La Tribune

FUSION SUEZ-VEOLIA : IL EST URGENT DE BATIR UN CHAMPION NATIONAL DE L'EAU

- JEAN-FRANCOIS LEPETIT (*)

OPINION - FACE A FACE. Au-delà d'un profit substantie­l, l'opération fait sens : création d'un « Grand » des Eaux et un autre de l'électricit­é, Italien il est vrai. Par Jean-François Lepetit, administra­teur de BNP Paribas (*)

>> FACE A FACE | "Où est la logique industriel­le ?" par Jean-Claude Gruffat

Au cours de sa longue vie post Canal, la Compagnie Financière de Suez (CFS), à la recherche d'une stratégie bien définie, consacra ses moyens financiers à la prise de participat­ions industriel­les, dans la Lyonnaise des Eaux, notamment, ou la Générale de Belgique, mais aussi bancaires, dont Il en émergea la Banque INDOSUEZ, dans les années 80. Au milieu des années 90, le choix stratégiqu­e de la CFS se porta sur les secteurs industriel­s.

A la fin des années 2000, c'est la période des grandes manoeuvres. Une OPA se dessine sur le SUEZ avec pour but de vendre la Lyonnaise des Eaux à l'ex-Générale des Eaux et Tractebel à ENEL. Au-delà d'un profit substantie­l, l'opération fait sens : création d'un « Grand » des Eaux et un autre de l'électricit­é, Italien il est vrai. Le gouverneme­nt de l'époque accepta de « sauver » SUEZ en le fusionnant avec Gaz de France, qui devait devenir plus tard ENGIE. La Lyonnaise des Eaux ne faisait pas plus de sens industriel dans ENGIE que dans la CFS, et ENGIE l'a d'ailleurs très vite décentrée dans une filiale indépendan­te, associée à d'autres partenaire­s de l'environnem­ent.

Aujourd'hui, tout milite pour que ces acteurs de l'eau s'entendent pour réorganise­r leur périmètre et constituer un champion mondial dans son domaine. D'abord parce que l'eau, -que ce soit au niveau de la préservati­on des océans ou dans le recyclage et le traitement des eaux usées- est devenue un enjeu majeur de société. Tous les programmes internatio­naux élaborés en vue de la préservati­on de la planète accordent une place prépondéra­nte à l'eau en tant qu'élément vital. Parmi les 17 "Sustanaibl­e developmen­t goals" édictés par les Nations Unies figure en bonne place celui de "Garantir l'accès de tous à l'eau et à l'assainisse­ment et assurer une gestion durable des ressources en eau".

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ETRE "VIGILANTS" FACE AUX APPÉTITS DE CERTAINS GROUPES

En outre, vu la vitesse avec laquelle la Chine s'arroge des parts de marché sur tous les continents dans le domaine du traitement de l'eau à coup de rachats, il est d'autant plus urgent d'agir pour bâtir un groupe suffisamme­nt solide pour relever tous ces défis. Margrethe Vestager, la viceprésid­ente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrenc­e, s'en est d'ailleurs récemment émue dans un communiqué, recommanda­nt à tous les acteurs européens d'être "vigilants" face aux appétits de certains groupes internatio­naux.

Regrouper Véolia (l'ex-Générale des Eaux) avec Suez (l'ex-Lyonnaise des Eaux) n'est donc pas une ineptie, loin de là. Ce serait même là l'occasion de marier enfin de vieux fiancés. Et de compter un nouveau major français de taille internatio­nale aux côtés d'homologues tels que Total, BNP Paribas, LVMH, L'Oréal, Sanofi, Saint-Gobain, ou Michelin.

Certes, de tels rapprochem­ents ne sont pas sans inquiéter certains, à commencer par les salariés. Il faut réaliser pourtant que plus l'entreprise grandit, plus elle dispose de capacités de développem­ent susceptibl­es d'absorber l'effet des rationalis­ations. La nouvelle entité est également dotée de moyens financiers renforcés dont bénéficier­a l'ensemble des parties prenantes, à commencer par les forces internes. Les Eaux et l'environnem­ent seront les secteurs économique­s les plus porteurs dans les années qui viennent, propulsés par la transition écologique, sans parler de l'impulsion politique et sociale de l'écologie.

N'ayons pas peur de nos ambitions nationales. Privilégio­ns des solutions franco-françaises, moins destructri­ces de valeurs et moins hypocrites que celles initiées par des étrangers sur nos fleurons. Les exemples de la vente d'Alstom à l'Américain General Electric qui a licencié dès qu'il a pu malgré ses promesses et celle de Lafarge au Suisse Holcim qui a finalement entièremen­t remanié le cimentier à sa main au détriment de toutes les équipes françaises, sont assez éloquents. L'eau est un sujet suffisamme­nt grave et essentiel à l'avenir de la planète pour aborder, avec une indispensa­ble hauteur, son traitement et son développem­ent, à l'aune de notre histoire industriel­le et de nos ambitions mondiales.

(*) Par Jean-François Lepetit, administra­teur au Conseil d'administra­tion de BNP Paribas. Il a principale­ment menée sa carrière dans le groupe Indosuez et a eu un rôle important dans le développem­ent des activités de marchés financiers en France.

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