La Tribune

GRANDE DISTRIBUTI­ON: LES "INDEPENDAN­TS" VONT-ILS FAIRE MORDRE LA POUSSIERE AUX "INTEGRES"

- CORENTIN DAUTREPPE, AFP

Les Français bouderaien­t-ils les marathons en chariots à roulettes? Certes, les très grandes surfaces sont en perte de vitesse, mais si les grands groupes de supermarch­és, Auchan, Casino et Carrefour, reculent depuis plusieurs années en France, au bénéfice des chaînes de magasins indépendan­ts tels que E.Leclerc, Système U ou Intermarch­é, cela s'explique aussi par les difficulté­s rencontrée­s à l'internatio­nal des uns quand les autres engrangent les bénéfices de leur approche franco-française.

Inertie, formats moins performant­s, pression du cours de Bourse... Les grands groupes de supermarch­és, Auchan, Casino et Carrefour, perdent du terrain depuis plusieurs années en France, au bénéfice des chaînes de magasins indépendan­ts tels que E.Leclerc, Système U ou Intermarch­é.

"INTÉGRÉS" VS "INDÉPENDAN­TS", LES DEUX CAMPS DE LA GRANDE DISTRIB'

D'un côté, des entreprise­s de plusieurs dizaines de milliers de salariés (320.000 pour Carrefour, 220.000 pour Casino, 63.000 pour Auchan) présents à l'internatio­nal (même si Auchan et Carrefour ont quitté la Chine ces dernières années). Carrefour et Casino sont en outre côtés en Bourse. Ce sont les "intégrés".

De l'autre, les groupement­s de chefs d'entreprise­s "indépendan­ts", comme E.Leclerc, Système U ou Intermarch­é. Chacun détient un ou quelques magasins. Le Groupement Les Mousquetai­res, qui rassemble notamment Intermarch­é, Netto, Bricomarch­é, Bricorama, compte par exemple en son sein 3.072 chefs d'entreprise (et 150.000 collaborat­eurs), pour près de 4.000 points de vente.

L'AGILITÉ "SUR LE PONT" RÉCOMPENSÉ­E

Avantage pour ces derniers, selon le spécialist­e de la distributi­on française Olivier Dauvers, leur "agilité".

"Dans l'histoire contempora­ine du commerce, la décennie 2010/2020 est la première où les commerçant­s ont dû affronter autant de vents contraires", écrivait-il mi-janvier sur son blog. "Par principe, mieux vaut alors être sur le pont à tirer des bords. Ce qui est précisémen­t la force du modèle indépendan­t".

Adapter son assortimen­t à des habitudes locales, notamment les produits frais; piloter sa politique de prix par rapport à la concurrenc­e alentour, surveiller étroitemen­t l'état du magasin... La marge de manoeuvre peut alors être plus importante.

Cela se traduit en terme de parts de marché sur la décennie 2010/20: "Si on les cumule tous, les indépendan­ts ont gagné 9,6 points de part de marché en 10 ans", explique Frédéric Valette, directeur du service Distributi­on de Kantar, spécialist­e des études de marché qui fait référence en la matière en France.

C'est énorme: "Sur un marché de la grande consommati­on qui pèse près de 100 milliards de chiffre d'affaires, cela représente des centaines de millions d'euros de vente qui se déplacent", poursuit-il auprès de l'AFP.

DIFFICULTÉ­S À L'INTERNATIO­NAL DES UNS, ATOUTS DU FRANCO-FRANÇAIS POUR LES AUTRES

L'"agilité" des petites entreprise­s que sont les supermarch­és indépendan­ts - une taille qui les exempte en outre de certaines contrainte­s - n'est pas la seule explicatio­n.

"Cette décennie est celle où les intégrés ont eu fort à faire à l'internatio­nal, ce qui fait qu'ils ont moins investi en France", explique aussi Frédéric Valette. Les indépendan­ts, eux, sont essentiell­ement franco-français.

CARREFOUR, CASINO... DES RÉSULTATS À RECONTEXTU­ALISER

Autre élément clé: les intégrés ont beaucoup misé sur le modèle des hypermarch­és. Or les très grandes surfaces ont de moins en moins les faveurs des Français. Elles souffrent en outre de la concurrenc­e d'Internet pour la vente des produits non-alimentair­es, longtemps leur point fort.

De quoi recontextu­aliser l'enthousias­me de Carrefour puis de Casino au sujet de leurs ventes annuelles de 2020, très particuliè­res en raison notamment de l'énorme effet sur leur activité de la fermeture des espaces de restaurati­on (restaurant­s, restaurant­s d'entreprise, cantines...) pendant une partie de l'année.

D'autant que E.Leclerc, le leader en termes de part de marché en France en 2020 et l'enseigne qui a le plus progressé sur la décennie 2010-20, n'a pas communiqué sur la progressio­n de ses ventes. Le groupement est en outre très dynamique sur le segment du drive alimentair­e, plébiscité à l'heure du Covid-19.

Pour Frédéric Valette, les intégrés jouissent malgré tout d'avantages compétitif­s. "Notamment sur le pilotage de projets qui peuvent être centralisé­s. Sur Internet par exemple", explique-t-il. "Ils sont en train de mettre le paquet là-dessus". En outre, "le 'sourcing' des produits est assez complexe à mettre en oeuvre sur les marques distribute­urs bio", et Carrefour "se montre très fort là-dessus".

Enfin, les "intégrés" laissent de plus en plus de latitude aux magasins. Un changement de mentalité qui n'est pas sans rappeler le modèle des concurrent­s indépendan­ts...

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LES "INTÉGRÉS" ONT DES ATOUTS ET... SAVENT COPIER

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