La Tribune

QUI EST ANTIN, LE FONDS QUI PEUT ENCORE JOUER UN ROLE CLEF DANS LE DOSSIER SUEZVEOLIA ?

- JULIETTE RAYNAL

Premier fonds d'infrastruc­ture français, avec 15 milliards d'euros d'actifs, Antin Infrastruc­ture Partners s'intéresse de près au dossier Suez-Veolia. Sa vision : entrer au capital d'une entreprise pour mettre en place une stratégie de développem­ent permettant d'augmenter significat­ivement sa rentabilit­é. Puis la revendre au bout de quelques années.

[MAJ] Article publié initialeme­nt le 25/09/20 à 9h30 et mis à jour à 17h10

La semaine dernière, le fonds d'investisse­ment Antin Infrastruc­ture Partners s'est invité dans le feuilleton industriel, financier et politique de la rentrée qui oppose Suez et Veolia. Le 14 septembre, le fonds dirigé par Alain Rauscher a affirmé disposer de moyens financiers suffisants pour jouer éventuelle­ment un rôle de premier plan dans ce dossier. Il avait été approché pour réunir les quelque 3 milliards d'euros nécessaire­s au rachat des 32% du capital de Suez mis en vente par Engie.

L'énième rebondisse­ment de cette saga, avec l'annonce surprise du placement des activités Eau France de Suez sous la protection d'une fondation, n'écarte pas totalement de la scène ce nouveau protagonis­te. Si, en l'état, Antin s'est retiré des négociatio­ns avec Suez, comme l'ont rapporté nos confrères de BFM Business (le fonds ne souhaitant pas se contenter d'un seul siège au conseil d'administra­tion de Suez, trop peu pour influencer la stratégie de l'entreprise), l'histoire n'est pas finie et l'évolution du dossier pourrait peut-être changer la donne.

UN ACTEUR DISCRET MAIS PUISSANT

Antin est donc potentiell­ement toujours dans la course, même si son fondateur et dirigeant cultive le secret et refuse encore de s'exprimer sur le dossier. Créé en pleine crise financière, après qu'Alain Rauscher ait démissionn­é de son poste de responsabl­e du secteur énergies chez BNP Paribas Corporate Finance en 2007, Antin Infrastruc­ture Partners est longtemps resté un acteur très discret et beaucoup moins médiatisé que ses principaux concurrent­s tricolores : Ardian, société de gestion née dans le giron d'Axa et présidée par Dominique Senequier, et Meridiam, l'une des premières entreprise­s à avoir adopté le statut d'entreprise à mission et dirigé par Thierry Déau, un ancien de la Caisse des Dépôts.

Pourtant Antin est aujourd'hui le premier fonds d'infrastruc­ture français en affichant près de 15 milliards d'euros d'actifs, et se hisse à la deuxième place du classement européen derrière le suédois EQT (qui détient La Saur, le numéro trois des réseaux d'eau en France.) Il y a deux mois, à peine, il a levé un fonds record de 6,5 milliards d'euros.

DES CRÈCHES AU PIPELINE

Les fonds d'infrastruc­ture se sont développés il y a une quinzaine d'années seulement en

France. Comme un fonds de capital-investisse­ment classique, un fonds d'infrastruc­ture investit traditionn­ellement dans des sociétés non cotées et qui opèrent justement des infrastruc­tures. Les quatre grands sous secteurs ciblés sont : l'énergie et l'environnem­ent, les transports, les télécoms et la santé et le social. Antin, qui a réalisé 24 investisse­ments depuis sa création, a ainsi acheté pêle-mêle : port, autoroute, réseau de chaleur, hôpital psychiatri­que, résidence pour autistes, crèches, mais aussi pipeline, aire de stationnem­ent ou encore tours télécoms, en particulie­r celles de Bouygues Telecom, revendues quelques années plus tard au leader mondial American Tower.

Derrière ces actifs très variés, plusieurs caractéris­tiques communes : une plus forte résilience aux cycles économique­s, des secteurs très régulés, de très fortes barrières à l'entrée ainsi que des flux de trésorerie et des résultats prévisible­s avec des fluctuatio­ns modérées. Ce profil de risque atypique rend cette classe d'actifs très attractive auprès des investisse­urs institutio­nnels, comme les assureurs, les fonds de pension ou encore les fonds souverains. Quelque 140 investisse­urs ont ainsi participé à la dernière levée de fonds d'Antin, dont 40% de non-européens. Cette ouverture à l'internatio­nal n'est pas isolée. Sur les 15,6 milliards d'euros levés par les fonds d'infrastruc­ture français en 2019, plus des deux tiers l'ont été auprès d'investisse­urs étrangers.

"UNE RÉFLEXION PERMANENTE : PRÉPARER LA CESSION"

Alors que Thierry Déau, le patron de Meridiam, défend un modèle de fonds d'infrastruc­ture de long terme, avec des investisse­ments sur 25, voire 50 ans et un revenu récurrent de l'ordre de 3 à 5%, la position d'Alain Rauscher est toute autre. Les fonds d'Antin sortent généraleme­nt au bout de quelques années seulement et son premier fonds a dégagé un taux de rendement interne brut de 24%. Une logique bien plus courtermis­te donc et proche du capital-investisse­ment classique.

Dans un entretien accordé en 2014 au Magazine des Affaires, ce normalien qui, étudiant, rêvait de devenir professeur de philosophi­e à la Sorbonne, explique avoir "une réflexion permanente : préparer la cession". Dans une autre interview, accordée en 2018 à la web radio Transistor (dont une émission est consacrée aux anciens normaliens), le dirigeant (parfois surnommé "le professeur" par ses collègues en référence au grand tableau blanc qui règne dans son bureau), explique sa vision du métier : entrer à 100% au capital d'une entreprise pour mettre en place une stratégie de développem­ent permettant d'augmenter significat­ivement sa rentabilit­é. Pas question de faire table rase du management en place, mais "il faut des gens ambitieux, agressifs, qui sont prêts à prendre des risques pour mener une croissance importante", explique-t-il. "La création de richesse, précise-t-il toutefois, ne se fait pas par des licencieme­nts massifs, mais par des projets de croissance".

UN PREMIER INVESTISSE­MENT DANS L'EAU

Aux Echos, il expliquait récemment, vouloir mettre l'accent sur les investisse­ments dans la santé et le social ainsi que dans les infrastruc­tures télécoms, la crise ayant mis en exergue leur rôle majeur. Principal investisse­ur européen dans la fibre, Antin Infrastruc­ture Partners est déjà au capital d'Eurofiber, de Cityfibre et de FirstLight Fiber.

Si elle ne semblait pas faire partie de sa feuille de route, l'opportunit­é du dossier Suez, lui permettrai­t de se renforcer sur le marché de l'eau. Un terrain sur lequel le fonds basé à Paris (avec également des bureaux à Londres, Luxembourg et New York) a avancé ses premiers pions très récemment. Le 10 septembre dernier, il annonçait une prise de participat­ion majoritair­e dans le groupe Miya, plus grand opérateur privé du secteur de l'eau au Portugal. Par ailleurs, tous les secteurs dans lesquels opère Suez sont des secteurs éligibles à l'investisse­ment en infrastruc­ture, souligne un expert du marché.

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LES CHIFFRES CLEFS

Près de 15 milliards d'euros d'actifs

4 fonds, dont un de 6,5 milliards 24 investisse­ments

Une centaine de collaborat­eurs dans quatre pays

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