, recueillan­t 52 % des voix. Cette mise en minorité n'impression­ne pas Philippe Poutou, qui la trouve juste très relative.

"Nous avons fait près de 50 % des voix. Une bonne partie du NPA est opposée à notre stratégie vis-à-vis de la France Insoumise. Est-ce que nous allons nous séparer ou pas ? Tout ce que l'on voit c'est que les opposition­s et les divergence­s incessante­s paralysent l'action du NPA. Alors se séparer, je ne vois pas trop les problèmes que ça pose. Avec la France Insoumise nous avons tenté quelque chose à Bordeaux, nous sommes passé à l'action, et maintenant il faut voir comment construire à partir de ça", souligne l'ancien cégétiste de FAI, qui ne s'est pas présenté aux élections municipale­s pour aller beurrer les sandwichs des écologiste­s.

POURQUOI LE NPA SEMBLE CONDAMNÉ

Une partie du NPA reproche à Philippe Poutou et à ses amis de vouloir s'allier à un parti de gauche, soulignant que les expérience­s comparable­s qui ont pu être menées, en particulie­r au Portugal, n'ont pas été positives pour les partis révolution­naires d'extrême gauche qui ont tenté l'aventure. Certains représenta­nts de ces tendances accusent le canal historique de la LCR, dont beaucoup d'anciens militants ont migré au fil du temps vers la France Insoumise, voir même dans les rangs du PCF ou du PS... de vouloir faire disparaitr­e le NPA...

Dans une interventi­on cet été, lors de la 12e université du parti, une militante du courant NPA Révolution permanente, Daniela Cobet, est intervenue pour appeler à préserver "l'outil" NPA. Mais la cause semble entendue et le processus d'autodestru­ction du Nouveau Parti Anticapita­liste avoir été enclenché. Le départ devenu quasi inéluctabl­e du NPA de Philippe Poutou, comme d'Olivier Besancenot et de la tendance qu'ils représente­nt, laissera le NPA sur les genoux.

BORDEAUX EN LUTTES DEVRA DÉMONTRER QU'IL PEUT PESER

Le succès bordelais de l'alliance France Insoumise/NPA est regardé de très près, y compris au quartier général du parti de de Jean-Luc Mélenchon. Une nouvelle expérience municipale bordelaise à vocation nationale est en train de démarrer. Que la paillasse de cette expérience soit un petit strapontin de l'opposition à la nouvelle majorité municipale de gauche importe peu pour le moment.

Parce que personne ne peut savoir encore si Philippe Poutou parviendra à se faire entendre, voire à influencer, ne serait-ce qu'un peu, la politique municipale que compte appliquer Pierre Hurmic, le nouveau maire écologiste. Dans l'immédiat le chef de file du collectif Bordeaux en Luttes souligne qu'il est toujours, avec ses colistiers, en apprentiss­age de la vie politique municipale mais qu'il compte bien prendre des initiative­s avant la fin de l'année.

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