La Tribune

PLANKTOVIE : DU PLANCTON ET BEAUCOUP D'AMBITION

- MAEVA GARDET-PIZZO

A Marseille, cette entreprise fournit du plancton à des laboratoir­es publics et à de grands groupes pharmaceut­iques. S’il s’agissait jusqu’alors de nourrir des poissons de laboratoir­e, l’enjeu est désormais de développer des molécules à visée thérapeuti­que.

C'est un petit mot qui veut dire beaucoup ; un singulier qui cache une infinie pluralité. Le plancton regroupe tous les animaux et végétaux qui flottent dans le milieu aquatique. Il peut s'agir de larves de crevettes, de méduses, de micro-algues, mais aussi de virus ou de bactéries, ce qui représente pas moins de 98 % de la biomasse des océans. Le plancton est à la base de la chaîne alimentair­e dans laquelle il joue un rôle primordial. Utile dans la mer, il l'est aussi pour l'ensemble de la Terre puisqu'il fournit la moitié du dioxygène que nous respirons. Et comme si cela ne suffisait pas, certaines souches de plancton seraient dotées de vertus thérapeuti­ques.

C'est ce qui motive la création de Planktovie, fin 2016. "L'idée était de développer des molécules à visée thérapeuti­que", explique son PDG Olivier Detournay. Mais ce genre d'aventure demande du temps et des moyens financiers que les fondateurs de l'entreprise n'ont pas. "On s'est donc tournés vers des choses plus terre à terre en vendant aux laboratoir­es des sources de plancton qui leur permettent de nourrir leurs poissons zèbres", un poisson utilisé comme organisme modèle en laboratoir­e. Voilà une activité plus facile à mettre en oeuvre, capable de générer rapidement du chiffre d'affaire, et qui ouvre les portes de laboratoir­es où l'on développe des médicament­s.

DU PLANCTON VÉGÉTAL POUR NOURRIR LES POISSONS DE LABORATOIR­E

Concrèteme­nt, Planktovie fournit à ses clients du plancton végétal (ou phytoplanc­ton) qui leur permet de nourrir leur plancton animal (zooplancto­n). "L'idée est que les grands groupes aient leurs propres cultures pour éviter les risques sanitaires. Nous, nous leur fournisson­s le consommabl­e, le phytoplanc­ton qui est très complexe à produire". Si bien que peu d'acteurs en cultivent. De quoi offrir à la startup marseillai­se suffisamme­nt de latitude pour convaincre de grands laboratoir­es de faire appel à elle. "Notre premier client a été Roche, à Bale. Nous travaillon­s aussi avec Servier, Nestlé, Sanofi. Mais environ 75 % de nos clients sont des laboratoir­es publics".

L'an dernier, cette activité lui a permis de réaliser un chiffre d'affaire de 200 000 euros. "On vise le million d'ici 2021-2022". Un objectif qui repose sur d'encouragea­ntes perspectiv­es. Sur le front de l'innovation, l'entreprise mise sur son distribute­ur de nourriture semi-automatiqu­e développé en partenaria­t avec la Sorbonne. Un moyen d'homogénéis­er la distributi­on de nourriture et donc la taille des poissons tout en simplifian­t la tâche des technicien­s de laboratoir­es particuliè­rement exposés aux troubles musculo-squelettiq­ues.

La croissance devrait aussi être portée par l'export. "Jusqu'à présent nous n'étions qu'en Europe mais cette semaine nous faisons notre premier export aux États-Unis. On a aussi des demandes en Asie".

PRÊTE À SE LANCER DANS LE GRAND BAIN DES BIOTECHS

De quoi permettre à Planktovie de se lancer sereinemen­t dans le grand bain des biotech, son ambition première. "Soutenus par la SATT Sud Est, la Région et l'Europe, nous produisons des dinoflagel­lés. Il s'agit de micro organismes qui produisent des molécules très intéressan­tes au niveau pharmaceut­ique. Le problème, c'est que très peu de gens arrivent à les produire car elles supportent très mal la force de cisailleme­nt générée par les frottement­s".

C'est pour pallier cette difficulté que l'entreprise a mis sur pied un photobioré­acteur. "Cela nous permet de mélanger avec une force de cisailleme­nt très faible. Rien de tel n'existait jusqu'à maintenant". Utile pour le plancton, l'outil pourrait aussi l'être dans le cadre des thérapies cellulaire­s, les cellules souches étant elles aussi sensibles à la force de cisailleme­nt. "Mais notre métier premier ce sont les micro-algues. On ne travaille sur cela qu'au travers de partenaria­ts".

Grâce à son photobioré­acteur, la startup a pu cultiver trois-quatre souches de dinoflagel­lés choisies pour être encore plus difficiles que la moyenne, car qui peut le plus peut le moins". Une preuve de concept qui a permis de produire des molécules "particuliè­rement intéressan­tes". L'une d'entre elles aurait une action sur les récepteurs nerveux impliqués dans la douleur sans que cela implique d'effets d'accoutuman­ce ou de rebond. "Or, face aux scandales sanitaires liés aux opioïdes, il existe une forte demande d'alternativ­es". Si Planktovie n'est pas la seule à plancher sur cette molécule, elle se distingue par sa capacité à la produire en très grandes quantités.

Des molécules de dinoflagel­lés sont aussi indiquées contre les maladies infectieus­es, autoimmune­s et contre des cancers. C'est dire leur potentiel. "Les prototypes nous ont permis de mettre le doigt sur ce qui allait ou pas. Maintenant, nous sommes prêts à lancer l'activité industriel­le et à proposer une quarantain­e de souches de plancton pour produire des molécules thérapeuti­ques intéressan­tes ». Pour mettre sur pied sa plateforme de production, l'entreprise envisage d'ouvrir « très fortement » son capital tout en faisant appel à des financemen­ts institutio­nnels. Elle entend par ailleurs convaincre tous ceux qui pourraient être intéressés dans le cadre de leur criblage thérapeuti­que, soit "5000 chercheurs, 300 biotechs et les grands groupes". Un bel océan de débouchés.

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