La Tribune

BOLLORE, LE RAIDER FINANCIER

- HERVE GUYADER (*)

C'est l'histoire d'une bataille industriel­le qui eut plu à Homère. Paris (Arnaud Lagardère) ne doit son salut qu'à l'interventi­on d'Hector (Bernard Arnault) contre les assauts d'Achille (Vincent Bolloré). Sauf qu'en l'espèce, on cherche encore son talon. Par Hervé

Guyader, avocat au barreau de Paris, docteur en Droit, président du Comité français pour le droit du commerce internatio­nal (CFDCI) (*).

Il faut reconnaîtr­e à Vincent Bolloré d'avoir forgé une méthode redoutable pour prendre possession des sociétés ciblées. Il y pénètre par une voie minoritair­e avant d'en bouleverse­r la gérance pour finir par lancer une opération de rachat finale ou s'extraire en faisant un copieux bonus.

Déjà en 1997, il voulut acheter Bouygues. Il mit une année pour se hisser à 12 % des droits de vote tout en entrant au conseil d'administra­tion. Martin Bouygues se rebiffa et contraint Vincent à céder ses parts à François Pinault, en empochant, au passage, près d'un quart de milliard d'euros. Martin ne lui pardonnera jamais !

Il fit de même avec Havas qui appartient désormais à la galaxie bretonne et est dirigée par un de ses fils. En 2004, lors d'une assemblée générale houleuse, Vincent Bolloré réussit à se faire nommer au conseil d'administra­tion pour finir par écarter son dirigeant d'alors.

Semblable stratégie fut conduite contre Ubisoft. Rentré sur la pointe des pieds, Bolloré batailla pour entrer au conseil d'administra­tion qui lui fut refusée par le président d'Ubisoft. Las, le breton battit en retraite au prix, cette fois, d'1,2 milliards d'euros de plus-value.

C'est encore en Italie que Bolloré déploya sa formule en s'emparant progressiv­ement de 20,5% du capital de Telecom Italia au titre de Vivendi. Il imposa l'élargissem­ent de 14 à 17 administra­teurs et le refus de la conversion des actions à dividende prioritair­e qui eut pu lui causer problème en cas de raid. Tout se passerait bien si un autre industriel français n'avait été tenté de suivre la même voie. Xavier Niel, également intéressé par l'opération tente de s'y infiltrer, ce qui contrarie les ambitions de Bolloré.

Le dernier raid sur le groupe dirigé par Arnaud Lagardère fait lui-aussi figure d'exemple. Il faut se souvenir que ses deux principaux actionnair­es sont Vivendi, donc Bolloré, (à hauteur de 23,5%) et Amber capital (à hauteur de 20%) qui décident de demander au juge la fixation d'une assemblée générale destinée à voter une nouvelle gérance, soit quatre nouveaux administra­teurs au conseil de surveillan­ce de Lagardère, préambule à son éviction programmée. L'avenir du groupe Lagardère, et surtout sa direction par Arnaud ne tient qu'au fil tissé par Bernard Arnault qui a pris possession via son holding de 27 % de Lagardère Capital et Management pour un montant de 100 millions d'euros.

Vincent Bolloré a développé une stratégie d'acquisitio­n désormais enseignée dans toutes les écoles de commerce comme étant celle du raid à couvert. Il s'agit de prendre des positions très minoritair­es et de les accroitre jusqu'à déclencher un raid boursier qui permettra de conquérir la position désirée ou à tout le moins de dégager une belle plus-value.

Les observateu­rs de ce type d'opérations savent que d'ordinaire, préférence est donnée aux raids massifs, initiés par surprise. Le temps passé à conquérir des positions minoritair­es est généraleme­nt considéré comme une perte sèche. C'est là tout le génie de Bolloré et de Lagardère père d'avoir su déployer des stratégies audacieuse­s qui finissent par acquérir le statut de cas d'école.

Le dernier exemple témoigne d'un enrichisse­ment de la méthode puisque Bolloré s'est adjoint les services d'un autre actionnair­e, Amber, afin de renforcer sa position qui, forte de 43,5 %, ébranle incontesta­blement Lagardère. Ce n'est pas la première fois qu'il s'allie à ce fonds activiste britanniqu­e : en 2016, il avait déjà obtenu le ralliement d'Amber Capital lors de sa prise de contrôle de Gameloft.

Toute l'idée reste finalement pour Lagardère à présenter une ligne de défense s'opposant aux Short sellers, vendeurs à court terme ou vendeurs à découvert. Héritier d'un groupe constitué par son père, il peut s'abriter derrière ce paravent pour tenter de contrer, avec l'aide de Bernard Arnault, les offensives de Bolloré et du fonds Amber.

En matière d'acquisitio­ns, prime est souvent donnée aux raiders, ce qui laisse augurer d'un avenir sombre pour Arnaud Lagardère.

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(*) Par Hervé Guyader, avocat au barreau de Paris, docteur en Droit, président du Comité français pour le droit du commerce internatio­nal (CFDCI).

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