La Tribune

POST-COVID: QUEL AVENIR POUR LA RESTAURATI­ON ?

- FRANCOIS BLOUIN ET PETER BACKMAN (*)

OPINION. La pandémie de la Covid-19 va provoquer de profonds changement­s dans le rôle, le modèle économique et le type de consommati­on de la restaurati­on. Une transforma­tion dont on peut déjà déceler les premières grandes lignes. (*) Par François Blouin, président de Food Service Vision et Peter Backman, consultant en food service.

Dans l'histoire récente, des évènements aussi spectacula­ires que des centres-ville désertés et de restaurant­s fermés durant de longues semaines ont été plutôt rares. Lorsque ce genre d'épisode survient, qui bouleverse le fonctionne­ment d'un secteur entier de l'économie, on évolue en général entre deux hypothèses : un retour à la situation antérieure dès que les conditions s'y prêtent. Autrement dit, après la Covid, la restaurati­on reprendra sa vie d'avant. Seconde hypothèse : anticiper un changement radical. La restaurati­on va devoir se réinventer de fond en comble. Notre position d'experts de l'ensemble de la filière restaurati­on nous pousse à adopter une position plus équilibrée. Les restaurant­s vont rouvrir. Les consommate­urs continuero­nt d'aller déjeuner ou dîner dans leurs restaurant­s favoris. Et l'on ne peut que s'en réjouir.

Mais croire que la pandémie ne provoquera pas de profonds changement­s dans le rôle, le modèle économique et le type de consommati­on de la restaurati­on dans les pays développés serait une erreur. Cette industrie encaisse un choc unique dans son histoire, avec deux confinemen­ts en l'espace de quelques mois. Cela laissera des traces profondes. Et même si nos observatio­ns portent sur deux villes phares en Europe, Paris et Londres, elles s'appliquent tout aussi bien aux autres grandes métropoles du continent ou d'Amérique du Nord.

À quoi servent des restaurant­s dans des centres-ville désertés ? Trois types de consommate­urs fréquenten­t ces « downtowns » : ceux qui y résident, les locaux ; ceux qui ne font qu'y travailler, les « commuters » (banlieusar­ds) ; ceux qui les visitent, les touristes. Paris intramuros compte un peu plus de 2 millions d'habitants tandis qu'à Londres, 3,6 millions de résidents vivent dans un rayon de moins de cinq kilomètres du centre. Chaque jour, 1 million de personnes se rendent à Londres pour travailler et plus de 2 millions de Francilien­s empruntent le RER. Enfin, Paris et Londres accueillen­t chaque année environ 20 millions de visiteurs, qui dépensent plus de 3 milliards d'euros en repas. Ce sont des flux considérab­les, qui rythment la vie des métropoles, créent de la valeur et assurent la fréquentat­ion des bars et des restaurant­s.

TROIS TENDANCES DE FOND

La Covid a rebattu totalement les cartes. Dans les grandes villes, une partie des habitants s'est confinée hors les murs. Selon diverse études, 17% des habitants de la métropole du Grand Paris, soit près d'un million de personnes, ont quitté la région entre le 13 et le 20 mars 2020, lors du premier confinemen­t. Les commuters se sont raréfiés en raison de la généralisa­tion du télétravai­l et les touristes sont restés chez eux. Que se passera-t-il lorsque la pandémie aura disparu ? On ne peut émettre encore que des hypothèses, mais certaines tendances de fond nous semblent devoir se manifester avec plus d'acuité.

Les habitants des métropoles ne vont pas disparaîtr­e, même si un certain nombre d'entre eux vont probableme­nt faire le choix d'aller vivre à la campagne ou dans des villes moyennes. Mais il est possible que leurs goûts, leur comporteme­nt, leur pouvoir d'achat soient affectés par la crise sanitaire et pour un certain temps.

Le nombre de "commuters" (banlieusar­ds) devrait baisser de façon structurel­le, car le télétravai­l s'installera de façon durable dans les pratiques des entreprise­s et des salariés : à Londres, une étude réalisée en août 2020 révélait que la moitié des plus grandes entreprise­s britanniqu­es n'avaient pas le projet de rouvrir leurs bureaux des centres-villes après la pandémie.

Les touristes reviendron­t, mais probableme­nt de façon progressiv­e, s'agissant notamment des visiteurs en provenance de Chine ou du Japon, qui resteront sur leur garde un moment s'agissant des conditions sanitaires en Europe ou aux États-Unis. En outre, les villes de patrimoine comme Londres et Paris ont rompu avec le tourisme de masse, au bénéfice d'un « slow tourisme » qui fait de plus en plus d'adeptes dans le monde.

DES CONSÉQUENC­ES MAJEURES

Quelles conséquenc­es pour les modèles de restaurati­on ? La première concerne la localisati­on.

Les centres-ville des grandes métropoles risquent de devenir de moins en moins porteurs, au profit de sites nouveaux, loin des villes ou dans des villes moyennes. Une remise en cause non négligeabl­e pour une industrie habituée à raisonner en taille de marché potentiel. Le repas « fonctionne­l » à table, celui que prend le commuter le matin ou à déjeuner, va tendre à diminuer, au profit de la livraison ou du click & collect, ce qui là encore exige de réviser les modèles économique­s. Seule s'en sortira une restaurati­on de proximité, destinée aux « locaux » qui feront le choix de se rendre dans un restaurant parce qu'il propose une offre de très haut de gamme, ou une offre adaptée à leurs nouvelles attentes, en matière de circuit court, de fraicheur des produits, d'authentici­té, de qualité d'accueil et de service.

Dans dix ans, l'industrie de la restaurati­on aura probableme­nt beaucoup changé. Certes, il y aura toujours de la restaurati­on rapide, de la restaurati­on assise, des « dark kitchens » et leurs escouades de livreurs, des investisse­urs avides de nouvelles idées. Mais il y a fort à parier que les enseignes gagnantes ne soient plus les mêmes, que les produits, les prix, les menus, soient très différents, que l'ensemble de la chaîne du food service se soit transformé, car le choc de la pandémie et des confinemen­ts a fait naitre des questions et des attentes nouvelles.

De cette transforma­tion naîtra une restaurati­on profondéme­nt renouvelée et encore plus proche des consommate­urs.

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